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03/02/2009 - 15:09

Guadeloupe : le leader du mouvement s'explique

Elie Domota, 42 ans, cadre à l'Anpe, est le visage du mouvement. Entretien au quinzième jour de grève, alors qu'aucun accord n'est en vue en Guadeloupe et que le blocage menace désormais une partie de l'agriculture et le tissu des PME.


Les négociations, ne débouchent sur rien. Le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, Yves Jégo, tente de trouver une sortie de crise. Il se dit optimiste: 25 des 115 stations-service fermées depuis le début du mouvement ont en effet rouvert.

Une quarantaine de syndicats, d'associations et de mouvements politiques se sont coalisés pour conduire cette grève générale. Leur plate-forme de revendications compte 126 points.

Porte-parole du comité d'action Lyannaj kont pwofitasyon (LKP, collectif contre l'exploitation), Elie Domota a été élu en avril à la tête de l'UGTG, puissante organisation syndicale. Un de nos riverains, Pierrick Tillet, l'a contacté lundi pour lui demander d'expliquer pourquoi la situation de l'île restait complètement bloquée.

Si vous deviez, en tant que porte-parole du collectif Lyannaj kont la pwofitasyon, présenter vous-même aux citoyens de métropole les raisons de votre mouvement, que leur diriez-vous?

C'est avant tout un mouvement de mécontentement populaire qui pose le problème des prix pratiqués en Guadeloupe avec des marges exorbitantes. Un exemple concernant les produits d'importation: on nous dit que les produits arrivant en Guadeloupe sont plus chers en raison des frais de transport. Mais alors on ne devrait pas dépasser un surcoût d'environ 10 à 12%. Or nous avons des différences de prix avec la métropole de 40 à 50% pour des produits de première nécessité comme le beurre, voire pratiquement 80% pour les pâtes! Cela veut donc dire que des importateurs/distributeurs font des profits inacceptables sur le dos des Guadeloupéens.

Autre question cruciale: le scandale des prix des carburants et de l'eau. Ces prix sont calculés en toute opacité. On nous fait payer des taxes sur des prestations totalement inexistantes.

La production locale, notamment agricole, doit être impérativement protégée et développée. Nous ne pouvons pas attendre indéfiniment le bon vouloir des bateaux pour nourrir les Guadeloupéens.

Sur un autre plan, il y a aussi de grosses difficultés en matière de formation et d'insertion professionnelle. Nous sommes dans ce petit pays-là une majorité d'origine africaine et caribéenne, et pourtant nous subissons ouvertement une discrimination raciale à l'embauche. Certaines entreprises installées sur notre sol et dirigées par des métropolitains préfèrent faire venir du personnel de France alors qu'elles disposent sur place d'un personnel parfaitement qualifié.

La totale inadaptation des politiques publiques menées en Guadeloupe depuis cinquante ans, l'inconséquence des élus locaux et les prises de position d'un patronat particulièrement réactionnaire ont conduit à ce ras-le-bol général qui a fini par déborder. Nous exigeons une revalorisation immédiate des minima sociaux, du travail pour tous les Guadeloupéens, la baisse des prix excessifs sur les produits de première nécessité comme les produits alimentaires, l'eau ou les carburants.

Certains de vos interlocuteurs des pouvoirs publics vous reprochent le trop grand nombre de vos revendications (146). Que leur répondez-vous?

Eh bien, si les pouvoirs publics avaient fait leur boulot, il n'y en aurait pas autant!

De quel soutien populaire pensez-vous vraiment disposer et jusqu'où êtes-vous prêts à aller?

Dans toutes les communes, dans toutes les administrations, dans toutes les entreprises, les gens sont très mobilisés et attendent beaucoup de ce mouvement. Nos manifestations rassemblent de plus en plus de monde, jusqu'à 65 000 personnes pour la dernière [vendredi 30 janvier 2009, ndlr], soit à peu près 15% de la population totale de la Guadeloupe, ce qui est énorme. Nous espérons beaucoup que le secrétaire d'Etat à l'Outremer, de passage en Guadeloupe, donne enfin des réponses précises à nos revendications. En tout cas, la population reste très présente et très mobilisée. Nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout.

Le secrétaire d'Etat à l'Outre-mer Yves Jégo vient d'annoncer des "mesures exceptionnelles" pour la Guadeloupe. Celles-ci vous ont-elles été présentées? Qu'en pensez-vous?

Nous n'avons pas encore rencontré M. Jégo. Il a fait des annonces qualifiées par lui d'"exceptionnelles", mais nous n'en connaissons pas encore le contenu. Nous avons senti à ses propos que nous avions affaire à quelqu'un qui semblait avoir enfin compris, mais nous n'avons aucune réponse positive à nos revendications. Pour l'instant, nous restons sur un départ précipité du préfet de la table des négociations parce qu'il jugeait que les conditions n'étaient pas réunies pour négocier.

Nous maintenons notre position. Il existe une plate-forme de revendications et trois autres partenaires intéressés: l'Etat, les institutions régionales (conseil général et conseil régional) et le patronat. Nous attendons que ces gens-là se mettent ensemble et nous fassent une réponse concertée sur la base de notre plate-forme.

Rajoutons tout de même qu'il est anormal qu'il faille attendre pratiquement quinze jours de mobilisation et 65 000 personnes dans les rues pour qu'on consente enfin à nous prendre au sérieux. Un ou deux jours auraient suffi en métropole pour que les pouvoirs publics réagissent. Mais comme le dit le vieil adage, "quand il y a le feu au château, on se fout de l'écurie".

Nous savons qu'il y a eu chez vous aussi une forte mobilisation le 29 janvier. Que ce soit en Guadeloupe, en Martinique ou en métropole, les travailleurs ont raison. Il est particulièrement anormal que l'on puisse donner des milliards aux banques, des milliards au spéculateurs, et demander à ceux qui travaillent de se serrer la ceinture. Nous sommes totalement solidaires des travailleurs français.

Ailleurs sur le Web lire Le blog du collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon Une autre interview d'Elie Domota, sur France-Antilles L'analyse de notre blogueur Jean Matouk (ne manquez pas les commentaires) Le site du Petit lexique colonial Le Mika déchaîné, mensuel vendu en kiosque, un son de cloche nouveau sur les dysfonctionnements guadeloupéens.


Source: Yahoo News


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