Chapitre 27
Bastard n'en resta pas là:
- Bon on récapitule, annonça t-il presque jovial."
Il serra dans sa main la mâchoire endolorie du jeune homme dont les larmes se mirent à couler presque immédiatement. Au même instant, Cédric fit entendre sa petite voix. Cette fois il ne pleurait pas, il chantait. Nicolas aurait bien aimé dire à Bastard qu'il était inutile de le poursuivre, que l'enfant disparaîtrait très vite, mais déjà l'autre avait sauté et presque arraché la porte d'entrée.
VIENS VIENS N'AIES PAS PEUR
OH TOI LE GÉNITEUR.
ET SI UN JOUR TU M'ATTRAPAIS
DANS LES TÉNÈBRES TU CRÈVERAIS.
Nicolas entendit nettement le ricanement glacial du flic résonner dans sa tête. Il en eut peur, très peur, mais pour son fils. Puis plus rien, seulement le silence.
Lorsqu'on frappa à sa porte, il se précipita pour ouvrir, mais le téléphone se mit à gémir et Nicolas Lapierre revint sur ses pas pour décrocher.
C'était Anastasio:
Nom de dieu, n'ouvrez pas!"
Le détective raccrocha aussitôt.
Vergier avait eu l'idée de cette planque et insisté pour que les deux hommes ne se montrent pas.
Bastard avait bondi sur l'enfant qui se dégagea d'un mouvement à la fois souple et puissant de l'épaule. Puis Bastard s'était mis à se mordre violemment la main. La tête renversée en arrière, la face éclairée par un vague rayon de lune qui avait réussi à percer les nuages, Cédric continuait de rire. Il ne vit pas le détective et son associé; ils étaient cachés.
Anastasio avait téléphoné parce que, avait-il expliqué à Vergier, il fallait bien en profiter pour démontrer qu'il savait mériter ses honoraires.
L'enfant était quand même entré.
Le sang de son père gicla partout comme si un flacon de ketchup avarié avait explosé jusqu'au plafond.
La gorge béante, Nicolas Lapierre tenait dans sa main encore saccadée de tremblements un ridicule petit couteau de cuisine.
* * *
Bastard hurla:
- Touchez pas! Touchez à rien nom de dieu! "
C'était trop tard; Vergier, après avoir palpé les plaies moussantes de sang du cadavre, s'était appuyé de sa main au mur habillé de papier peint. Ils durent nettoyer. Le gosse, qui semblait n'avoir toujours pas vu Anastasio et son ami, avait filé.
Ils avaient vomi dans le caniveau.
Plus tard dans la nuit, ils décidèrent, selon la formule utilisée par Anastasio, d'aller "s'en jeter un".
Bastard ordonna le levé de rideau en commandant un steak bien saignant. Les autres se mirent aussi à jouer les cyniques blasés en l'imitant.
Puis Anastasio péta. Vergier enchaîna par une série de petits rots timides, presque féminins; ce qui les fit tous trois pouffer.
Scènes de misère. Comme si le sang ne flottait plus, ne puait plus.
Salopard. "
Ce fut juste murmuré mais avec force. De plus, le préfet de police avait agité son moignon comme pour en percuter la face délavée d'Anastasio. Celui-ci réagit:
- Où est Chantal ?" En posant la question, l'exorciste pensait orienter le débat dans une direction qui ne permettrait pas au flic de prendre la mouche. Ce fut le contraire qui se produisit. Vergier dut hurler pour se faire entendre.
- On cache rien, on ment plus, on s'dit tout!"
Le verdict de Bastard tomba:
- C'est vous qui parlez parce que c'est moi qui paie. "
Il prit, pour le dire, un air important puis ajouta, ironique:
- C'est quoi le "tout" ? "
- Bon on récapitule, annonça t-il presque jovial."
