
Le Rattachement de Nice à la
France (II)
"On ne détruit que réellement que
ce qu'on remplace."
Napoléon III
(Article précédent)
I Les Questions (suite) :
Nous l'avons vu. Les faits
historiques sont à prendre en compte. Mais
également les mentalités, en un mot le quotidien
des deux protagonistes d'alors.
Les avocats de l'annexion mirent
en avant - et a posteriori en général -
l'argument de la langue. Le Niçois, dérivé du
Provençal, justifierait à lui seul le
rattachement à la France de ses locuteurs.
Cette affirmation n'est pas
seulement erronée mais elle a pu être démontrée
dangereuse. Se souvient-on de l'annexion des
Sudètes par l'Allemagne en 1938 sur le fondement
des germanophones de Bohême et Moravie? Ainsi,
le Provençal qui n'est pas une langue nationale
française mais régionale ferait que Nice est
naturellement française. Dès lors, quid de
l'Alsace et de la Lorraine, de la Belgique, de
la Suisse et du Luxembourg? Les deux premières
devraient être allemandes et les suivantes
françaises? Mais, de même, une partie des Belges
ne parle-t-elle pas l'Allemand? Il convient donc
de l'affirmer, la langue n'est pas un critère
d'appartenance. Ce, d'autant plus, qu'en 1860 et
pendant tout le siècle qui a précédé, si le
niçois est langue du quotidien, elle n'est pas
celle des actes de la pratique, des
communications commerciales écrites et des
récits.
Enfin, la langue Niçoise est très
largement autonome du Provençal au moment de
l'Annexion et a suivi son propre cursus,
détachée de la fixation définitive de la langue
des Félibres par les Mistral ou Daudet.

Extrait du Journal du capitaine Ludovic Figuiera,
1788 (Collection XC)
Ainsi, le jeune capitaine
Figuiera, écrit-il son journal de bord en
italien. Nous sommes en 1788.

Acte de
cession du droit d'usage de la fontaine publique
d'Eze du 1er juin 1851- Collection XC
De même, parmi beaucoup d'autres,
cet acte de 1851, rédigé en langue italienne.
Les signes :
Argument rarement considéré : les
Niçois auraient-ils contresigné leur annexion à
la France par fierté de contribuer à l'Unité
Italienne?
Chez eux, nul irrédentisme
populaire, manifestations de foules en faveur
d'une intégration au grand voisin gouverné sous
la forme d'un empire libéral somme toute
avenant. En revanche, la "question"
qu'ils connaissent bien est celle de la
formation d'une grande Italie dont le monarque
ne serait autre que le chef de la Maison de
Savoie. Pourquoi ne pas envisager celle de
Bourbon des Deux-Siciles? Dès lors, la question
de 1860 aurait, sans doute, été posée à la
Sicile qui compte une présence "franque" de plus
d'un millénaire et qui fit l'objet de maintes
invasions françaises.
Voilà pourquoi. Le nouveau
représentant de la Maison des Deux-Siciles, le
roi Ferdinand III, meurt en 1859. François II,
son successeur, saisissant de faiblesse, est
bousculé par les troupes de Guiseppe Garibaldi
qui, le 11 mai, prennent Marsala. Le 6
septembre, c'est le tour de Naples, l'armée du
Nord rejoignant les garibaldiens et autres
insurgés siciliens pour éviter la création d'un
royaume séparé de l'Italie.
Il en est sorti la proclamation
du Royaume d'Italie à Turin le 18 février 1861.
Victor-Emmanuel II inscrit ainsi dans le marbre
le fait patent que l'unité italienne a été le
fruit des efforts du royaume de Sardaigne et de
la Maison de Savoie.
A ce stade, il convient
d'affirmer un fait, lui aussi, peu évoqué. Le
Comté de Nice ne fut jamais ce petit état
enclavé, si ce n'est fermé, composé d'un peuple
insouciant et non informé. La vraie guerre,
politique et militaire, qui fait rage en Italie
est parvenue aux oreilles et consciences
niçoises. Le niçois de la rue, comme celui des
allées du pouvoir, est la témoin au quotidien
des affrontements entre les revendications
autrichiennes, pontificales et locales. Celle de
la France : Nice et la Savoie, prix du soutien
au nouvel état italien, n'en est qu'une parmi
d'autres et la capitale de notre niçois est bien
toujours Turin. On y fait ses études (Malausséna
y fit son droit), du commerce, on y a des
cousins et des amis. Au mois d'avril 1860, Nice
se sent italienne plus que jamais. Son maire
pense, parce que Sa Majesté le lui a confirmé,
que le dernier verrou vers la Grande Italie,
demeure cette question du rattachement du Comté
à la France. Le vote qui en résulta est le
fruit, lui aussi, de cette conviction.
Plus important encore. Le Traité
publié par le Moniteur le 30 mars 1860, est
avant tout un "contrat intuitu personae". Ce
fait n'est pas important, il est CAPITAL.
(Le
"Moniteur" - 30 mars 1860 - Collection
Xavier Cottier)


