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Eric Bocquet, sénateur PCF du Nord - Programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017


Finance, impôt, budget : Une loi filleule du traité budgétaire européen
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, maintenant que le corps électoral a parlé et manifesté sa volonté de changement, la France doit-elle tout faire pour être le meilleur élève de la classe européenne ?

Devons-nous penser l’action publique, nos impôts, nos taxes, notre système de prélèvements obligatoires en général, notre manière de gérer les affaires publiques et nos réponses aux besoins de la société au travers de ce seul objectif : l’équilibre des comptes publics en 2017 ? Cela passe par la réduction des déficits de tous ordres, réduction portée par la croissance des recettes et la maîtrise, sinon la diminution, des dépenses ?

Devons-nous nous satisfaire, mes chers collègues, après les 30 milliards d’euros d’impôts supplémentaires décidés pour 2013, d’une longue phase de latence de 2014 à 2017, aucune mesure ne venant accroître significativement le poids des impôts, taxes, prélèvements et cotisations, comme le prévoit l’article 2 bis du présent projet de loi de programmation ?

Devons-nous penser que la maîtrise des dépenses publiques, marquée par la réduction des crédits de l’essentiel des missions budgétaires, hors les priorités accordées à l’enseignement, la recherche, la justice et la sécurité, est la seule voie qui s’ouvre à nous ?

Devons-nous espérer que la croissance « spontanée » née du comportement vertueux des agents économiques sera suffisante pour engendrer, une année ou une autre, cinq ou dix milliards d’euros de recettes supplémentaires qui viendront alléger la dette publique d’autant, comme le prévoit l’article 14 du projet de loi ?

Devons-nous prendre pour argent comptant les prévisions linéaires de croissance à 2 % l’an à compter de 2014 et de croissance de la masse salariale privée de 4 % par an, comme si, d’un seul coup ou presque, tout allait s’arranger pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Devons-nous, enfin, croire aux vertus de la progression des dépenses d’assurance maladie, fixée de manière linéaire à 2,5 % par an, c’est-à-dire environ 4,5 milliards d’euros de plus, par l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM ?

Évidemment, des circonstances exceptionnelles – canicule, virus de la grippe particulièrement résistant aux vaccins, vague de froid polaire,… – pourraient faire dévier quelque peu de la « trajectoire » ainsi fixée. D’aucuns espèrent pourtant tenir ce cap, qui, pourtant, prive déjà la plupart des hôpitaux publics des moyens de leur développement, ampute leur capacité à investir et à embaucher des personnels qualifiés, et met parfois en cause la qualité même du service.

Les questions que je viens de rappeler – tout comme d’ailleurs le début de cette discussion – montrent à quel point la manière de poser les problèmes est biaisée dans notre pays, dès lors que l’on parle de dépenses publiques, d’impôts ou de taxes, c’est-à-dire dès que l’on tente de répondre à la question générique « qui paie et pour quoi faire ? ».

Depuis longtemps, le débat public est comme pollué par l’idée qu’un niveau élevé de prélèvements obligatoires, au regard de la production marchande, constituerait un handicap pour le développement de notre économie et de notre société.

À l’aune des premiers commentaires sur le rapport Gallois qui, en bien des domaines, vient apporter de l’eau au moulin de ceux qui font l’opinion depuis trop longtemps, je fais observer d’emblée que ledit rapport ne fait pas de l’importance de nos prélèvements un problème majeur de compétitivité.

L’auteur de ce rapport en est d’ailleurs tellement convaincu que, faute de mieux et comme toujours, il préconise de substituer à une partie de ces prélèvements – en l’espèce des cotisations sociales collectées auprès des entreprises – de nouveaux prélèvements sous forme de hausse de la TVA, de la CSG ou encore de la fiscalité écologique.

Taxe carbone pour tous, profits en hausse pour quelques-uns !

