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09/01/2007 - 13:00

Droit au logement opposable

L'Etat, notre berger

* Un débat avec Olivier Nodé-Langlois (responsable du secteur habitat-ville à ATD Quart Monde, coordinateur de la plate-forme "Pour un droit au logement opposable", du mardi 12 septembre 2006), disponible dans les colonnes du Monde.fr
*Un article de Padraïc Kenna et Marc Uhry pour faire le point sur les textes européens et internationaux


Débat avec Olivier Nodé-Langlois

Le garant d'un droit fondamental, comme l'est le logement, est forcément l'Etat. Cependant, dans le cadre des lois de décentralisation, il est prévu de déléguer la responsabilité "logement" à des collectivités locales.

Aujourd'hui, les choses ne sont pas bien définies, mais on peut évaluer la région, en particulier pour l'Ile-de-France, les départements, ou les bassins d'habitat, par exemple les "établissements publics de coordination intercommunale". Bien sûr, le responsable serait le responsable local à qui le logement a été délégué, avec la garantie de l'Etat en final.

Que coûte le droit au logement opposable ? Aujourd'hui, on ne peut pas l'estimer avec précision, mais on peut comparer plusieurs choses. Quand on a rendu l'école gratuite et obligatoire, dans la seconde moitié du XIXe siècle, la France était beaucoup moins riche qu'elle ne l'est aujourd'hui.

...

Qu'est-ce que ça coûte encore ? On peut voir ce que coûte aujourd'hui le phénomène du "mal-logement" dénoncé par tous ceux qui militent pour le droit au logement opposable. D'abord, le coût, évident, des hébergements. Une nuit d'hôtel coûte 30 euros, soit 900 euros par mois.

Mais, plus sournois que cela, le mal-logement crée des maladies. En particulier la maladie due au plomb, bien connue, mais aussi des maladies psychiques, respiratoires, digestives, etc., dues à de mauvaises conditions de vie.

Lire l'intégralité du débat sur Le Monde

Le Conseil de l'Europe a ouvert la Voie

Droit au logement opposable
« Le droit au logement est depuis longtemps intégré au droit français, avec une surprenante et constante absence d’effectivité, en tant que droit individuel. Ce droit n'est toujours pas "opposable", c'est-à-dire susceptible d'un recours judiciaire face à une instance publique, contrainte de fournir une solution. L'habitat n'est malheureusement pas un élément de la sécurité sociale.
Cet état de fait est en partie lié à l'état du droit, mais également à une méconnaissance et à une sous-utilisation des outils disponibles.

Ce sont d’abord les textes internationaux qui ont introduit le droit au logement dans le droit français (1).
La déclaration universelle des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) cite le logement comme une condition d'exercice du droit à des conditions de vie suffisantes (article 25).
La Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels fait également spécifiquement référence au droit au logement (article 11).
D'autres textes de l'ONU y sont indirectement liés : conventions sur les droits de l'enfant, sur le statut des réfugiés, sur la protection des travailleurs immigrés et de leurs familles, etc. (2).
Concernant l'Union Européenne, la Charte européenne des droits fondamentaux reconnaît le droit à une aide sociale au logement (article 34).
D'autres textes communautaires ont un impact sur la progression du droit au logement (directive raciale sur l'égalité de traitement, plans nationaux d'inclusion sociale, etc.).
Au niveau du Conseil de l'Europe, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme prévoit des moyens de recours contre les traitements inhumains et dégradants (article 3), le respect de la vie privée et familiale (article 8), la prohibition des discriminations (article 14), etc. La jurisprudence a progressivement déterminé les liens entre ces articles et le droit au logement.
La Charte sociale du Conseil de l'Europe prévoit notamment la garantie par l’Etat de l’habitat des personnes handicapées (article 15), des travailleurs migrants (article16). La Charte sociale révisée de 1996 engage les Etats signataires à garantir le droit à une protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale (article 30) et à assurer l'exercice effectif du droit au logement (article31).

