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Textes Littéraires
26/06/2007 - 23:16

Les enfants des ténèbres - 30 -

Roman - Chapitre 36

- J'ai besoin de votre aide, Monsieur. Quel est votre prénom?"
- Pour vous ce sera Bastard, comme désormais pour les autres. " Il lui tendit son unique main. Elle lui donna la sienne, qu'il serra très fort, la retenant rudement, chuchotant:
- Donnez-moi le carnet bleu."
Elle ne dit rien. Comme il relâchait sa pression, elle finit par se dégager, se lever, se diriger vers le coin cuisine.
- Ca sent mauvais." En se retournant, elle vit qu'il se grattait énergiquement la tête.
- J'me lave jamais, c'est ça qui pue."



Le parc
Le parc
- Non, ce sont ces oiseaux qui cuisent avec leurs plumes. "
Il rit.
- Je les attrape avec de la glu, là, sur le rebord de la fenêtre. "
- Pourquoi n'avez vous jamais fait confiance à mon père? "
Il fit tournoyer élégamment son fauteuil. Deux fois, trois fois, de plus en plus vite, le freina, fit face à la jeune femme:
- Je ne savais pas qu'il était votre père. "
Elle posa les mains sur les genoux de Bastard, s'agenouilla :
- Il y a les oiseaux, c'est vrai. Mais ce n'est pas la bonne méthode. Il faut aussi la croix et le reste, ce que mon père ne connaissait pas."
- Et Bébé? "
- Il n'en sait rien. Depuis son baptême, il a perdu la capacité de passer. "
- L'Eglise est toujours bien informée, hein? "
Marie Ange se leva. Avec souplesse remarqua-t-il en laissant s'attarder son regard sur les hanches de la jeune femme.
- Vous êtes belle, Angela. Que savez-vous au juste? "
Elle vint dans son dos, poussa le fauteuil vers la porte.
- Et vous, que cherchez-vous? "
- Mon fils, seulement mon fils. Vous me l'avez enlevé. Mais je ne cherche plus. "

Le fauteuil roula dans l'allée. L'hiver touchait à sa fin. Timidement, quelques bourgeons commençaient à faire éclater l'écorce encore noire des branches. Le ciel de fin d'après-midi étalait des nuages presque blancs, ourlés de rose à l'ouest. Un tapis de feuilles mortes recouvrait l'allée; quelques-unes unes se coinçaient parfois dans les roues du fauteuil.

- Bébé ne va pas bien, fit Angela. Il a besoin de vous, de nous tous. "
Bastard leva son moignon en signe d'impuissance:
- L'administration a décidé de me garder dans cette maison de repos. "
De son bras, il décrivit un grand demi-cercle autour de lui.
- Une prison dorée, Angela, comme vous le voyez. "
- Cela ne tiendrait qu'à vous... "
Bastard fit pivoter son fauteuil. Angela, qui le poussait, en eut mal aux poignets.
- Ecoutez moi bien! Ses yeux lançaient des éclairs. Puis il se ravisa: Excusez-moi, ma soeur."

Ils se promenèrent un moment en silence. Bastard bloqua le frein du fauteuil, regarda droit devant lui, demanda:
- Passer où et pourquoi ? "
- Ils veulent y aller, Monsieur Bastard. Peu importe où. "
- Je croyais que vous apparteniez à l'Eglise? "
- Oui, et aussi à mon père que je veux rejoindre. "
Bastard serra l'accoudoir, ses phalanges blanchirent.
- Il est mort, nom de Dieu! J'ai vu son cadavre. Doc Joseph aussi est mort. Et même ce demeuré de Vergier. Quant aux gosses, je maintiens qu'ils sont cachés quelque part. Le fait qu'ils soient mutants n'explique en rien la disparition. "
- Le Christ aussi est mort, il a ressuscité."
Bastard se demanda s'il fallait rire. Il choisit le mutisme.
Angela continua sur un ton monocorde, comme pour elle-même:
- Nous ne sommes pas d'ici. Nous devons partir. Les enfants sont passés. Vous vous acharnez dans l'illogisme en continuant de prétendre qu'ils sont cachés par je ne sais quelle organisation. Il faut me croire, Monsieur Bastard. Il faut que nous y allions aussi. "
- Mourir?"
- Non, partir. "
- Je vous dis que j'ai vu les cadavres. "
- Alors que cherchez vous avec les oiseaux?"
Cette fois, il ne sut pas résister et se mit à rire.
- C'est seulement pour faire le fou, pour rester là."
- Non, pour ne pas aller ailleurs. Vous avez peur, Monsieur Bastard! "