Car c’est bien vers cela que nous nous dirigeons ! La modification relative de notre système de prélèvements vise un double objectif : conduire, d’une part, vers l’équilibre des comptes publics et assurer, d’autre part, la rentabilité du capital. Que représentent 30 milliards de cotisations sociales ? C’est 1,5 point de PIB « seulement » et surtout encore moins de justice sociale. L’exercice est fort délicat et va sans doute nécessiter quelques explications au-delà de notre hémicycle.

Notre discussion n’est pas guidée par l’analyse des conséquences de la fiscalisation renforcée de notre système de sécurité sociale ― va-t-elle favoriser l’investissement, l’innovation, l’embauche et la progression des salaires ou conduire, une fois encore, à l’étouffement progressif du système ? ―, mais par le souci des marges « historiquement basses » des entreprises françaises, selon l’expression des dirigeants de l’Association française des entreprises privées, l’AFEP. Ces marges vont-elles ou non se redresser ?

Comme Mme Parisot, je vais en effet m’inquiéter de ces marges historiquement basses.

Songez, mes chers collègues, que, malgré trois millions de chômeurs complets, deux millions de chômeurs à temps partiel, sept millions de travailleurs mal payés grâce aux exonérations de cotisations sociales, le taux de marge de nos entreprises est historiquement tombé aux alentours de 28 % à 28,5 % du produit intérieur brut marchand !

Comme il faut bien remettre les choses en place, on rappellera que ce pourcentage correspond à la somme de 550 à 600 milliards d’euros, ce qui, chacun en conviendra ici, est un montant très important.

Seuls 50 à 55 milliards de ces euros finissent ensuite dans le produit de l’impôt sur les sociétés. Vous constatez comme moi que le taux de prélèvement apparent frappant les profits bruts des entreprises se situe, bon an mal an, à 10 % environ, soit assez loin de l’impôt confiscatoire tant décrié parfois et assez proche du taux de prélèvement annuel ordinaire subi par n’importe lequel de nos salariés percevant un salaire médian ou légèrement supérieur à la moyenne.

Par conséquent, le transfert de 30 milliards d’euros de cotisations sociales souhaité par certains apparaît comme une fausse bonne solution.

Notre débat est également biaisé par les déclarations de ceux qui, par habitude, ont tendance à travestir la réalité, négligeant les vrais sujets.

Car si nous sommes d’accord avec M. Gallois sur quelques points de son rapport, c’est bien quand il constate que nous souffrons en France de quelques déficits. Et il ne s’agit pas seulement de ceux des finances publiques ou de la sécurité sociale, mais aussi des déficits en matière d’innovation sociale et technologique, et parfois en matière d’imagination politique !

Proposer, en 2012, d’enfoncer un coin de plus dans le financement solidaire de la sécurité sociale, par sollicitation de la création de richesses sur le lieu de production en basculant un volume donné de cotisations sur la fiscalité et, pour une part, sur la réduction de la dépense publique ― on se demande bien comment cela va se passer dans les faits ―, revient à faire fi d’une expérience déjà ancienne.

La proposition n’est donc pas originale et la recette est déjà largement éprouvée. Elle a été lancée dès les années soixante-dix dans le domaine de l’insertion professionnelle des jeunes, transformés en « cobayes » d’une expérience aux attendus douteux. La politique d’allégement de cotisations sociales a pris son élan en 1993, avec la loi quinquennale relative au travail, à l’emploi, et à la formation professionnelle, dite loi Giraud, et fait aujourd’hui office d’étalon de mesure pour toute loi portant sur l’emploi ou la formation.

Alors qu’avant la loi Giraud les exonérations s’élevaient à un milliard d’euros, nous sommes aujourd’hui passés à quelque chose comme 40 milliards d’euros dans les bonnes années, sans même que cela soit imputable aux 35 heures !

Certains ici ont peut-être oublié que M. François Fillon a fait voter, dès 2003, l’application à tous les salaires de la ristourne dégressive sur les bas salaires, trente-cinq heures ou pas, et qu’avec cette décision la facture n’a fait que croître et embellir. Elle apparaît aujourd’hui d’autant plus élevée elle n’a pas permis, au vu du diagnostic établi par M. Gallois, de maintenir l’emploi industriel, d’améliorer la situation de notre commerce extérieur, de renforcer la position de la France à l’international ni d’éviter l’installation dans notre pays d’un volant sans cesse plus important de main-d’œuvre privée d’emploi.

