Luttes sociales et politiques en Outre-Mer (DROM-COM-TOM)
Samedi 12 Novembre 2016
Le sénateur de La Réunion et doyen du Sénat, qui a dominé la vie politique de l’île pendant six décennies est décédé dans la nuit de vendredi à samedi, a annoncé sa famille en début de matinée. Âgé de 91 ans, il était hospitalisé depuis le 23 octobre à Saint-Denis, chef-lieu de l'île
Avec son décès, c’est l’homme qui aura marqué la vie politique réunionnaise de plus d’un demi-siècle qui disparaît.
Il était le plus connu des hommes politiques réunionnais et aussi le détenteur du record de longévité parmi les élus français, ayant occupé différents mandats depuis sa première élection en 1955 comme conseiller général. Sénateur de La Réunion depuis septembre 2011 – après l’avoir déjà été de 1996 à 2004 –, ancien président du conseil régional, ancien député de La Réunion et ancien député européen, Paul Vergès était né le 5 mars 1925 à Oubone, dans le royaume de Siam (aujourd’hui Ubon Ratchathani, Thaïlande), d'une mère institutrice, Khang Pham-Ti, d'un père, Raymond, médecin et consul de France. Pour des raisons restées obscures, ce dernier déclare le même jour l’autre enfant, Jacques, que le couple a eu un an plus tôt. Paul et Jacques (le futur avocat, mort en 2013) passeront de ce fait longtemps pour des jumeaux. De retour en 1931 à La Réunion, son île natale, où il est nommé directeur du service de santé de la colonie, Raymond Vergès s’engage en politique. Les deux enfants assistent souvent, à ses côtés, aux luttes syndicales que va raviver l’arrivée du Front populaire et dans lesquelles ce franc-maçon proche des communistes s’implique activement. En 1942, Paul et Jacques embarquent sur le Léopard, contre-torpilleur français venu participer au ralliement de La Réunion à la France libre, pour s’engager dans la Résistance et participe à des opérations de guerre en 1944 sur le sol français. C’est à cette époque que leurs parcours s’éloigneront. A la Libération, Paul Vergès intègre la section coloniale du PCF, à Paris. Son père, élu maire de Saint-Denis-de-la-Réunion et député à l’Assemblée constituante, est l’un des artisans de la loi du 19 mars 1946 érigeant en départements La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. En mai 1947, l’homme politique Alexis de Villeneuve (MRP) est blessé mortellement par balle dans une réunion électorale à Saint-Denis, lors d’affrontements avec des contre-manifestants communistes. Paul Vergès, en séjour dans l’île, qui se trouvait sur place, est accusé du meurtre : le revolver utilisé appartenait à son père. Le jeune homme est transféré en métropole où la cour d’assises de Lyon le reconnaît coupable de « coups et blessures sans intention de donner la mort », écartant le chef initial de meurtre avec préméditation. Condamné à une peine de prison avec sursis, il sera gracié en 1953 par une loi d’amnistie ; mais la confusion entourant son rôle dans cet épisode violent a longtemps défrayé la chronique. A la Libération, il milite au Parti communiste français puis rejoint La Réunion, dans les rangs d'un parti politique progressiste fondé par son père Raymond Vergès. Il décroche son premier mandat de conseiller général en 1955 : commence alors une carrière politique d'une longévité exceptionnelle. Paul Vergès est notamment élu député une première fois en 1956, avant de fonder en 1959 le Parti communiste réunionnais, dont il restera le leader incontesté jusqu'à ces dernières années. Lorsqu’il revient s’installer à La Réunion en 1954, avec sa femme Laurence et leurs deux filles (ils auront encore deux garçons), Paul Vergès prend la direction du journal Témoignages, fondé par son père dix ans plus tôt et entame une carrière politique qui durera six décennies, servie par un charisme et des qualités exceptionnelles de stratège. Sa mobilisation, en 1954, aux côtés des planteurs et des ouvriers pour empêcher la fermeture de l’usine sucrière de Quartier-Français, dope l’assise du Parti communiste, qui a créé, en 1947, sa fédération locale. En 1955, il décroche son premier mandat, celui de conseiller général de Saint-Paul. L’année suivante, il est élu député. « J’ai été candidat tout le temps