Il serra dans sa main la mâchoire endolorie du jeune homme dont les larmes se mirent à couler presque immédiatement. Au même instant, Cédric fit entendre sa petite voix. Cette fois il ne pleurait pas, il chantait. Nicolas aurait bien aimé dire à Bastard qu'il était inutile de le poursuivre, que l'enfant disparaîtrait très vite, mais déjà l'autre avait sauté et presque arraché la porte d'entrée.
VIENS VIENS N'AIES PAS PEUR
OH TOI LE GÉNITEUR.
ET SI UN JOUR TU M'ATTRAPAIS
DANS LES TÉNÈBRES TU CRÈVERAIS.
Nicolas entendit nettement le ricanement glacial du flic résonner dans sa tête. Il en eut peur, très peur, mais pour son fils. Puis plus rien, seulement le silence.
Lorsqu'on frappa à sa porte, il se précipita pour ouvrir, mais le téléphone se mit à gémir et Nicolas Lapierre revint sur ses pas pour décrocher.
C'était Anastasio:
Nom de dieu, n'ouvrez pas!"
Le détective raccrocha aussitôt.
Vergier avait eu l'idée de cette planque et insisté pour que les deux hommes ne se montrent pas.
Bastard avait bondi sur l'enfant qui se dégagea d'un mouvement à la fois souple et puissant de l'épaule. Puis Bastard s'était mis à se mordre violemment la main. La tête renversée en arrière, la face éclairée par un vague rayon de lune qui avait réussi à percer les nuages, Cédric continuait de rire. Il ne vit pas le détective et son associé; ils étaient cachés.
Anastasio avait téléphoné parce que, avait-il expliqué à Vergier, il fallait bien en profiter pour démontrer qu'il savait mériter ses honoraires.
L'enfant était quand même entré.
Le sang de son père gicla partout comme si un flacon de ketchup avarié avait explosé jusqu'au plafond.
La gorge béante, Nicolas Lapierre tenait dans sa main encore saccadée de tremblements un ridicule petit couteau de cuisine.
* * *
Bastard hurla:
- Touchez pas! Touchez à rien nom de dieu! "
C'était trop tard; Vergier, après avoir palpé les plaies moussantes de sang du cadavre, s'était appuyé de sa main au mur habillé de papier peint. Ils durent nettoyer. Le gosse, qui semblait n'avoir toujours pas vu Anastasio et son ami, avait filé.
Ils avaient vomi dans le caniveau.
Plus tard dans la nuit, ils décidèrent, selon la formule utilisée par Anastasio, d'aller "s'en jeter un".
Bastard ordonna le levé de rideau en commandant un steak bien saignant. Les autres se mirent aussi à jouer les cyniques blasés en l'imitant.
Puis Anastasio péta. Vergier enchaîna par une série de petits rots timides, presque féminins; ce qui les fit tous trois pouffer.
Scènes de misère. Comme si le sang ne flottait plus, ne puait plus.
Salopard. "
Ce fut juste murmuré mais avec force. De plus, le préfet de police avait agité son moignon comme pour en percuter la face délavée d'Anastasio. Celui-ci réagit:
- Où est Chantal ?" En posant la question, l'exorciste pensait orienter le débat dans une direction qui ne permettrait pas au flic de prendre la mouche. Ce fut le contraire qui se produisit. Vergier dut hurler pour se faire entendre.
- On cache rien, on ment plus, on s'dit tout!"
Le verdict de Bastard tomba:
- C'est vous qui parlez parce que c'est moi qui paie. "
Il prit, pour le dire, un air important puis ajouta, ironique:
- C'est quoi le "tout" ? "
Chapitre 28
Si Vergier avait connu certains aspects de l'affaire que Bastard avait découverts en fouinant dans les milieux ecclésiastiques, il n'aurait certes pas évoqué la possibilité d'instaurer une relation sincère ou tout au moins franche dans ce qu'il appela très vite: "cette foutue affaire".
