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France
12/01/2019 - 21:22

Gilet jaune, c'est facile: tu le mets, tu l'enlèves

Moi aussi, j'en ai un, de gilet jaune. Et depuis le 17 novembre, je le planque dans la boîte à gants de la voiture, tout simplement parce que je ne veux pas que mon identité de citoyen soit réduite à celle d'automobiliste en détresse. La suite m'a donné raison – partiellement raison – puisqu'il s'est agi, pour les Gilets jaunes, de contester une augmentation de taxes sur le diesel en affirmant qu'ils défendaient la fin de mois plutôt que la fin du monde.
Je ne suis pas non plus de ceux qui aiment les pique-niques dans les rond-points. Je préfère mon café de quartier où je peux m'engueuler avec l'un ou l'autre et m'en aller. Le rond-point n'a rien d'un lieu populaire. Il a comme point commun avec le gilet d'être un équipement routier, on tourne autour, on y entre, on boit un coup, on mange une merguez et on en sort.
J'en parlais tout à l'heure avec un passant. Il m'a fait passer ce texte concernant, probablement, le premier samedi de janvier:



Gilet jaune, c'est facile: tu le mets, tu l'enlèves
« Chez les Gilets jaunes, généralement, personne ne fait de déclaration de manifestation, personne n'est autorisé à occuper le rond-point. On le fait quand-même en toute conscience que nous pouvons gêner la visibilité des automobilistes et mettre en danger la vie d'autrui. Peut-être même que je peux me faire un peu d'argent en imaginant une caisse de solidarité. Faire signer une pétition, faire peur aux gens va faire de moi un véritable coq gaulois.
Je peux vêtir mon gilet jaune et, avec l'argent que j'ai récolté dans mon rond-point, partir pour Paris muni d'un sac à dos contenant une baguette de pain, un camembert, un couteau et un litron de rouge. Je peux aussi monter à Paris en stop : qui oserait laisser un Gilet jaune sur le bord de la route ?

Paris : c'est samedi et je vais trouver des centaines, des milliers de Gilets jaunes ? Peu importe, j'en trouverai bien assez pour faire du boucan et crier des revendications, légitimes ou non. Quelquefois, ce sont mes idées. D'autres fois, ce sont idées que je pêche à droite ou à gauche ou à droite et à gauche. Oui, je suis nostalgique des petits magasins de centre ville, des petites fermes de la campagne – tout le monde aimait ça.
C'est ce qu'on appelait la France profonde et voilà que le tout a été remplacé par des supermarchés situés loin de mon pavillon de banlieue acheté à crédit ; ce qui m'oblige à prendre la voiture pour faire les courses. Mais en ce moment, c'est un peu chaud ; mes compagnons Gilets jaunes bloquent un super-casino où je trouve habituellement du gas-oil moins cher et un délicieux petit vin de pays.

Donc, comme je vous l'écrivais plus haut, me voilà à faire du stop pour me rendre à la manif de ce samedi à Paris. Un jeune couple s'arrête, un gilet jaune sur le tableau de bord. Ils m'ouvrent la portière, je m'installe. Je n'ai rien à demander : je vais à Paris manifester et revendiquer avec les autres Gilets jaunes. 
J'apprends d'eux, tout de même, qu'ils ont acquis leur BMW en location longue durée 48 mois ; c'est un diesel. Eux non plus, le virage énergétique n'est pas leur souci... De toute évidence, le bitume qui nous transporte est de l'énergie fossile dont il faudra bien se débarrasser un jour ou l'autre. Pour l'heure, nous roulons tranquillement, évitant soigneusement les péages et les radars grâce au GPS.

Notre conversation tourne autour du coût de la vie, des violences policières et aussi de la pêche, de la chasse et des traditions. Je vous écris ça car, pour mon plus grand bonheur, voilà que nous percutons un lapin de garenne qui essaie de traverser la route. Je m'en empare rapidement et le mets dans mon sac à dos avec l'idée de la passer au barbecue à Paris.
Les autres, dans la voiture, me demandent :
- qu'est-ce que tu vas faire de ce lapin ?

 

Ils demandent à enfiler des gilets jaunes: quelqu'un en a pour eux?
Ils demandent à enfiler des gilets jaunes: quelqu'un en a pour eux?
Ma réponse est généreuse: je vais le confier à un vétérinaire qui lui posera une attelle pour le sauver. Mais l'idée me traverse que ce con de lapin pourrait souiller mon camembert ou ma baguette de pain. C'est ainsi que, subrepticement, je lui tords le cou, referme le sac et on en parle plus. Les animaux, je m'en fiche. Je suis un viandard et le réchauffement climatique, je le laisse à ma belle-mère. Moi, si, un jour, il n'y a plus de viande animale, il n'est pas impossible que je transforme en anthropophage.

Il est 14 heures. Un groupe de Gilets jaunes boit du café Porte de la Chapelle. Je quitte mes covoitureurs et les rejoins. Je ne les connais pas mais ils sont vraiment contents que je sois là. L'un s'écrie : « c'est le nombre qui fait le force ». Je demande s'il n'y a pas un petit quelque chose à mettre dans le café. Quelqu'un sort une flasque de rhum de sa doudoune et me voilà heureux comme un pape.

Vers 17 heures, nous nous dirigeons en métro vers les Champs Élysées et c'est là que je vais attendre que la nuit tombe pour ôter mon gilet jaune, l'enfourner dans mon sac, briser quelques vitrines et me servir. On pourra toujours laisser entendre après que c'est des casseurs venus de banlieue. Je vais peut-être même pouvoir casser du flic. Avec tous le PV que je reçois, ce ne serait que justice. Vous voyez bien, c'est facile : un gilet jaune, on le met et on l'enlève. »


Texte transmis par Gaëtan de Dupont-Lajoy.

Cette histoire est vraiment digne, quand bien même elle serait imaginaire, ce qui n'est pas le cas, d'un franchouillard spéciste auquel même un lapin de garenne n'échappe pas. Alors vous pensez bien qu'un Gilet jaune ne va exiger l'augmentation des minima sociaux, la prime pour l'emploi des salariés à temps partiel, l'amélioration du niveau de vie des plus pauvres qu'eux. Ce qu'il veut, c'est une voiture, du gas-oil, un pavillon de banlieue et Bobonne pour le café. »

Henri Vario-Nouioua



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