Rencontrez les communistes qui gouvernent maintenant le Chili

Javiera Reyes, 31 ans, est la nouvelle maire de la municipalité de Santiago de Lo Espejo au Chili. "J'ai grandi dans une maison où Salvador Allende était toujours le bon gars, nous dit-elle, et Augusto Pinochet était un tyran. Cela a marqué ma vie". Le commentaire de Reyes reflète les anciennes divisions qui ont bouleversé la politique chilienne depuis le coup d'État du général Augusto Pinochet contre l'ancien président Salvador Allende de la coalition de l'Unité populaire le 11 septembre 1973.

Près de 50 ans se sont écoulés et pourtant le Chili est toujours influencé par l'héritage de ce coup d'État et de la dictature de Pinochet, qui a duré de 1973 à 1990. Les élections de mai 2021, qui ont propulsé Reyes à la mairie de Lo Espejo, ont également concernées la Convention constitutionnelle pour réécrire la constitution de l'ère Pinochet de 1980. La victoire de Reyes et les gains réalisés par l'alliance de gauche pour façonner la nouvelle constitution suggèrent que c'est l'héritage d'Allende qui façonnera l'avenir et non celui de Pinochet.

Reyes est membre du Parti communiste du Chili (PCCh), qui s'est profondément enraciné dans la société chilienne au cours des 109 dernières années. Un leader du PCCh — Daniel Jadue — sera le candidat de la gauche à l'élection présidentielle qui se tiendra en novembre 2021. Jadue, comme Reyes, est maire d'une municipalité de la vaste capitale chilienne de Santiago (un tiers des 18 millions d'habitants du Chili vivent là). Lors des élections de mai 2021, il a été réélu à la mairie de Recoleta, qu'il dirige depuis 2012.

"Il y a une continuité historique dans la politique [du PCCh]", nous a dit Jadue, "avec le même horizon – mis à jour, bien sûr. Personne ne songe à reprendre des projets étatiques ou le socialisme tel qu'il a été tenté, mais il y a incontestablement une continuité historique, et nous participons d'une manière ou d'une autre au rêve de ceux qui, dans les années 1970, cherchaient à construire un pays plus juste et qui cherchent aujourd'hui exactement la même chose".

Votez sans crainte

Jadue est en tête des sondages des élections générales de novembre 2021 pour remplacer le président chilien de droite Sebastián Piñera. Déjà, la presse a commencé à rapporter les différentes positions prises par Jadue au cours de sa vie, en particulier son association dans les années 1980 avec l'activisme palestinien.

La diffamation des candidats de gauche fait désormais partie du processus électoral en Amérique latine. La presse d'extrême droite équatorienne a déclaré que le candidat de gauche à la présidence, Andrés Arauz, avait pris de l'argent à la guérilla colombienne de gauche ELN (Armée de libération nationale). La presse de droite a également rapporté que l'actuel candidat présidentiel du Pérou, Pedro Castillo, qui mène de peu , était similaire au Sendero Luminoso (Sentier lumineux), qui est une insurrection de guérilla maoïste au Pérou. Jadue rejette ces allégations portées contre les candidats de gauche. "Je veux que tout mon dossier soit visible parce que je n'ai rien à cacher", a déclaré Jadue lorsqu'il nous a parlé.

Les communistes ont participé aux élections des 15 et 16 mai sous le slogan « Votez sans peur » (Vota Sin Miedo). Ce slogan vient d'une longue histoire, qui fait partie de l'héritage du parti. Le PCCh a été interdit et ses membres ont été persécutés sur trois périodes : 1927-1931, 1948-1958 et 1973-1990. La dictature de Pinochet a tué des milliers de communistes , dont de nombreux dirigeants clés. Une partie de la société chilienne était en proie à la peur provoquée par le socialisme d'Allende, qui était essentiellement le résultat de la haine cultivée pendant la dictature de Pinochet. Même aujourd'hui, des années plus tard, il faut encore du courage pour se tenir aux côtés des communistes.

