L'histoire de l'homme « digne de confiance »
Ivan Ivanov
Nous sommes très mauvais élèves de la démocratie libérale. Une fois entrés en classe, nous fixons nos regards sur les médias et les sondages pour satisfaire un désir médiocre: la connaissance du vécu. Les profs nous montrent toujours le même film noir et blanc qui révèle l'histoire de l'homme «digne de confiance» auquel nous devons déléguer le droit de prendre part à notre vie. Paradoxalement, cette personne, on la connaît depuis longtemps mais c'est exactement au moment de l'élection, qu'elle a des choses nouvelles à nous proposer.
La question centrale d'une élection présidentielle n'est pas qui sera le nouveau président, ni quel parti le catapultera au pouvoir, mais plutôt: qui est le citoyen de la France d'aujourd'hui et quelle est sa nature ontologique. Un président doit être élu non parce qu'il a des qualités inimaginables mais parce qu'il cultive une vraie connaissance de notre identité. On devrait voir que les hommes ont vraiment beaucoup changé ces dernières décennies.
Si on en croit les leçons de l'histoire, on est censé savoir que la redondance de la vie politique nous ordonne juste une place de spectateurs dans ce spectacle. Propagée par les médias et reprise dans tous les cercles sociaux, la présidentielle estompe la vérité: dans un scrutin, l'acteur principal n'est pas le candidat, mais le peuple. L'acte de vote est seulement une finalisation de ce rituel cyclique qui vise à connaître « e suivant» et «le différent». Mais avant tout, on a besoin de se découvrir et de se connaître nous-mêmes.
Un «dernier homme» sans vaillance ni aspiration?
Nous, les citoyens de la démocratie libérale, nous sommes bien les derniers hommes. En venant au monde, on est égaux et on a tous les mêmes droits. Pas trop riches et pas trop pauvres, un peu sarcastiques et pas trop modestes car on peut tout avoir: voiture, appartement, vacances et même quelques médailles. Depuis longtemps, on a perdu les traces de nos ancêtres qui avaient un moteur puissant dans la vie: la volonté d'être quelqu'un de différent. Les grands penseurs ont prouvé qu'au coeur de l'histoire de l'humanité, se trouve la lutte entre le maître et l'esclave. «A la suite de Nietzsche, nous sommes amenés à proposer les questions suivantes: l'homme que la reconnaissance universelle et égalitaire- et rien de plus- satisfait totalement n'est-il pas un peu moins qu'un être humain complet, voire un objet de mépris, un « dernier homme » sans vaillance ni aspiration? N'y a t-il pas une part de la personne humaine qui recherche délibérément la lutte, le danger, le risque et l'audace, et cette partie ne reste-elle pas insatisfaite pas le mot d'ordre « paix et prospérité » de la démocratie libérale contemporaine?»*
Quel est notre vrai désir au réveil aujourd'hui? Revivre encore une fois «hier», le temps que l'on connaît parfaitement, ou faire quelque chose d'important, inscrire notre nom sous une bonne cause ou dans les pages d'une nouvelle histoire. Il est tellement difficile d'échapper à la vie quotidienne qu'on accepte que se réveiller, manger, aller au travail et dormir, c'est ce qu'on appelle «notre vie».
Ce peuple veut son gouvernant, mais il veut avant tout s'élever
Le mythe de Sisyphe
Quelle est alors l'opportunité humaine que nous proposent les politiciens? Peuvent-ils créer un nouveau citoyen qui continuera à vivre sans ressentir la honte d'être le dernier survivant d'une ère pan-humaine, dépourvu progressivement de son droit de parler? Pendant ces années, on est condamné, tout à fait comme dans le mythe de Sisyphe, à rouler éternellement une pierre jusqu'en haut d'une colline alors qu'elle redescend chaque fois avant de parvenir à son sommet. Demandons alors au futur président comment il voit «demain» par rapport à «hier» sans oublier "qu'aujourd'hui" nous avons du mal à monter au sommet avec tout le poids sur le dos.
Est-ce que vous connaissez l'homme en singulier, votre peuple, de manière à lui proposer de devenir un autre citoyen? Ce peuple veut son gouvernant, mais il veut avant tout s'élever au-dessus de sa vie médiocre. Commençons déjà avec la possibilité de se réveiller et de savoir qu'il y a un pourquoi à vivre. Ne pas prendre la même route pour aller au travail; ne pas revenir le soir avec le même autobus; ne pas voter pour les mêmes personnalités connues mais voter pour une personne qui sait que la démocratie libérale a déjà parcouru son chemin européen et que les hommes ne veulent plus un changement politique mais un changement humain.
Pour cette raison, voter pour quelqu'un aujourd'hui est d'abord comprendre comment il peut nous aider à être quelqu'un de différent et non comment nous l'aiderons pour qu'il puisse être... simplement président.
Une citation de Françic Fukuyama reprise de son ouvrage "La fin de l'histoire et le dernier homme"
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