Plus de 400 trains annulés, 450 salariés du rail canadien au chômage technique, deux milliards de dollars de marchandises bloqués en provenance des États-Unis, un Premier ministre en goguette sommé de rentrer de toute urgence… Que se passe-t-il au Canada ?

Tout commence en 2012, sur les terres des Amérindiens Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, sur la côte Pacifique. Le groupe TC Energie, plus connu sous son ancien nom TransCanada, entame des discussions avec les peuples autochtones pour faire passer son futur gazoduc sur leur territoire. Le Coastal GasLink doit transporter 141 millions de mètres cubes de gaz par jour, de Dawson Creek, dans le nord-est de l’État, au terminal de gaz liquéfié prévu près de Kitimat, sur la côte.

À la clé, il y a de l’argent pour les communautés. Sur un projet estimé à 36 milliards d’euros, TC Energie prévoit de leur verser 312 millions de bénéfices, auxquels s’ajoutent 572 millions de contrats réservés aux entrepreneurs locaux. Les conseils élus des vingt Premières nations ont tous – sauf un – signé des accords avec la compagnie. C’est un moyen de lutter contre la pauvreté , assure l’élue Karen Ogen-Toews.

C’était sans compter sur l’autre mode de gouvernance des communautés, ancestral, où chaque maison ou clan est aussi dirigé par un chef héréditaire. Et celui-ci ne sort pas toujours gagnant des élections. Huit des chefs wet’suwet’en s’opposent justement au passage du gazoduc sur leur territoire, qui ne sont pas des réserves, mais des terres dites non cédées , pour lesquelles l’État canadien n’a jamais signé de traité. La plus grande préoccupation de notre peuple est la santé de nos terres et de nos rivières , explique ainsi le chef Smogilhgim, à l’agence La Presse canadienne.

Les manifestations ont gagné Montréal

Depuis des mois, les militants wet’suwet’sen bloquent régulièrement l’avancée des travaux du gazoduc. En janvier, les négociations menées par les élus de Colombie-Britannique, favorables à ce projet qu’ils jugent moins néfastes pour l’environnement que le pétrole issu des sables bitumineux, échouent. Début février, la Gendarmerie royale du Canada arrête vingt et un manifestants, libérés depuis.

Ces arrestations ont fait sortir du bois d’autres militants autochtones et des écologistes. Et la stratégie de blocage s’est fixée sur le réseau ferré de Canadian National. La contestation a gagné du terrain, d’ouest en est, jusqu’à Montréal.

Pressé de toutes parts, le Premier ministre Justin Trudeau a dû mettre entre parenthèses sa campagne internationale pour doter son pays d’un siège non permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies. Lundi 17 février, il est rentré pour résoudre cette situation de façon paisible, mais aussi de façon rapide , a-t-il déclaré. Personne, au Canada, n’a envie de revivre la crise d’Oka : soixante-dix-huit jours d’affrontements et un mort en 1990, entre les forces de l’ordre et des manifestants mohawks qui ne voulaient d’un golf sur leurs terres ancestrales.

Des communautés en lutte pour l’eau potable

Un mouvement de fond pour le droit de vivre sur des terres non polluées est sur les rails, au Canada. Les autochtones ont l’oreille des Nations unies qui leur reconnaît un rôle essentiel dans la préservation de l’environnement. En 2016, plus de quatre-vingts communautés ne disposaient pas d’une eau potable, faute d’un système d’assainissement aux normes ou en raison d’une pollution aux métaux lourds, dénonçait une vaste étude de l’ONG Human Rights Watch. Il restait encore cinquante-six, en octobre, malgré les promesses de Justin Trudeau. Le Canada n’est pourtant pas un pays du tiers-monde , pestait Autumn Pelter, jeune activiste de la nation Wiikwemkoong, invitée avec le mouvement de Greta Thunberg pour le climat, à Davos, en Suisse, en janvier.

RFI