Le domaine de l’intelligence artificielle, monopolisé par le monde capitaliste numérique et quantique, présente des fissures. Les failles ne concernent pas seulement la mécanisation illimitée et l’augmentation de l’efficacité pour maximiser le profit capitaliste. Ils sont également liés aux formes et aux moyens de déshumaniser l’humanité.
L'historicisation de l'humanité est un concept important dans l'œuvre de Marx. Renversant le réductionnisme mécaniste et, surtout, l'universalité abstraite attribuée à l'homme par Hegel et/ou Feuerbach, Marx formule la position de l'homme comme universalité concrète. Surtout dans la partie III des « Manuscrits » (1844), il explique la qualité d'humanité du genre humain. Par ailleurs, Marx notait dans les Manuscrits de 1844 : « Dire que l'homme est un être matériel, vivant, réel, sensible, objectif, doté de pouvoirs naturels, signifie qu'il a des objets sensibles réels comme objets de son existence et de son expression vitale... ».
Ces mêmes objets de l’existence humaine en tant qu’existence matérielle-objective dotée de forces naturelles d’expression vitale sont des composants du système nerveux central et des neurones que l’on trouve exclusivement dans le cerveau et la moelle épinière et qui dirigent les messages. Nous savons aujourd’hui qu’il existe 86 milliards de neurones (cellules conductrices) dans le cerveau humain, qui réalisent une multitude de processus cognitifs. Récemment, l'existence de trois autres types de cellules que la science neurologique appelle « cellules gliales » a été annoncée et qui étaient inconnues jusqu'à récemment : ce sont les astrocytes (régulent le flux d'informations), les microglies (maintiennent le réseau en ordre) et oligodendrocytes (régulation des signaux).
Les neurones et les cellules gliales constituent la machinerie biologique de la pensée humaine. À bien des égards, la perception peut être basée sur ce réseau complexe de neurones, dont le rôle est de gérer les ajustements, les conversions et les croisements. En particulier, toutes les nouvelles données nous aident à comprendre la science non pas comme un mystère, une utopie ou un appareil déidéologique, mais comme un processus historique.
Cependant, les données scientifiques (neurologie, médecine, etc.) sont en passe d'être pleinement intégrées dans le chapitre. Par exemple, les neurones et les cellules gliales sont de plus en plus exploités par de grands groupes économiques – notamment issus de « l’économie de guerre » – qui conçoivent et produisent des réseaux neuronaux artificiels dans le but d’applications similaires dans l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle (IA).
En d’autres termes, les nouvelles données scientifiques ne sont pas socialisées, mais soumises à la domination et au contrôle de l’oligarchie économique.
Nous observons que la bourgeoisie tente de commercialiser complètement le contenu des nouvelles connaissances scientifiques. Il convient de noter qu'il y a quelques jours à peine, Eliza, le nouvel outil d'intelligence artificielle de BNY, une société mondiale de services financiers qui négocie des titres d'une valeur de plus de 15.000 milliards de dollars par jour, a été annoncée. La partie physique du cerveau d'Eliza — qui remplace essentiellement les travailleurs — est constituée de micropuces Nvidia et d'une infrastructure cloud, toutes prises en charge par Azure et Google Cloud de Microsoft. Les concurrents d'Eliza opèrent bien entendu par correspondance ou par analogie dans d'autres groupes financiers puissants (Goldman Sachs, JPMorgan, etc.). Dans le même temps, le rapport de Citigroup de juin dernier prévoyait que plus de 54 % des emplois dans le secteur bancaire seraient entièrement automatisés.
En conclusion, nous dirions que les systèmes de technologies numériques et quantiques, au lieu de contribuer à la libération de l’humanité et à la prospérité populaire, fonctionnent comme des piliers de l’État bourgeois sur le plan économique, répressif et idéologique. Dans le même temps, la concurrence féroce du capital technologique de pointe s’accélère et s’intensifie, au nom de la modernisation des services et de la sécurité publique.
D’un autre côté, les résultats des applications de l’intelligence artificielle (IA), ainsi que les efforts réglementaires en cours dans l’UE et en Amérique du Nord, mettent en évidence à la fois les conditions de travail inégales et l’aggravation des contradictions du mode capitaliste de développement numérique de la production.En fait, dans la mesure où la conception et la production de réseaux de neurones artificiels renforcent non seulement les objectifs du complexe « militaro-industriel » dans le cyberespace, mais également l'intensification de nouvelles contre-mesures au moyen d'algorithmes de décision mécaniques, l'intelligence artificielle devient un futur domaine d'activité crucial dans la concurrence intra-impérialiste.
Dans le contexte d'une utilisation militaire accrue d'armes dotées de capacités d'intelligence artificielle et, par extension, de l'essor de l'industrie qui les fournit, le règlement 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil relatif à la régulation de l'intelligence artificielle a été adopté et est appliqué depuis le début du mois dernier. Il s'agit d'une régulation couvrant les « sensibilités démocratiques » ou, en d'autres termes, d'une liste de souhaits platoniques établie avec le critère du profit des groupes monopolistiques, directement liés aux fonds de numérisation, d'exploitation du big data bancaire et de la robotique. De plus, cette réglementation spécifique vise à manipuler les masses populaires pour que le système bourgeois puisse, à travers les représentants politiques, accroître l'exploitation des travailleurs sans droits acquis et en interdisant l'action syndicale. On estime que l’intelligence artificielle générative dépassera 1300 milliards de dollars d'ici à 2032.
Cependant, les possibilités produites par le progrès scientifique et technologique – et que l’intelligentsia bourgeoise appelle sans appréciation la « 4ᵉ révolution industrielle » – créent de nouvelles possibilités objectives pour la planification centrale de la future force de travail.
Dans cette conception même, l’intelligence artificielle – basée sur le bien-être public – peut être utilisée pour réduire le temps de travail, ainsi que pour améliorer considérablement la vie quotidienne. À une époque où l’édifice scientifique est submergé par les politiques des partis bourgeois en faveur de sa commercialisation holistique, ainsi que par des conceptualisations de nature instrumentale et/ou utilitaire, le Parti Communiste de Grèce a impérativement placé au centre, entre autres choses, la question nécessaire d'une socialisation plus profonde du travail et des connaissances scientifiques.
K. Gouliamos, membre de l'Académie européenne des sciences et des arts, ancien recteur de l'Université européenne de Chypre. Ancien candidat du KKE aux élections européennes.
902.gr