Mes chers collègues, en distribuant aveuglément des exonérations de cotisations sociales, qu’a-t-on fait en réalité ? On a encouragé le développement des emplois de service sous-payés, on a favorisé la stagnation de la masse salariale, on a assuré la rentabilité de la restauration rapide et de grands groupes de la distribution, entreprises dont l’exposition à la concurrence internationale est particulièrement faible puisque leur raison d’être est de vendre, ici et maintenant, en pressurant leurs pauvres fournisseurs, n’importe quel produit ou n’importe quelle denrée, nonobstant sa provenance !

Je ne peux qu’inviter les spécialistes de la macro-économie, nourris des travaux de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, ou du Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises, ou Coe-Rexecode, à mesurer les incidences sur l’économie en général et les comptes publics en particulier que peut entraîner le fait de compter cinq millions de personnes privées d’emplois et sept millions de salariés mal payés.

Notre système de prélèvements obligatoires et, par conséquent, la trajectoire de nos finances publiques appellent de sérieuses études et modifications. La justice fiscale doit, dès aujourd’hui, être au rendez-vous des changements choisis par les Français au printemps dernier. Le chantier doit s’ouvrir dès le projet de loi de finances pour 2013, et la modulation de l’impôt sur les sociétés doit figurer en très bonne place dans cette réforme fiscale.

Pour le moment, il a suffi du battement d’ailes de quelques pigeons rapaces pour que le Gouvernement revoie sa copie. Les arguments avancés furent et demeurent fallacieux mais soutenus par une publicité sonore et péremptoire. Comme les explications furent embrouillées, nous sommes arrivés au résultat que nous connaissons.

Rendre ainsi 600 millions d’euros à quelques « entrepreneurs » se dépêchant de revendre leur entreprise avant qu’elle ne connaisse l’inexorable baisse tendancielle du taux de profit est cependant apparu incompréhensible pour tous ceux qui, d’ArcelorMittal à Florange à la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, sont aujourd’hui confrontés à une quasi-absence de perspective, faute de décision judiciaire comme de volonté politique.

Nous devons aller plus avant dans la réforme fiscale parce que, comme le disait si justement M. Louis Schweitzer, ancien P-DG de Renault et président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, « dans le cas des pigeons, il s’agit de gens dont l’objectif est avant tout de s’enrichir en revendant leur start-up. Ils ne sont pas attachés à un territoire. Il y a là un vrai problème : plus vous êtes riche, plus vous êtes mobile et capable de vous installer à l’étranger. Avec ce genre de raisonnement, il n’y aura plus que les ouvriers à la chaîne qui paieront des impôts ».

Je crois que ces pigeons ne sont attachés qu’à leur intérêt personnel immédiat et, sans vouloir de nouveau citer Adam Smith, il me semble que cet intérêt personnel n’a pas grand-chose à voir avec l’intérêt général.

Or, mes chers collègues, notre système de prélèvements comme notre gestion des finances publiques ne doivent tendre qu’à un seul but : la mise en pratique de l’intérêt général !

Dès lors, il est évident que nous ne pouvons nous satisfaire du fragile équilibre qui se dessine : un choc fiscal en 2013 puis quatre ans de latence ; la mise en place de la banque publique d’investissement, la BPI, comme une sorte de roue de secours d’un système bancaire qui ne remplit plus son rôle de financement de l’économie depuis trop longtemps, de nouvelles ponctions sur les collectivités locales, les hôpitaux publics, les établissements publics pour les faire participer, bon gré mal gré, à la réduction des déficits dont ils sont rarement responsables et une croyance immodérée dans la soudaine conversion de nos entreprises à l’investissement dans l’innovation, la recherche, la création d’emplois, et j’en passe.

