Amitosh est concentré, il tire sur les boucles de fil pour les faire passer à travers de petites perles et paillettes en plastique qu'il coud sur des vêtements pour bébés. Dégoulinant de sueur, il a les cheveux recouverts d'une fine couche de poussière. En hindi, son nom signifie "bonheur". Le vêtement brodé à la main sur lequel il travaille avec sa toute petite aiguille porte le logo d'un géant international de la mode : Gap. Amitosh a 10 ans.
Les épreuves qu'a traversées ce jeune garçon, révélées à l'issue d'une enquête secrète menée par The Observer dans de petites rues de New Delhi, sont une conséquence tragique de la demande occidentale de vêtements bon marché. Cette enquête montre comment, malgré les systèmes d'audit social rigoureux lancés par Gap en 2004 pour éliminer le travail des enfants dans ses filières de production, des sous-traitants peu scrupuleux faussent le jeu. Lorsque Gap découvre qu'un enfant est employé par un sous-traitant pour fabriquer ses vêtements, ce sous-traitant doit le retirer de l'atelier, lui assurer l'accès à l'école, lui verser un salaire et lui proposer un nouvel emploi une fois qu'il est légalement en âge de travailler. Telle est la politique officielle de Gap. Elle est censée mettre fin à l'exploitation des enfants. Dans le cas d'Amitosh, elle n'a pas fonctionné. Vendu par sa famille l'été dernier, Amitosh travaille 16 heures par jour. Derrière lui, sur un tabouret en bois, il a posé tout ce qu'il possède : une BD à moitié déchirée, un canif, un peigne en plastique et une couverture déchirée à motifs éléphant.
"J'ai été vendu au village de mes parents, dans l'Etat du Bihar [dans le nord de l'Inde], puis on m'a conduit en train à New Delhi, raconte-t-il. Les hommes sont venus nous chercher en juillet. Ils avaient des haut-parleurs à l'arrière de la voiture et ils ont dit à mes parents que s'ils m'envoyaient travailler en ville, ils n'auraient plus à travailler dans les fermes. Mon père a touché une petite somme pour me vendre, et j'ai été emmené avec quarante autres enfants. Le voyage a duré 30 heures, on ne nous a pas donné à manger. On m'a dit que je devais travailler pour rembourser ce que le propriétaire avait payé à mes parents. Tant que je n'aurai pas remboursé, je ne pourrai pas rentrer chez moi. Donc je travaille gratuitement. Je suis un shaagird [apprenti]. Le contremaître m'a expliqué que, comme j'étais en apprentissage, je n'étais pas payé. C'est comme ça depuis quatre mois."
L'atelier où travaillent Amitosh et cinq ou six autres enfants est crasseux, les excréments d'un WC bouché se répandent dans les couloirs. Derrière les gamins, d'énormes piles de vêtements Gap sont emballées dans des paquets en plastique portant les étiquettes d'emballage officielles. Les numéros de série sont ceux d'une nouvelle gamme que Gap prévoit de commercialiser pour les fêtes de fin d'année. Tout cela doit être exporté vers l'Europe et les Etats-Unis.
Jivaj est originaire du Bengale-Occidental. Il doit avoir environ 12 ans. Il a raconté à The Observer que certains des garçons de l'atelier avaient été battus. "Le travail est très dur et on nous frappe si on ne travaille pas suffisamment. On n'arrête pas de nous dire : ‘C'est une grosse commande de l'étranger.' La semaine dernière, j'ai passé quatre jours à travailler depuis l'aube jusqu'à environ 1 heure du matin du jour suivant. J'étais si fatigué que j'en avais la nausée", murmure-t-il, en larmes. "Si l'un d'entre nous pleurait, ils lui tapaient dessus avec un tuyau de caoutchouc. Certains des enfants étaient punis avec des chiffons graisseux enfoncés dans la bouche."
Manik, qui lui aussi travaille gratuitement, affirme avoir 13 ans. On a du mal à le croire. "Je suis content de travailler ici. Au moins, j'ai un endroit où dormir", explique-t-il en jetant un regard furtif derrière lui. "Le patron m'a dit que j'étais en apprentissage. C'est mon devoir de rester ici. J'apprends à être un homme et à travailler. Un jour, je gagnerai de l'argent et je pourrai acheter une maison pour ma mère."
