Les mirages du temps libre
Le temps nous fuit, hélas, que nous ne pouvons jamais saisir et plus nous gagnons du temps, plus il nous manque. Vient-il d'ailleurs à être vraiment libre que c'est souvent pire encore dans l'ennui vide de la retraite ou du chômage. Car si le manque de temps vient à manquer, ce temps de longue attente nous presse encore de toute son impatience. C'est la fonction du temps de nous pousser à l'action et il n'y a aucune façon d'en réduire l'urgence même si on rêve souvent d'en suspendre la course.
Gagner du temps pourtant c'est ce qu'on n'arrête pas de faire, dans le capitalisme salarial, massivement, mais aussi dans notre vie intime. Gagner du temps permettra-t-il à la femme de retrouver son mari, comme on peut toujours en rêver, ou bien, plutôt, le temps gagné augmentera-t-il celui consacré au ménage par exemple (comme le montre "La place des chaussettes", plus il y a de machines domestiques, plus le niveau exigé socialement s'élève). Le temps libéré n'est jamais libre, il permet juste de prolonger d'autres activités que le travail salarié mais le plus souvent ce "temps libre" couvre surtout le temps productif non-rémunéré (externalités positives).
Pris sous l'angle de la consommation comme reproduction, le temps libre n'est pas si libre que cela, intégré à la production jusque dans sa jouissance hiérarchique (le sursalaire). Sous l'angle du travail contemporain, mobilisant toutes nos capacités relationnelles, il n'y a pas beaucoup de temps libre non plus dans ce que Toni Négri appelle la société-usine. S'il n'y a donc pas de "temps libre", comme jouissance individuelle soustraite à la valorisation sociale, il y a bien du temps hors salariat, temps d'activités autonomes, et c'est donc seulement l'hétéronomie du salariat que devrait dénoncer cette notion du "temps libre" car il n'y a pas de "temps libre" à vivre, comme une page blanche qui devrait rester inhabitée.
En fait cette mesure du "temps libre" ne fait que reproduire la mesure du "temps de travail", comme la "valeur d'usage" n'est que l'autre face de la "valeur d'échange". Dans la vie, nos valeurs ne se mesurent pas et ne se réduisent pas à l'utilitarisme, le temps non plus ne se réduit pas à sa mesure. Le seule chose qui compte est "le temps de travail salarié". C'est la contradiction au coeur de la réduction du temps de travail. La logique de cette réduction est conservatrice : il s'agit de ne rien changer au salariat, seulement de le réduire. Il ne s'agit pas de créer d'autres activités, mais d'augmenter le non-travail, le temps libre. Ce temps libre n'est pas supposé être du travail, mais du loisir, de la pure consommation. Ce mirage de la Société du Spectacle, d'une consommation de loisirs nous livre à la manipulation marchande, à une réalité qui se dérobe détâchée de toute pratique. Ce temps de loisirs est souvent plus ennuyeux que le travail, et la famille plus étouffante que le bureau ou l'usine, c'est pourquoi les femmes notamment réclament l'accès à l'emploi.
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