I Le Contrat des Peuples :
Un traité, texte figurant au
sommet de la hiérarchie légale dans le monde
entier et singulièrement en France, revêt, en
général, deux natures.
Ratification d'un état de fait,
il fait peu cas de la conscience des peuples et,
ce, parce qu'il est signé après une guerre ou
d'une occupation. Les frontières sont tracées au
cordeau, passent au milieu des langues et des
communautés, sans souci de la réalité des
échanges et de l'histoire. Il fait partie, en ce
mois d'avril 1860, d'un passé quasi médiéval.
Le second, est un contrat. Il
correspond davantage au "droit de cité" romain
et dépend exclusivement de la nature et de la
qualité des peuples et de ceux qui les
gouvernent.
Il s'agit bien de cette dernière
situation en cette milieu du XIXe siècle. Tout
d'abord, la personne de Napoléon III. Disons, au
passage, comme il est triste de constater
combien la France dans son ensemble, ne tenta
pas d'instruire les nombreux mauvais procès qui
lui furent faits après la défaite de Sedan. Ils
lui valent toujours de reposer en Angleterre. Le
neveu de Napoléon Ier reposant chez ses geoliers!
Plus grave, même en 1860 l'on ne sentit pas la
moindre véritable gratitude nationale pour le
ci-devant Prince Président, devenu Empereur
éclairé, alors que sa
diplomatie donna à la nation deux irremplaçables
sources de richesses de tous ordres : le Comté
de Nice et le Duché de Savoie.
Les niçois gardent, en général,
un bon souvenir de l'occupation française
d'après Thermidor et le Général Bonaparte,
l'italianisant, contribua à insuffler de la
conquête et de l'héroïsme sur une terre qui
s'endormait quelque peu. Puis, "la paille au
nez" étant devenu Empereur, Roi d'Italie, etc.
ils voient se dessiner les traits d'une Europe
en mouvement.

Trente-cinq ans plus tard, le
personnage du Prince Louis-Napoléon est
considéré avec intérêt par les niçois. Son
cursus italien - ne fut-il pas membre des "carbonari"
-, le rétablissement de relations normales avec
le Roi de Sardaigne puis la contribution de
l'institution de celui-ci en Roi d'Italie, la
nature même du régime qu'il a édifié, soit
l'Empire Libéral, font que son image est
familière, pour ne pas dire amicale.
Les notables niçois ne sont pas
plus réservés mais, disons, plus prudents et il
est avéré qu'il faudra rien de moins qu'un
empereur et un roi pour convaincre François
Malausséna d'apporter son poids politique à
l'entreprise de l'Annexion.
Puis, vint le temps de la
défaite. Napoléon III à l'instar de son oncle
illustre, succombe à une bataille et avec lui la
France. Ce n'est, peut-être, qu'à partir de 1871
que Nice se sent française de cœur, avec le
regret à l'âme de penser à rejoindre l'Italie
naissante. Le lien, cette touche d'intuitu
personae si importante, est rompu. Ce manque de
lien explique le NON français à l'Europe de
2005. Car qui a dit :
"L'important, c'est que le
gouvernement, quelle que soit sa forme, s'occupe
du bonheur du peuple." ? Le Prince
Louis-Napoléon en 1839.
Qui a dit : "Le gouvernement
n'est pas comme l'a proclamé un économiste
distingué, "un ulcère nécessaire" ; mais c'est
plutôt le moteur bienfaisant de tout organisme
social." ? Le Prince Louis-Napoléon en 1839.
Qui a dit? "Quant aux réformes
possibles, voici celles qui me paraissent les
plus urgentes : admettre toutes les économies
qui, sans désorganiser les services publics,
permettent la diminution des impôts les plus
onéreux au peuple ; encourager les entreprises
qui, en développant les richesses de
l'agriculture, peuvent donner du travail aux
bras inoccupés ; pourvoir à la vieillesse des
travailleurs par des institutions de prévoyance
; introduire dans nos lois industrielles les
améliorations qui tendent, non à ruiner le riche
au profit du pauvre, mais à fonder le bien-être
de chacun sur la prospérité de tous." Oui,
toujours lui.

Napoléon III
sur son lit de mort