Il sentait aussi que quelque chose lui échappait dans le comportement de Bastard. Cela lui faisait peur au point qu'il ne désirait pas connaître les raisons qui faisaient qu'un préfet de police fît appel à un détective privé.
Et il y avait la secte. Ses convictions religieuses lui avaient inculqué l'idée que ces pseudo-églises ne pouvaient être que l'émanation des puissances des ténèbres. Lorsque Anastasio avait, en feignant l'hésitation, émis le voeu de "se lancer dans l'exorcisme", Vergier fit semblant de croire que ce serait avec la collaboration de l'Eglise catholique. Ce n'est donc pas tout à fait une imposture, s'était-il dit.
L'Eglise, Vergier voulait lui rester fidèle, un peu comme le fut à l'islam son père adoptif, le marchand de cochons. Il avait hérité d'une porcherie que lui avait léguée un compagnon d'armes, officier français des Harkis. Génio ne connut jamais son véritable nom. Lorsqu'il fut recueilli par ce grand moustachu à la peau sombre, malgré ses cinq ans, il avait compris. Tout de suite, il l'appela Papa; et l'autre le serra contre lui en lui parlant de trésors et de lapins. Le vieux musulman priait tous les jours, égrenait son chapelet. Sauf les jours de marché ou il entassait ses porcs dans le vieux TuB Citroën et quittait la piste de la ferme, klaxonnant joyeusement. A sa mort, Génio connaissait le Coran et l'élevage des cochons.
L'Administration le plaça alors dans une autre famille arabe qui le surnomma presque exclusivement le fils du cochon. Il finit par s'enfuir. Il n'avait pas cru nécessaire de défendre le marchand de cochons. Il aurait pu dire que c'était un bon musulman et un fidèle ami qui, s'il avait refusé le legs de la porcherie, n'aurait pas pu adopter les cinq enfants de son compagnon d'armes.
Il avait quinze ans... Il rejoignit les Pyrénées. Il y trouva une cause à défendre et Anastasio.
Il y avait déjà une bonne heure que les deux amis avaient quitté Bastard et ils étaient un peu désappointés. Même le silence qu'ils gardaient, alors que tous deux ressentaient la nécessité de faire le point, était éloquent par le malaise qu'il instaurait.
Dès leur arrivée au bureau, Anastasio avait fait mine de s'affairer à prendre des notes sur un grand cahier corné dont Vergier savait que l'utilisation habituelle en était de contenir la liste des achats domestiques.
- Qu'est ce que tu fous, Tasio?"
- Je note. "
- Tu notes quoi? "
Anastasio aurait voulu que son ami l'aidât un peu comme lors du décès de la maman d'Angela. Vergier avait alors eu cette formule qu'il trouva sur le coup vide de sens, mais qui finit, dans sa simplicité, par revêtir toute son importance. "
Ecoute Tasio, avait-il déclaré, à présent, elle te fiche la paix et t'es trop vieux pour avoir une mère.
On fait le point? "
En guise de réponse, le détective leva la tête de son cahier. Il fixa son ami d'un regard vague, un peu sceptique.
- On note ensemble si tu veux. "
- D'accord! " dit Anastasio.
Mais moi, j'sais rien. "
- Tu sais, Lapierre ... "
- Quoi ? "
- C'est neuf mille cinq cent balles qu'il m'a donnés "
- Ouais? "
- Eh bien, c'est pas cinq mille, tête de lard. "
- J'avais oublié combien t'avais dit, Tasio. "
- Moi pas. "
- Bon, on bosse Tasio, tu veux? "
Vergier s'empara du cahier. Il proposa l'établissement d'une liste avec, à chaque élément transcrit, l'assentiment de son associé.
"Enfants tués dans le Midi par l'armée. "
"Nombre indéterminé dans les rapports officiels mais, sur bluff d'Anastasio, Bastard reconnaît des centaines."
