« Pour commencer, le nombre de postes vacants, quelque 52 000, est déjà bien plus bas que le nombre de demandeurs d'emploi, qui est environ de 184 000, explique Sacha Dierckx, collaborateur scientifique du centre d'études progressiste Minerva. L'histoire de la pénurie sur le marché du travail est donc plutôt une fable. Même si tous ces emplois vacants étaient pris, il resterait toujours plus de 130 000 demandeurs d'emploi en Flandre. Ensuite, il faut aussi prendre en compte les personnes qui n'ont pas d'emploi et qui, pour l'une ou l'autre raison, ne sont pas inscrites comme demandeurs d'emploi. »

« Il y a effectivement une partie des offres d'emploi qui ne trouvent pas preneur, pour diverses raisons, reconnaît Sacha Dierckx. Par exemple, dans certaines régions, comme en Flandre-Occidentale, il y a beaucoup moins de chômage. Pour certains profils, par exemple pour des ingénieurs ou des professionnels ICT (technologies de l'information et de la communication, NdlR), il y a donc bien plus de postes vacants que de personnes diplômées dans ces domaines. Mais il s'agit là d'un problème constant, tant dans la situation actuelle de haute conjoncture économique que dans des temps de basse conjoncture. »

Travailleurs plus âgés et qualifiés

Si l'employeur offre un salaire qui reste dans la ligne de l'emploi précédent du travailleur, celui-ci acceptera avec grand plaisir cet emploi.
Pour Philippe Diepvents, directeur du service d'études de la FGTB flamande, le bas niveau du taux d'emploi chez les travailleurs plus âgés qui ont fait des études supérieurs est une des raisons pour lesquelles certaines offres d'emploi ne trouvent pas preneur. « Chez nous, il y a à peine 46,7% des plus de 55 ans qui travaillent (en Suède c'est 75%, en Allemagne 68%). Pour les personnes souffrant d'un handicap, le chiffre est de 41%, et il est en baisse. Avec 50,4%, les personnes peu qualifiées sont en dessous de la moyenne européenne. Sans parler bine sûr des personnes issues de l'immigration qui ont un score au-dessous de la moyenne en ce qui concerne l'accès au marché du travail. »1

L'analyse de Sacha Dierckx pointe la même direction. « L'augmentation la plus forte parmi les demandeurs d'emploi se situe dans la catégorie des plus de 55 ans. La plupart des travailleurs plus âgés qui perdent leur emploi n'arrivent pas à en retrouver un autre. Ils cherchent du travail mais ne sont pas engagés. Une des raisons est que beaucoup d'entre eux ne veulent pas travailler pour un salaire bien moindre, ce qui est à mon avis tout à fait normal. Si, demain, j'étais licencié, je n'aimerais pas aller travailler ailleurs pour 500 euros nets en moins par mois. Certains estiment que les travailleurs plus âgés doivent, après avoir été licenciés, accepter des emplois beaucoup moins payés. Mais on peut tout aussi bien présenter les choses dans l'autre sens : si l'employeur offre un salaire qui reste dans la ligne de l'emploi précédent du travailleur plus âgé, celui-ci acceptera avec grand plaisir cet emploi. Cela signifie-t-il pour autant que le patron trouvera toujours le travailleur idéal ? Non, mais sa recherche sera certainement beaucoup plus facile. »

Pénurie ? Payez mieux !

Dans le journal De Tijd du 11 juillet 2018, Jan Denys, du bureau d'intérim Randstad, constate que pas mal de demandeurs d'emploi « tournent le dos » à certains emplois. De nombreux postes vacants qui ne trouvent pas preneur (dans le secteur du nettoyage, du gardiennage…) n'exigent en effet pas vraiment de formation spécifique. « On peut se demander si ces emplois sont suffisamment attractifs, rétorque Sacha Dierckx, au niveau de la rémunération, des conditions de travail, du temps de trajet ... Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles un emploi n'est pas assez attrayant et ne trouve ainsi pas de candidats. Selon l'économiste américain Dean Baker, la pénurie sur le marché du travail est due au fait que les employeurs rémunèrent trop peu les postes pour lesquels ils ne trouvent personne. S'ils payaient un salaire suffisant, ils trouveraient bel et bien des candidats pour travailler chez eux. La question est donc : où place-t-on la responsabilité, chez le travailleur ou chez le patron ? Affirmer que ce sont tout simplement les chômeurs qui ne veulent pas travailler est une manière beaucoup trop simpliste de présenter les choses. »

Plus il y a de gens sur le marché du travail, plus les patrons peuvent payer des bas salaires

Les patrons voient les choses tout autrement. Ils pressent le gouvernement de prendre des mesures. Sacha Dierckx : « Les patrons veulent bien sûr une main-d'œuvre la meilleur marché possible. Et, plus il y a de gens sur le marché du travail, plus ils peuvent payer des bas salaires et quand même trouver du personnel. La pénurie sur le marché du travail est une mauvaise chose pour les patrons parce que celle-ci pousse davantage les salaires à la hausse que dans des périodes d'important chômage. »

Le ministre flamand de l'Emploi Philippe Muyters (N-VA) veut d'ores et déjà supprimer la prépension. La N-VA et l'Open VLD veulent en plus que les allocations de chômage soient baissées et limitées dans le temps. « Le but est de pousser les gens de plus en plus dans la pauvreté pour qu'ils finissent par accepter n'importe quel travail, souligne Sacha Dierckx. Je pense que c'est la secrétaire d'État Zuhal Demir (N-VA) qui a dit : "Quand ils verront qu'ils n'arrivent plus à payer leurs factures, ils se bougeront davantage." Tel est le raisonnement derrière cela. Quand on perçoit une allocation de chômage, éventuellement avec complément d'entreprise, et qu'on vous l'enlève pour encore juste vous octroyer 800 euros, vous serez évidemment davantage incité à accepter un job mal payé avec de mauvaises conditions de travail. Et cela veut dire qu'il y aura davantage d'emplois sous-payés, plus d'emplois temporaires, plus d'emplois aux plus mauvaises conditions de travail... Mais je ne pense pas que ce soit la voie que doit choisir notre société. »

Solidaire, journal du PTB