Le rejet du traité par les Irlandais ne serait pas sans rappeler le "non" opposé à la Constitution européenne en 2005 par la France et les Pays-Bas, ainsi par les Irlandais en 2001 contre le traité de Nice. Il avait alors fallu organiser un deuxième vote sur l’île pour faire adopter le texte. Mais il n’y aura pas de second référendum cette fois-ci, a assuré le gouvernement.
Le traité doit être adopté dans l’ensemble des 27 pays de l’UE pour entrer en vigueur.
Le contexte
Le ralentissement économique et les difficultés sociales ont fait monter le scepticisme à l’égard de l’eurolibéralisme et ont pesé sur le référendum sur le traité de Lisbonne. Notre enquête à la veille du référendum.
Le premier ministre irlandais, Brian Cowen, il y a peu grand argentier du pays, se veut rassurant : ce qui a été bon pour l’Irlande pendant près de trente ans le sera encore après le traité de Lisbonne, si bien sûr il est ratifié. Les affiches appelant au « oui », « Good for Ireland, Good for Europe », lors du référendum sur le traité de Lisbonne qui aura lieu demain, sont là pour le rappeler à tout instant. Mais le « Tigre celtique » est essoufflé et le ralentissement économique de l’Irlande pèse lourdement sur le scrutin.
Selon le dernier rapport de la Banque d’Irlande, en 2008, la croissance devrait tomber à 1,9 % contre environ 5% en 2007 et 6,5 % en moyenne depuis 1994. La crise de l’immobilier, le moteur du miracle irlandais avec les industries de pointe et les finances, et le resserrement des conditions de crédit frappent de plein fouet la classe moyenne.
Face à ces mauvais indicateurs, l’avenir du « modèle irlandais », cet exemple de réussite économique et sociale cité en Europe, « se dessine en pointillés », souligne Clare Batt, une enseignante dublinoise. « La morosité est perceptible chez les citoyens, tentés par un vote négatif lors du référendum à cause des prix du gaz et de l’électricité qui ne cessent d’augmenter ou de la maison qu’ils ne peuvent pas ou plus se payer. » Le marché de l’emploi largement soutenu par le recours à une forte population immigrée (Européens de l’Est, Africains, Chinois) est comprimé, le taux de chômage atteint les 5,5 %, du jamais-vu depuis 1999.
Le Tigre celtique a généré des inégalités sociales et une forte dépendance du pays aux investissements étrangers, américains (Intel, Google, Pfizer), qui peu à peu délocalisent leurs unités de production dans les pays de l’Est européen, malgré les conditions avantageuses offertes dans ce quasi-paradis fiscal comme le faible taux d’imposition des sociétés (12,5 %).
20 % D’IRLANDAIS MENACÉS PAR LA PAUVRETÉ
Mais toute tentative d’harmonisation fiscale européenne est âprement combattue par des tenants du « non », comme le milliardaire Declan J. Ganley, trente-neuf ans. Son entreprise, Rivada, construit des réseaux de télécommunication pour des entreprises et gouvernements à travers le monde, dont l’armée américaine. Cet entrepreneur est également le fondateur de Libertas, un petit groupe menant une efficace et riche campagne contre le traité de Lisbonne. « Impôts. Ne laissez pas Bruxelles rentrer par la petite porte », proclame un slogan. Libertas se fait ainsi l’écho de la crainte majeure de nombre de chefs d’entreprise irlandais : perdre ce qui a fait leur fortune.
Là n’est pas la question, affirme pour sa part Sinn Féin, comme pour s’éloigner de cet encombrant voisinage. Sinn Féin, principal parti représenté au Parlement opposé au traité, est le véritable pivot d’un vaste comité « No Vote » regroupant 14 organisations de gauche. « Le traité de Lisbonne est une vraie déception en matière de droit du travail, il n’aborde pas la question la plus importante pour les travailleurs européens : la protection de leurs droits », explique Mary-Lou McDonald, en précisant qu’il délite encore un peu plus les services publics. « Il ne s’agit pas de déterminer si nous sommes à l’intérieur ou en dehors de l’Europe, car nous sommes déjà au coeur de l’Europe, nous la voulons meilleure », explique l’eurodéputée du groupe GUE/NGL.
L’ampleur des inégalités sociales met en péril le consensus politique national basé notamment sur un partenariat syndicats-patrons-gouvernement bridant actuellement toute initiative revendicative et provoquant le trouble chez les syndiqués à l’heure où ils s’apprêtent à voter (voir cidessous). On estime aujourd’hui à 20 % le nombre d’Irlandais menacés par la pauvreté, 10 % sont pauvres, les femmes et les chômeurs étant les plus exposés. « Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires des aides sociales n’a cessé de croître alors que les dépenses de protection sociale de l’Irlande sont parmi les plus faibles d’Europe », explique Eugene McCartan, dirigeant du CPI (Parti communiste) et partie prenante du collectif du « non ».
La question du système de soins est sans doute une des plus aiguës que se posent aujourd’hui les Irlandais. Elle est un des thèmes récurrents de la campagne. Malgré un rattrapage, le système de santé, que la coalition au pouvoir entend privatiser en fermant certains établissements régionaux et en créant des pôles d’excellence, comme un peu partout en Europe, est en retard. Ce n’est pour les partisans du « non » qu’un prélude à ce qui attend tous les Européens, a fortiori avec le traité de Lisbonne.