et dans toute l’île », résumera-t-il plus tard, après avoir occupé tous les types de fonctions électives possibles. En 1959, soucieux de s’affranchir de « Paris » pour donner la priorité aux problèmes locaux, il fonde le PCR, dont il est le secrétaire général jusqu’en 1993 – il en est resté bien plus longtemps encore le leader incontesté. Le mot d’ordre alors est l’autonomie de l’île. « Le classement en département n’avait pas remis en cause le régime foncier de la grande propriété ni le monopole industriel et commercial, explique Paul Vergès dans Une île au monde, un livre d’entretiens avec Brigitte Croisier (L’Harmattan, 1993). S’est affirmée alors la nécessité d’une politique spécifique pour nos pays, prenant en compte cet aspect plus anticolonialiste de la lutte et la prise nécessaire de responsabilité par les Réunionnais eux-mêmes. » La popularité croissante dont jouit le PCR à La Réunion se heurte à la forte hostilité des autorités. Témoignages, qui dénonce les fraudes électorales et relaie les articles du Monde et de L’Humanité sur la guerre d’Algérie, est saisi à de nombreuses reprises. Son directeur est poursuivi pour atteintes à la sûreté de l’Etat et condamné à plusieurs mois de prison ferme. De 1964 à 1966, il vit dans la clandestinité pour échapper à des poursuites judiciaires motivées par des articles à tonalité anticoloniale publiés dans le quotidien du PCR. Paul Vergès a profondément marqué la vie politique locale en militant pour l'"autonomie" de La Réunion, revendication abandonnée après l'accession de François Mitterrand au pouvoir, en 1981. Lorsqu’une loi institue la « parité sociale » plutôt que l’égalité, lui et Elie Hoarau, maire (PCR) de Saint-Pierre, protestent en démissionnant de leurs postes de députés, en 1987. Il faudra attendre 1996 pour voir le smic aligné sur le niveau national, conformément à une promesse de campagne électorale de Jacques Chirac, à qui le leader du PCR avait apporté un soutien de fait à la présidentielle, un an plus tôt, en appelant les Réunionnais à voter « selon [leur] sensibilité » indifféremment pour le candidat de la droite, pour Lionel Jospin, Robert Hue ou Dominique Voynet. Elu sénateur en 1996, Paul Vergès s’emploie à alerter sur les conséquences du réchauffement climatique – une préoccupation qu’il va exprimer désormais quasiment à chacune de ses interventions publiques ou devant la presse. Il présidait l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) depuis sa création, dont il était à l’origine, en 2001. Au conseil régional, où il est membre de l’exécutif depuis 1983, son accession à la présidence en 1998, à la tête d’une liste de « rassemblement » élargie à la société civile, lui fournit le poste privilégié (où il sera reconduit en 2004) pour mettre en œuvre ses idées d’ouverture de l’île à l’international et d’aménagement du territoire. Lui qui prône une vision à long terme, voit dans l’île un « laboratoire » concentrant, à son échelle et avec ses caractéristiques propres, des phénomènes mondiaux : démographiques, économiques, environnementaux, et « où se retrouvent, note-t-il, toutes les contradictions, celles de la société capitaliste et celles du tiers-monde ». Mais l’audience du PCR s’érode. Aux législatives de 2007, son leader vieillissant est sévèrement battu par un jeune candidat de l’UMP, Didier Robert, dont c’est la première élection au suffrage universel. Trois ans plus tard, ce dernier lui ravit la présidence de la région, contrecarrant ses projets de tram-train et de Maison des civilisations et de la culture réunionnaise. Contestations internes et dissidences fragilisent ce qui fut naguère le « parti central de La Réunion », selon le mot du politologue Yvan Combeau. Les déroutes électorales se succèdent pour le PCR, contraint à un « congrès de la reconstruction » en 2013. Imperturbable, Paul Vergès, réélu de justesse sénateur en 2011, ne perdait pas une occasion, ces dernières années, de commenter l’actualité locale. Pour y dénoncer invariablement, d’un ton consterné et moqueur, « la sous-estimation idéologique à La Réunion par la classe politique ». L'Humanité |
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