Parallèlement à ces textes internationaux, le droit au logement est une référence invoquée par plusieurs lois nationales : lois de 1982 et de 1989 sur les rapports locatifs, loi de 1990 sur le logement des personnes défavorisées. Le Conseil constitutionnel, plus haute institution juridique française, a reconnu que le droit au logement était « un objectif de valeur constitutionnelle ». L’article 1er de la loi contre les exclusions de 1998 affirme que le logement est un des droits fondamentaux, c’est-à-dire une condition d'exercice de l'égale dignité entre tous les êtres humains. Elle invite tous les acteurs de la société à contribuer à sa mise en oeuvre.
Malgré cette référence à la notion de droit fondamental, l’interprétation française du droit au logement s'est bornée à une approche programmatique engageant l’Etat à mettre en œuvre des politiques sociales, mais pas de protection légale des individus. Ceci est principalement dû à des réticences politiques, voire culturelles, mettant en avant une vision fantasmée du droit absolu à la propriété (3), hâtivement dressé en opposition au droit au logement, alors que rien n'empêche les deux de coexister. Or, comme l'a souligné le Haut Comité pour le logement des défavorisés dans ses rapports de 2002 et 2003, l'absence de droit opposable au logement affichant clairement les responsabilités publiques contribue à la perpétuation de politiques de l'habitat erratiques, tributaires du bon vouloir de chacun des nombreux maillons de la chaîne de décision.
Depuis lors, le débat sur l'opposabilité du droit au logement se situe au cœur des enjeux des politiques de l'habitat, au point que le Premier Ministre (Jean-Pierre RAFFARIN) s’est déclaré publiquement en faveur d’un droit au logement opposable au printemps 2004. Cette position constitue une avancée sur un plan symbolique et politique. Mais elle peut s'appuyer sur des innovations juridiques et procédurales, au niveau international, qui doivent contribuer à mieux asseoir le droit au logement.
En 1996, la Charte sociale du Conseil de l’Europe a donc été révisée, et un article 31 définissant les responsabilités des Etats signataires en matière d’application du droit au logement y a été inclus :
« En vue d'assurer l'exercice effectif du droit au logement, les parties s'engagent à prendre des mesures destinées :
1. à favoriser l'accès au logement d'un niveau suffisant ;
2. à prévenir et à réduire l'état de sans-abri en vue de son élimination progressive ;
3. à rendre le coût du logement accessible aux personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes. »

Cet article est complété par une interprétation du Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe, qui précise la définition du droit au logement (4). Le Comité procède également à une évaluation des engagements des Etats signataires sur la base de leurs résultats. La France a fait l’objet d’une évaluation de l’application de l’article 31 en 2002.
Le fait de donner une définition au droit au logement et de prévoir une évaluation de l’ensemble des politiques à partir de leurs effets constitue le grand apport du Conseil de l'Europe.

En tant que traité international ratifié par la France, la Charte sociale révisée est donc invocable devant les juridictions locales, accompagnée des précisions et d’évaluations apportées par le Comité des droits sociaux. L’Etat peut être attaqué en responsabilité, y compris pour ne pas encadrer suffisamment les politiques locales, dans la perspective de mise en œuvre du droit au logement.

Par ailleurs, le Conseil de l’Europe a défini une procédure de "réclamation collective", visant à mettre en cause l’application de tel ou tel article par un ou plusieurs Etats. Cette plainte est examinée par le Comité des droits sociaux et le Conseil des ministres européens, selon une procédure contradictoire. La France a été mise en cause pour son déficit de résultat en matière de prise en charge des enfants autistes ; la Grèce pour son traitement de la minorité Rom ; l’Italie est actuellement mise en cause sur la base de l'absence de mise en œuvre du droit au logement pour cette minorité.

La Charte sociale révisée a le mérite de s’inscrire à la fois dans une logique programmatique (définition de politiques publiques) et une logique de "protection légale", dans la mesure où il existe une procédure de mise en cause des signataires à partir de leurs résultats. En même temps, les évaluations du Comité des droits sociaux introduisent une dimension comparative qui doit encourager les Etats au mieux-disant, introduisant les éléments de comparaison comme arguments potentiellement utilisables devant une juridiction locale. En termes de doctrine et de procédure juridique, la Charte sociale révisée constitue donc un point de référence qu'il conviendrait de mieux valoriser, comme d'autres outils du droit international qui visent à apporter une protection aux individus sur la base de leur égale dignité plutôt que des prestations sociales aléatoires.
Mais, pour être effectif, le droit au logement induit un "devoir de loger" et des procédures individuelles de recours. C'est pourquoi une meilleure application des textes internationaux ne peut qu'être un pas en avant. Il sera encore nécessaire de définir au plan national l'entité politique responsable de sa mise en œuvre - avec la garantie de l'Etat à pourvoir aux moyens nécessaires -, la procédure judiciaire d'urgence nécessaire aux recours individuels, une "obligation de faire", qui assure une réelle solution.
L'Ecosse a montré la voie en introduisant en 2003 une loi assurant un droit au logement justiciable et opposable. Il n'y a aucune raison sérieuse pour que la France ne parvienne pas à en faire autant.

Padraïc Kenna et Marc Uhry

(1) La France est Etat moniste, ce qui signifie que les traités internationaux ont une autorité supérieure aux lois internes (article 55 de la Constitution).
(2) Pour un aperçu de l’ensemble des outils juridiques internationaux traitant du logement, voir www feantsa org.
(3) Article 544 du Code Civil : "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements". Il y a donc un encadrement démocratique du droit de propriété.
(4) Informations sur le Conseil de l'Europe et les jurisprudences en Europe sur le site : www coe int


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