Sur la page de vis à vis du cahier, Vergier semblait noter autre chose et Anastasio avait beau se contorsionner, il ne parvenait pas à déchiffrer l'écriture.
- Qu'est ce que c'est que tu écris? "
- Mais tu sais bien. "
- Alors pourquoi tu l'écris en arabe, Salam? "
Le détective avait parlé avec douceur. Vergier prit un air contrit.
- C'est pour pas que tu lises, Tasio. Ne m'appelle pas comme çà. Je suis chrétien, maintenant."
- Alors n'écris pas en arabe. Et quant à ta conversion, je suppose que tu as noté que c'est l'odeur sinon le goût du sang qui te la révélée. "
- C'est le cas pour tous les chrétiens. Nous avons versé le sang de Jésus et le buvons pour communier. "
Anastasio ne voyait pas l'intérêt d'une discussion théologique. C'en était trop, il bondit en hurlant:
- C'est quoi encore ce cirque, Génio? Ne change pas de sujet! "
Vergier se recroquevilla. Non qu'il eut peur mais il préféra ne pas réagir, ne pas montrer de trouble non plus. Je connais mon homme pensa-t-il et il parla avec humilité.
- C'est des questions que je dois te poser Tasio. "
- Fais-le tout de suite! "
- Mais j'attends. "
Anastasio préféra se calmer, montrer sa déception. Il prit pour cela une mine triste qui, croyait-il, ferait renoncer Vergier à l'inquisition qui ne tarderait pas.
- Ecoute vieux, moi j'te cache rien... "
- Toi aussi, tu as noté Sur le cahier tout à l'heure. "
- Mais tu as pu lire. "
- Non, j'ai tourné la page. "
Vergier se pencha de nouveau sur son cahier; des yeux, il interrogea son ami.
Anastasio, quant à lui, se leva. Se balançant bêtement d'une jambe sur l'autre, il dicta:
" Anastasio a connu Chantal Lapierre par l'intermédiaire d'Angela. Point. Il devint son amant. Point. "
- Arrête ton char, Tasio, tu veux? "
- C'est pas du chiqué, Génio. " Puis, élevant sensiblement la voix: ferme ça, on travaille, c'est tout. Pas de commentaire, écris plutôt:
" Bastard affirme être mandaté par une secte pour retrouver un enfant qui aurait survécu au massacre de l'Eguière. Il semble en avoir peur."
- Bon Dieu Tasio, et si ce client mentait ? "
- Ferme ça et écris : Bastard demande à Tasio de l'aider à retrouver l'enfant."
"Nicolas Lapierre demande également à Tasio de retrouver un enfant (le sien)."
"Chantal disparaît et Tasio-Génio rencontrent Bastard chez les Lapierre."
" Cédric Lapierre assassine son père."
- Ca, Tasio, en fait, tu l'as pas vu. "
- Ah oui, ce qui fait que selon toi, le père Nicolas, pour fêter le retour de son bébé se serait saisi d'un couteau avec lequel, dans une petite euphorie du moment, il se serait tranché la gorge."
- Cédric a seulement deux ans... "
- A deux ans, on ne s'en va pas tranquillement en pleine nuit après avoir constaté la mort de son père. "
- Ok Tasio, continue et j'écris. "
- Arrête Génio, on n'a pas le choix, faut faire parler Bastard ou laisser tomber. "
- Ouais et comment? "
- Il faut qu'il me dise ce qu'il sait, tu comprends? "
Vergier se leva pour se diriger vers le réfrigérateur afin d'y prendre des bières. Il fit mine de ne pas voir les yeux de son ami s'humidifier.
- Dis, Génio, bois ta bière et fous le camp. Emporte avec toi le carnet bleu qui est dans le second tiroir de la commode. Tu y trouveras des éléments intéressants. Tâche d'en faire la synthèse pour demain matin. "
Ce fut dit sur le ton du commandement.
