Relique de la Guerre Froide, la School of the Americas a été créée il y a un demi-siècle afin, disait-on, de former des militaires, des policiers et des agents de renseignement des pays au sud des États-Unis afin qu’ils conduisent la lutte contre les « insurrections » étiquetées « communistes » par le Pentagone. Mais dans les faits, les diplômés de cette école ont toujours constitué les troupes de choc de la répression politique contre la gauche dans ces pays hispanophones.
La torture enseignée à la School of the Americas
Bien avant les horreurs d’Abou Ghraïb en Irak, les pires techniques de torture étaient enseignées à la School of the Americas. En mai 2004, les manuels d’interrogatoire utilisés par l’école ont été rendus publics par le National Security Archive, un institut de recherche indépendant, après un procès qui s’est tenu selon la loi du Freedom of Information Act, intenté par des médias réputés comme le Baltimore Sun. Ces manuels, traduits en espagnol et dont des milliers d’exemplaires ont été distribués aux alliés hispanophones de Washington, donnaient des consignes explicites pour torturer, bastonner et assassiner.
La longue histoire de ces supplices pratiqués par les voyous diplômés de la School of the Americas a également été bien documentée par d’autres organismes, notamment Amnesty International dans son rapport intitulé « Unmatched Power, Unmet Principles » (Pouvoir incomparable, Principes abandonnés), ainsi que dans les excellents ouvrages « Hidden Terrors » (Terreurs cachées) de A.J. Langguth (un ancien reporter du New York Times), « Rogue State : A Guide to the World’s Only Superpower « (publié en France sous le titre L’État voyou : un guide de la seule superpuissance mondiale) par William Blum, ancien diplomate du Département d’Etat, ou encore « A Miracle, A Universe ») (Un miracle, un univers) par Lawrence Weschler (l’expert Amérique latine du New Yorker).
L’enseignement de la torture dans cette école été suspendu par le président Jimmy Carter en 1977, mais réintroduit par Ronald Reagan quatre ans plus tard. En 2000, suite à des enquêtes sur cette école par des médias tels que le Washington Post et le Baltimore Sun et grâce à une opposition grandissante à son encontre au Congrès, le Pentagone en a relifté le nom et l’a rebaptisé Western Hemisphere Institute for Security Cooperation (WHINSEC). Mais comme le disait à l’époque le sénateur Paul Coverdale de l’Etat de Géorgie, un conservateur membre du Parti républicain, cette soi-disant « réforme » n’était qu’« essentiellement superficielle ». D’ailleurs, aujourd’hui, tout le monde en dehors du Pentagone continue d’appeler l’école par son ancien nom.
Des généraux-dictateurs diplômés de cette annexe du Pentagone
Le coup d’Etat du 28 juin au Honduras est le troisième dans l’histoire de ce petit pays de 7 millions d’habitants, dont 50 % vivent dans une pauvreté extrême. En 1975, le général Juan Megler Castro, diplômé de la School of the Americas, est devenu le dictateur militaire de ce Honduras. Puis, entre 1980-1982, le chef de la dictature était un autre diplômé de « l’école de torture », Policarpo Paz Garcia. Ses principaux faits d’armes consistent à avoir intensifié la répression et semé la terreur avec le Bataillon 3-16, l’un des plus terrifiants escadrons de la mort de toute l’Amérique latine fondé par des diplômés honduriens de la School of the Americas, avec l’aide de diplômés argentins de cette école. Car cette dernière n’a pas essaimé qu’au Honduras. Loin de là.
Parmi les soixante mille et quelques militaires qui y sont passés, on compte plusieurs dictateurs avérés : les généraux Noriega et Trujillo au Nicaragua, le général Hugo Banzer Suarez en Bolivie, le général Guido Vildoso Calderon au Pérou, le général Efrain Rios Montt au Guatemala et les généraux Leopoldo Galtieri et Roberto Viola en Argentine.
La lutte pour fermer cette école immonde est menée depuis vingt ans par l’association School of the Americas Watch, animée par des catholiques de gauche et fondée par un prêtre, le père Roy Bourgeois, lui-même une ancienne victime des tortionnaires de cette institution au Salvador, après les meurtres de quatre bonnes sœurs catholiques et de l’évêque Oscar Romero par des escadrons de la mort organisés et commandés par le colonel Roberto D’Aubuisson, un autre diplômé de l’école et auteur des pires crimes commis pendant la guerre civile salvadorienne.
Hollywood se mobilise
Des manifestations récentes qui ont mobilisé des dizaines de milliers de personnes demandant sa fermeture devant les portes de l’école ont attiré la participation des personnalités comme l’actrice Susan Sarandon, l’acteur Martin Sheen et la sœur Helen Prejean, auteur du livre « Dead Man Walking » devenu un film célèbre avec Sean Penn (La Dernière Marche, de Tim Robbins).
Pour comprendre les dessous du coup d’Etat du 28 juin, il faut savoir que le président Zelaya du Honduras, comme l’a rapporté le National Catholic Reporter dans son article cité plus haut, « était un homme d’affaires qui penchait plutôt à droite quand il a été élu en 2006. Mais il a surpris beaucoup de monde quand il a commencé à desserrer les liens entre le Honduras et les Etats-Unis qui contrôlait le pays à tel point qu’on le surnommait “U.S.S. Honduras”. »
De plus, Zelaya avait augmenté le Smic local de 60 %, ce qui a rendu l’élite économique du pays folle de rage puis s’est « heurté aux multinationales pétrolières et à l’ambassade des États Unis quand il a tenté de réduire le prix du pétrole pour les Honduriens », comme l’a écrit le National Catholic Reporter.
La dernière fois qu’il y a eu un vote au Congrès américain pour stopper le financement de la School of the Americas — en 2007 — sept voix ont manqué pour fermer l’école. Mais lors des élections législatives de 2008, une trentaine de ses supporters ont perdu leurs sièges.
Ainsi, si le président Obama est vraiment sérieux au sujet de son auto-proclamé « nouveau départ » en politique étrangère, rien ne l’empêche du point de vue électoral de fermer immédiatement la School of the Americas. Mais jusqu’ici la Maison-Blanche est muette sur ce sujet.
Pour l’administration américaine, il n’y a pas eu de coup d’Etat au Honduras
Même si Barack Obama a déclaré que le renversement du président Zelaya n’était « pas légal », il l’a fait dans des termes bien moins forts que l’Organisation des États Américains, qui représente les 34 pays indépendants de l’hémisphère.
Qui plus est, sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, a refusé de le qualifier de « coup d’Etat » ce qui entraînerait automatiquement l’arrêt de toute aide économique et militaire au nouveau régime illégal du Honduras, selon la loi américaine qui régit l’aide aux pays étrangers. Le fait que Zelaya se soit laissé photographier souriant bras-dessus bras-dessous avec Hugo Chavez du Venezuela et Raul Castro de Cuba au sommet des gouvernements de gauche de l’Amérique latine en est sans doute pour quelque chose…