La peur du communisme a diminué, nous a dit Reyes, parce que les élus du PCCh ont montré à leurs électeurs efficacité et compassion à travers leur gouvernance. La Recoleta de Jadue est devenue une vitrine, avec une pharmacie municipale, un magasin d'optique, une librairie et un magasin de disques, une université ouverte et des projets immobiliers fonctionnant sans aucun but lucratif selon la vision de Jadue en tant que maire de la municipalité.

Javiera Reyes dit que son communisme est enraciné dans sa « conception d'un gouvernement municipal qui commence par l'universalisation des droits et la capacité de créer les conditions d'une bonne vie ». Le projet de socialisme municipal commence par « la santé, l'éducation et les espaces communs », dit Reyes. C'est un projet « démocratique et ouvert à la communauté ».

Contrairement aux maires de droite du Chili, les maires communistes de Santiago tels que Reyes, Jadue et Iraci Hassler (qui a été élu en mai 2021 à la mairie de Santiago Centro) ont placé le rôle des femmes au cœur de leurs politiques, y compris des mécanismes pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ils veulent créer une société sans peur au sens le plus large possible.

Révolution des pingouins

En 2006, des étudiants de tout le Chili ont protesté contre la privatisation de l'éducation. Leur lutte de masse s'appelait la « Révolution des pingouins » à cause de leurs uniformes scolaires en noir et blanc. "La révolution des pingouins en 2006 a été ma première [introduction] à la politique", nous a dit Reyes. Reyes et Hassler ont tous deux participé aux manifestations massives de 2011 et 2013 contre les inégalités qui ont marqué l'enseignement secondaire et universitaire dans le pays. Reyes a rejoint le PCCh au cours de cette période. D'autres étudiants qui sont actuellement des politiciens chiliens, tels que Camila Vallejo et Karol Cariola ainsi que Hassler, étaient déjà communistes.

Les manifestations étudiantes coïncidaient avec les manifestations et les grèves des travailleurs de tous les secteurs. Leurs protestations ont ébranlé le consensus des élites qui, depuis la chute de Pinochet en 1990, n'avaient pas tenté d'écrire une nouvelle constitution pour le pays ni pris la peine de formuler une voie pour sortir de l'étouffement néolibéral.

En octobre 2019, des lycéens ont protesté contre la hausse des tarifs des transports publics. Cette vague de protestations, qui se poursuit, a commencé à définir la vie politique du Chili. Avec le slogan « Ce n'est pas 30 pesos, c'est 30 ans », les étudiants ont souligné la nécessité d'une nouvelle constitution.

Le Chili a le taux de participation électorale le plus bas d'Amérique latine. Après 17 ans de dictature, la confiance dans les structures étatiques avait pratiquement disparu. Le vote était obligatoire jusqu'en 2009, même si l'inscription pour voter n'était pas obligatoire. Les jeunes ne se sont pas inscrits au service électoral (Servel). La demande d'une nouvelle constitution a été un signal d'alarme pour la jeunesse. Les données montrent que plus de la moitié des jeunes chiliens âgés de 18 à 29 ans ont voté lors des élections, les femmes représentant 52,9% des électeurs.

Les femmes et les jeunes façonneront la Convention constitutionnelle, tout comme les femmes et les jeunes femmes en particulier, telles que Reyes et Hassler, ont pris en charge les bureaux des maires. La Convention constitutionnelle de 155 membres est remplie de jeunes comme Reyes et Hassler, une partie importante de la gauche. La droite n'a pas pu remporter un tiers de la convention, ce qui lui aurait conféré un droit de veto. Cela signifie que la nouvelle constitution, qui sera rédigée dans les neuf prochains mois, aura un caractère progressiste.

Le 18 juillet, Jadue affronte une primaire contre Gabriel Boric, un autre leader étudiant et désormais leader du Frente Amplio (Front large). Tout indique que Jadue l'emportera sur Boric puis rencontrera les candidats de la droite en novembre. Il sera le troisième communiste à briguer la présidence, après Elías Lafertte Gaviño (1931 et 1932) et Gladys Marín (1999). Si les sondages sont exacts, Jadue sera le premier président communiste du Chili.

People's World - article issue du site Pressenza