Il sentait aussi que quelque chose lui échappait dans le comportement de Bastard. Cela lui faisait peur au point qu'il ne désirait pas connaître les raisons qui faisaient qu'un préfet de police fît appel à un détective privé.
Et il y avait la secte. Ses convictions religieuses lui avaient inculqué l'idée que ces pseudo-églises ne pouvaient être que l'émanation des puissances des ténèbres. Lorsque Anastasio avait, en feignant l'hésitation, émis le voeu de "se lancer dans l'exorcisme", Vergier fit semblant de croire que ce serait avec la collaboration de l'Eglise catholique. Ce n'est donc pas tout à fait une imposture, s'était-il dit.
L'Eglise, Vergier voulait lui rester fidèle, un peu comme le fut à l'islam son père adoptif, le marchand de cochons. Il avait hérité d'une porcherie que lui avait léguée un compagnon d'armes, officier français des Harkis. Génio ne connut jamais son véritable nom. Lorsqu'il fut recueilli par ce grand moustachu à la peau sombre, malgré ses cinq ans, il avait compris. Tout de suite, il l'appela Papa; et l'autre le serra contre lui en lui parlant de trésors et de lapins. Le vieux musulman priait tous les jours, égrenait son chapelet. Sauf les jours de marché ou il entassait ses porcs dans le vieux TuB Citroën et quittait la piste de la ferme, klaxonnant joyeusement. A sa mort, Génio connaissait le Coran et l'élevage des cochons.
L'Administration le plaça alors dans une autre famille arabe qui le surnomma presque exclusivement le fils du cochon. Il finit par s'enfuir. Il n'avait pas cru nécessaire de défendre le marchand de cochons. Il aurait pu dire que c'était un bon musulman et un fidèle ami qui, s'il avait refusé le legs de la porcherie, n'aurait pas pu adopter les cinq enfants de son compagnon d'armes.
Il avait quinze ans... Il rejoignit les Pyrénées. Il y trouva une cause à défendre et Anastasio.
Il y avait déjà une bonne heure que les deux amis avaient quitté Bastard et ils étaient un peu désappointés. Même le silence qu'ils gardaient, alors que tous deux ressentaient la nécessité de faire le point, était éloquent par le malaise qu'il instaurait.
Dès leur arrivée au bureau, Anastasio avait fait mine de s'affairer à prendre des notes sur un grand cahier corné dont Vergier savait que l'utilisation habituelle en était de contenir la liste des achats domestiques.
- Qu'est ce que tu fous, Tasio?"
- Je note. "
- Tu notes quoi? "
Anastasio aurait voulu que son ami l'aidât un peu comme lors du décès de la maman d'Angela. Vergier avait alors eu cette formule qu'il trouva sur le coup vide de sens, mais qui finit, dans sa simplicité, par revêtir toute son importance. "
Ecoute Tasio, avait-il déclaré, à présent, elle te fiche la paix et t'es trop vieux pour avoir une mère.
On fait le point? "
En guise de réponse, le détective leva la tête de son cahier. Il fixa son ami d'un regard vague, un peu sceptique.
- On note ensemble si tu veux. "
- D'accord! " dit Anastasio.
Mais moi, j'sais rien. "
- Tu sais, Lapierre ... "
- Quoi ? "
- C'est neuf mille cinq cent balles qu'il m'a donnés "
- Ouais? "
- Eh bien, c'est pas cinq mille, tête de lard. "
- J'avais oublié combien t'avais dit, Tasio. "
- Moi pas. "
- Bon, on bosse Tasio, tu veux? "
Vergier s'empara du cahier. Il proposa l'établissement d'une liste avec, à chaque élément transcrit, l'assentiment de son associé.
"Enfants tués dans le Midi par l'armée. "
"Nombre indéterminé dans les rapports officiels mais, sur bluff d'Anastasio, Bastard reconnaît des centaines."