La découverte de cet atelier où la main-d'œuvre est exploitée est une très mauvaise nouvelle pour Gap. La semaine dernière, un porte-parole de la société a reconnu que des enfants s'étaient malencontreusement retrouvés dans le processus de production. Plutôt que de risquer de vendre des vêtements fabriqués par des enfants, Gap s'est engagé à retirer des dizaines de milliers d'articles repérés par The Observer. Le géant du prêt-à-porter a passé d'énormes contrats en Inde, un pays qui affiche l'une des plus fortes croissances économiques du monde. Mais, depuis une décennie, ce pays est aussi devenu le champion du monde du travail des enfants. D'après les Nations unies, le travail des enfants représenterait 20 % du PNB indien, 55 millions d'enfants – âgés de 5 à 14 ans – étant employés dans divers secteurs d'activité.
www.courrierinternational.com
Les épreuves qu'a traversées ce jeune garçon, révélées à l'issue d'une enquête secrète menée par The Observer dans de petites rues de New Delhi, sont une conséquence tragique de la demande occidentale de vêtements bon marché. Cette enquête montre comment, malgré les systèmes d'audit social rigoureux lancés par Gap en 2004 pour éliminer le travail des enfants dans ses filières de production, des sous-traitants peu scrupuleux faussent le jeu. Lorsque Gap découvre qu'un enfant est employé par un sous-traitant pour fabriquer ses vêtements, ce sous-traitant doit le retirer de l'atelier, lui assurer l'accès à l'école, lui verser un salaire et lui proposer un nouvel emploi une fois qu'il est légalement en âge de travailler. Telle est la politique officielle de Gap. Elle est censée mettre fin à l'exploitation des enfants. Dans le cas d'Amitosh, elle n'a pas fonctionné. Vendu par sa famille l'été dernier, Amitosh travaille 16 heures par jour. Derrière lui, sur un tabouret en bois, il a posé tout ce qu'il possède : une BD à moitié déchirée, un canif, un peigne en plastique et une couverture déchirée à motifs éléphant.
"J'ai été vendu au village de mes parents, dans l'Etat du Bihar [dans le nord de l'Inde], puis on m'a conduit en train à New Delhi, raconte-t-il. Les hommes sont venus nous chercher en juillet. Ils avaient des haut-parleurs à l'arrière de la voiture et ils ont dit à mes parents que s'ils m'envoyaient travailler en ville, ils n'auraient plus à travailler dans les fermes. Mon père a touché une petite somme pour me vendre, et j'ai été emmené avec quarante autres enfants. Le voyage a duré 30 heures, on ne nous a pas donné à manger. On m'a dit que je devais travailler pour rembourser ce que le propriétaire avait payé à mes parents. Tant que je n'aurai pas remboursé, je ne pourrai pas rentrer chez moi. Donc je travaille gratuitement. Je suis un shaagird [apprenti]. Le contremaître m'a expliqué que, comme j'étais en apprentissage, je n'étais pas payé. C'est comme ça depuis quatre mois."
L'atelier où travaillent Amitosh et cinq ou six autres enfants est crasseux, les excréments d'un WC bouché se répandent dans les couloirs. Derrière les gamins, d'énormes piles de vêtements Gap sont emballées dans des paquets en plastique portant les étiquettes d'emballage officielles. Les numéros de série sont ceux d'une nouvelle gamme que Gap prévoit de commercialiser pour les fêtes de fin d'année. Tout cela doit être exporté vers l'Europe et les Etats-Unis.
Jivaj est originaire du Bengale-Occidental. Il doit avoir environ 12 ans. Il a raconté à The Observer que certains des garçons de l'atelier avaient été battus. "Le travail est très dur et on nous frappe si on ne travaille pas suffisamment. On n'arrête pas de nous dire : ‘C'est une grosse commande de l'étranger.' La semaine dernière, j'ai passé quatre jours à travailler depuis l'aube jusqu'à environ 1 heure du matin du jour suivant. J'étais si fatigué que j'en avais la nausée", murmure-t-il, en larmes. "Si l'un d'entre nous pleurait, ils lui tapaient dessus avec un tuyau de caoutchouc. Certains des enfants étaient punis avec des chiffons graisseux enfoncés dans la bouche."
Manik, qui lui aussi travaille gratuitement, affirme avoir 13 ans. On a du mal à le croire. "Je suis content de travailler ici. Au moins, j'ai un endroit où dormir", explique-t-il en jetant un regard furtif derrière lui. "Le patron m'a dit que j'étais en apprentissage. C'est mon devoir de rester ici. J'apprends à être un homme et à travailler. Un jour, je gagnerai de l'argent et je pourrai acheter une maison pour ma mère."
La découverte de cet atelier où la main-d'œuvre est exploitée est une très mauvaise nouvelle pour Gap. La semaine dernière, un porte-parole de la société a reconnu que des enfants s'étaient malencontreusement retrouvés dans le processus de production. Plutôt que de risquer de vendre des vêtements fabriqués par des enfants, Gap s'est engagé à retirer des dizaines de milliers d'articles repérés par The Observer. Le géant du prêt-à-porter a passé d'énormes contrats en Inde, un pays qui affiche l'une des plus fortes croissances économiques du monde. Mais, depuis une décennie, ce pays est aussi devenu le champion du monde du travail des enfants. D'après les Nations unies, le travail des enfants représenterait 20 % du PNB indien, 55 millions d'enfants – âgés de 5 à 14 ans – étant employés dans divers secteurs d'activité.
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