Un homme vêtu d'une blouse blanche s'approcha, ils se turent. Angela poussa le fauteuil dans une allée transversale.
- C'est comment là-bas, Angela?"
- Je ne sais pas, mais c'est chez nous! "
- J'ai vu les corps, sauf doc Joseph. Pouvez vous m'emmener avec l'enfant? "
- Non... Pas tout de suite. Mai s nous pouvons unir nos forces. "
Il grinça des dents, se passa nerveusement la main dans les cheveux.
- Je n'y crois pas! Mais parlez-moi du carnet bleu de votre père. »
Angela s'assit sur un banc de pi erre. Il était humide.
- Vous avez fouillé dans les archives des diocèses. Vous connaissez sa théorie. Les enfants ne sont pas d'ici. Nous non plus. "
- Je suis d'ici. "
- Peut être, mais pas Joseph. Il a parlé à un moine de Malmergues, sous hypnose je crois. Depuis, il est dans une sorte de coma. Il faut le passer, Monsieur Bastard. Nous devons arracher Bébé à ce monastère et il nous aidera à chercher. "
Comme sous le coup d'une impulsion, Bastard redressa la tête:
- Ecoutez moi Angela, j'ai déjà commis beaucoup d'erreurs ... En tant que flic il marqua un silence en tant qu'homme aussi. J'ai d'abord pensé avoir à élucider l'une de ces banales affaires dans lesquelles les protagonistes se trouvent des justifications mystiques. Mais des éléments ne cadraient pas, comme par exemple ces gosses que personne ne réclamait et qui, selon les médecins légistes, participaient à leur propre assassinat. Mais ceci n'était pas au dossier officiel, Angela. Il y avait aussi ce prêtre marseillais. Je sus très vite que votre père l'avait assassiné pour lui prendre la fameuse petite croix. Cet imbécile avait prévenu le diocèse qu'il tenterait le tout pour le tout si on ne lui rendait pas la croix. Je croyais alors qu'en lui laissant la liberté, il m'apporterait la clé de l'énigme. "
Bastard prit le menton d'Angela dans sa main:
- Vous êtes jolie, très jolie. Savez vous depuis combien de temps je n'ai pas fait l'amour? "
- Vous avez vu les suicides, fit Angela. Puis, après avoir réussi à s'humidifier les lèvres:
- Vous-même y avez perdu un bras. " Il la relâcha dans un geste fataliste et furtivement lui caressa la joue.
- Six ans Angela, il y a six ans que je n'ai pas fait l'amour. La dernière fois, c'était avec Laurence Deguers. Si vous voulez mon aide quelle qu'elle soit, il vous faudra en payer le prix. "
Il rapprocha son visage du sien, un petit frisson courut le long du dos d'Angela. Elle sentit son haleine ... Forte très forte.
- Payez Angela, et je vous suivrai au bout du monde et même au-delà. "
Elle réussit à articuler, sa mâchoire lui faisait mal, elle ne s'en était pas rendu compte: Vous avez mangé de l'ail. Je suis sure que vous l'avez fait exprès. "
- Quais, fit-il espiègle, j'en ai toujours deux ou trois gousses en poche pour les visiteurs. "
Il les lui montra. Prestement, Angela s'en saisit et les croqua bruyamment, à grands coups de dents.
- Ce n'est pas à cause de votre haleine que je ne ferai pas l'amour avec vous, Louis. Aussi curieux que cela puisse vous paraître, je ne trahirai pas mes voeux."
Bastard fit pivoter son fauteuil et lui tourna le dos.
- Je boude, ronchonna-t-il. Se levant, elle lui fit face :
- Aidez-moi! "
Elle lui prit la main. Il grogna:
- Avez vous éteint le feu sous les oiseaux? Qu'attendez-vous de moi au juste? "
- J'y vais. "
Angela courut pour remonter l'allée, tourna à droite en direction des pavillons, disparut à sa vue.


Henri VARIO-NOUIOUA



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