Il me vient, à ce stade de la discussion, une réflexion de fond. Notre économie est de plus en plus une économie de services, en général à faible valeur ajoutée, dont les salariés sont largement précarisés, souvent bien moins payés que dans le secteur industriel, et souffrant d’un manque abyssal de perspectives de promotion sociale.

Nous ne croyons pas au devenir d’une économie fondée sur le développement de centres d’appel téléphoniques, de plateformes d’échange cybernétique d’objets d’occasion, de vente à distance de produits importés de Chine par conteneurs débarqués sur le port de Hambourg ou de Rotterdam, sur la généralisation des services marchands d’aide aux personnes âgées dépendantes ou de protection du paysage et de l’environnement par simple balayage de feuilles mortes et ramassage de papiers gras.

Par ailleurs, il est grand temps que nous fassions l’effort de regarder l’histoire économique récente.

Ainsi, ne trouvez-vous pas étonnant, mes chers collègues, que la privatisation de nos principales entreprises industrielles, de nos banques, de nos compagnies d’assurance, organisée à partir de la loi Balladur de 1986, présente, sur la durée, un bilan pour le moins douteux ?

Qu’est devenu Pechiney, qui fut leader mondial dans le travail des métaux non ferreux ?

Qu’est devenu le Crédit Lyonnais, dont on ne dira jamais assez à quel point son plan de redressement, conduit à partir d’une structure dédiée, entraîna de coûteuses moins-values pour les deniers publics ?

Qu’est devenue Renault, alliée à Volvo, puis à Nissan, et qui, aujourd’hui, contribue plus au déficit commercial de notre pays qu’elle ne participait jadis à notre excédent industriel, étant donné qu’elle réimporte une bonne partie de ses gammes de véhicules pour les vendre en France ?

Nous sommes arrivés à un point de non-retour, qui soulève directement la question de notre politique économique et de la gestion, par l’État, de son propre patrimoine, y compris les actions dont le cours est suivi par l’Agence des participations de l’État...

Prenons un exemple simple : la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, qui emploie directement 600 salariés environ, est aujourd’hui dans l’attente d’un repreneur. Avons-nous seulement mesuré les incidences qu’une telle situation peut avoir sur l’ensemble des activités économiques tant en amont – je pense notamment aux activités du terminal pétrolier du Havre – qu’en aval, sur les secteurs de la chimie, des colorants ou encore, par exemple, des plastiques ?

Le débat sur les prélèvements obligatoires, comme sur la programmation des finances publiques, ne saurait être qu’un débat de comptables et une bataille de chiffres. Il a vocation à être considéré, en première et dernière instance, en phase avec une politique économique nouvelle, volontaire et déterminée, qui en souligne à la fois les urgences et les priorités.

Aider la recherche, ce n’est pas simplement prendre en compte les conclusions d’un rapport parlementaire sur le crédit d’impôt recherche. Cela passe, d’abord et avant tout, que nous le voulions ou non, par un renforcement de la recherche publique et par la mobilisation des moyens adéquats à la formation de nombreux chercheurs dans nos universités et établissements d’enseignement supérieur.

Je ne vous renvoie pas à l’exemple des États-Unis en la matière, mais, sans recherches menées sur commande des agences d’État, nul doute que ce pays ne serait pas là où il en est ! Ils ont su nationaliser Delphi General Motors quand l’entreprise a été à deux doigts de faire faillite !

En conclusion, comme nous l’avons fait en commission des finances, nous ne voterons aucun des articles ni l’ensemble de ce projet de loi, celui-ci s’inscrivant dans la droite ligne de la philosophie du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, et de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, deux textes auxquels nous nous étions, en toute cohérence, opposés. Chacun peut donc se rendre compte ici que les raisons qui motivent le vote de nos collègues de l’opposition sénatoriale divergent fondamentalement des nôtres. Le groupe CRC combat aujourd’hui, comme il le faisait hier, à la fois les moyens et les objectifs du TSCG, de la loi organique et de ce projet de loi de programmation. C’est une tout autre logique que nous portons, une logique antilibérale.

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