Sur la page de vis à vis du cahier, Vergier semblait noter autre chose et Anastasio avait beau se contorsionner, il ne parvenait pas à déchiffrer l'écriture.
- Qu'est ce que c'est que tu écris? "
- Mais tu sais bien. "
- Alors pourquoi tu l'écris en arabe, Salam? "
Le détective avait parlé avec douceur. Vergier prit un air contrit.
- C'est pour pas que tu lises, Tasio. Ne m'appelle pas comme çà. Je suis chrétien, maintenant."
- Alors n'écris pas en arabe. Et quant à ta conversion, je suppose que tu as noté que c'est l'odeur sinon le goût du sang qui te la révélée. "
- C'est le cas pour tous les chrétiens. Nous avons versé le sang de Jésus et le buvons pour communier. "
Anastasio ne voyait pas l'intérêt d'une discussion théologique. C'en était trop, il bondit en hurlant:
- C'est quoi encore ce cirque, Génio? Ne change pas de sujet! "
Vergier se recroquevilla. Non qu'il eut peur mais il préféra ne pas réagir, ne pas montrer de trouble non plus. Je connais mon homme pensa-t-il et il parla avec humilité.
- C'est des questions que je dois te poser Tasio. "
- Fais-le tout de suite! "
- Mais j'attends. "
Anastasio préféra se calmer, montrer sa déception. Il prit pour cela une mine triste qui, croyait-il, ferait renoncer Vergier à l'inquisition qui ne tarderait pas.
- Ecoute vieux, moi j'te cache rien... "
- Toi aussi, tu as noté Sur le cahier tout à l'heure. "
- Mais tu as pu lire. "
- Non, j'ai tourné la page. "
Vergier se pencha de nouveau sur son cahier; des yeux, il interrogea son ami.
Anastasio, quant à lui, se leva. Se balançant bêtement d'une jambe sur l'autre, il dicta:
" Anastasio a connu Chantal Lapierre par l'intermédiaire d'Angela. Point. Il devint son amant. Point. "
- Arrête ton char, Tasio, tu veux? "
- C'est pas du chiqué, Génio. " Puis, élevant sensiblement la voix: ferme ça, on travaille, c'est tout. Pas de commentaire, écris plutôt:
" Bastard affirme être mandaté par une secte pour retrouver un enfant qui aurait survécu au massacre de l'Eguière. Il semble en avoir peur."
- Bon Dieu Tasio, et si ce client mentait ? "
- Ferme ça et écris : Bastard demande à Tasio de l'aider à retrouver l'enfant."
"Nicolas Lapierre demande également à Tasio de retrouver un enfant (le sien)."
"Chantal disparaît et Tasio-Génio rencontrent Bastard chez les Lapierre."
" Cédric Lapierre assassine son père."
- Ca, Tasio, en fait, tu l'as pas vu. "
- Ah oui, ce qui fait que selon toi, le père Nicolas, pour fêter le retour de son bébé se serait saisi d'un couteau avec lequel, dans une petite euphorie du moment, il se serait tranché la gorge."
- Cédric a seulement deux ans... "
- A deux ans, on ne s'en va pas tranquillement en pleine nuit après avoir constaté la mort de son père. "
- Ok Tasio, continue et j'écris. "
- Arrête Génio, on n'a pas le choix, faut faire parler Bastard ou laisser tomber. "
- Ouais et comment? "
- Il faut qu'il me dise ce qu'il sait, tu comprends? "
Vergier se leva pour se diriger vers le réfrigérateur afin d'y prendre des bières. Il fit mine de ne pas voir les yeux de son ami s'humidifier.
- Dis, Génio, bois ta bière et fous le camp. Emporte avec toi le carnet bleu qui est dans le second tiroir de la commode. Tu y trouveras des éléments intéressants. Tâche d'en faire la synthèse pour demain matin. "
Ce fut dit sur le ton du commandement.