La formation Vox, créée en 2013 par d’anciens militants du Parti populaire et jusqu’ici très confidentielle, a réuni 10 000 personnes à Madrid.

L’image a fait l’effet d’un électrochoc dans un pays qui semblait vacciné contre l’extrême droite. Dimanche 7 octobre, près de 10 000 personnes se sont entassées dans les gradins du palais de Vistalegre, à Madrid, pour acclamer les leaders de la petite formation Vox, Santiago Abascal et José Antonio Ortega, venus égrener leurs « cent mesures urgentes pour l’Espagne ».

Au programme : recentralisation de l’Etat, dissolution des régions autonomes, interdiction des partis indépendantistes, suppression de la loi de mémoire historique qui a interdit l’exaltation du franquisme en 2006 et de celle sur la violence faite aux femmes, récupération de Gibraltar, expulsion des immigrés en situation irrégulière, construction de murs à Ceuta et Melilla, retrait de l’espace Schengen, alignement sur le groupe de Visegrad (groupe informel réunissant la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie).

La foule était si nombreuse que des centaines de personnes sont restées derrière les portes de ces anciennes arènes symboliques, qui ont vu naître en 2014 la formation de la gauche radicale Podemos. A l’intérieur, Vox s’en prenait à « la petite droite lâche », en référence au Parti populaire (PP), et à la « girouette orange », c’est-à-dire le parti libéral Ciudadanos, et promettait « la grande Espagne, de nouveau ».

Crispation sociale

La vague populiste de droite qui secoue l’Europe est-elle sur le point de frapper l’Espagne ? Elle en semble très loin. Créé en 2013 par d’anciens militants du PP critiques sur la gestion « molle » de la crise catalane par Mariano Rajoy et les hausses d’impôts, Vox n’atteindrait, selon les derniers sondages, qu’entre 1,5 % et 3 % des intentions de vote en cas d’élections législatives. Mais la formation n’avait obtenu que 0,2 % en 2016.

Pour les européennes, elle pourrait toutefois récolter jusqu’à 4,6 % des voix selon les sondages, contre 1,5 % en 2014. Suffisamment pour faire son entrée, pour la première fois, au Parlement européen en 2019. Surtout, depuis Fuerza Nueva et la fin du franquisme, aucun parti d’extrême droite n’était parvenu à rassembler autant de sympathisants lors d’un meeting politique.

« Qu’elle obtienne ou non une représentation parlementaire, Vox est déjà parvenue à s’imposer dans les médias et à marquer l’agenda politique à droite », souligne Xavier Casals, professeur d’histoire à l’université Ramon-Llull de Barcelone, spécialiste du populisme et des mouvements d’extrême droite.

L’augmentation des flux migratoires vers l’Espagne ou la décision du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez d’exhumer le dictateur Francisco Franco ont permis à Vox de se positionner à la droite du PP et de Ciudadanos. Et la crispation sociale provoquée par la crise territoriale catalane joue en sa faveur. Ces derniers mois, Vox a occupé l’espace médiatique en se constituant partie civile dans toutes les procédures judiciaires engagées contre les dirigeants indépendantistes accusés de rébellion pour la tentative de sécession d’octobre 2017.

« VOX N’EST PAS QU’UNE SIMPLE RÉINCARNATION D’UN PARTI NÉOFRANQUISTE (...), MAIS AUSSI UN PARTI DE LA NOUVELLE DROITE POPULISTE EUROPÉENNE, ANTI-IMMIGRATION ET ANTI-ISLAM », ASSURE XAVIER CASALS, PROFESSEUR D’HISTOIRE

« Plus que le thème migratoire, c’est la crise catalane qui a donné de l’élan à Vox, confirme Pablo Simon, professeur de sciences politiques à l’université Carlos-III de Madrid. Que le problème catalan soit apparu incontrôlé sous un gouvernement du PP a provoqué des effets importants sur le centre droit, qui s’est fragmenté, et dans la société espagnole, où le soutien à une recentralisation de l’Etat a augmenté. »

« Vox n’est pas qu’une simple réincarnation d’un parti néofranquiste, avec ses thèmes traditionnels comme le nationalisme espagnol, Gibraltar ou l’exaltation de la famille, mais aussi un parti de la nouvelle droite populiste européenne, anti-immigration et anti-islam », ajoute M. Casals.

Jusqu’à ce que Ciudadanos n’entre au Parlement espagnol, en 2015, le PP englobait tous les courants de la droite espagnole, du centre droit libéral à la droite ultraconservatrice. A présent, deux partis lui disputent son électorat traditionnel, ce qui explique la récupération des marqueurs idéologiques de la droite conservatrice par le nouveau président du PP, Pablo Casado.

Ce dernier a cherché à minimiser le succès du meeting de Vox. « Tous les militants qui y ont assisté ont tout mon respect parce que nous partageons beaucoup d’idées et d’autres, non », a-t-il déclaré. Quant à Ciudadanos, il évite même de prononcer le nom de la formation d’extrême droite. « Nous verrons dans les urnes le potentiel qu’a l’ultradroite en Espagne », a lancé son président, Albert Rivera. Sceptique.

Le Monde