De la contradiction, août 1937, 63 pages
« Dans l'histoire de la connaissance humaine il a toujours existé deux conceptions des lois du développement du monde, l'une métaphysique, l'autre dialectique. Elles constituent deux conceptions du monde opposées »
Ces deux textes sur la dialectiques sont des formations de Mao donnée à l'école du parti de Yenan, c'est-à-dire au moment de la guerre révolutionnaire (1927-1949) où le Parti communiste chinois et l'Armée populaire de libération se sont constitués une nouvelle base dans le Nord de la Chine, dans une zone de confins bien située avec à l'arrière la Mongolie communiste, à l'issu de la Longue Marche épique de 1935/1936 depuis la Chine du Sud. Il s'agit dans cet effort de théorie fondamentale de lutter contre le dogmatisme, c'est-à-dire contre les erreurs dues à l'utilisation figée de l'œuvre des marxistes, un peu comme des textes religieux, un peu comme des autorités symboliques et non des propositions scientifiques. Ce dogmatisme est à l'origine d'erreurs stratégiques qui ont failli ruiner le mouvement révolutionnaire chinois à plusieurs reprises.
De la juste solution des contradictions au sein du peuple, 27 février 1957, 60 pages
« La question des contradictions entre nous et nos ennemis sera également abordée, mais la discussion portera surtout sur les contradictions au sein du peuple »
Il contient le chapitre où Mao prend position pour la liberté de pensée et de recherche intellectuelle : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent »
Au moment où Mao écrit ce texte plein de résolution et de nuances, il se trouve au pouvoir, et exerce son pouvoir le plus étendu. Il sera écarté des responsabilités directes après échec tragique du « grand bon en avant » et la famine qui s'en est suive, en 1958/1960.
D'où viennent les idées justes ? mai 1963, 3 pages.
« Les idées justes qui sont le propre d'une classe d'avant-garde deviennent dès qu'elles pénètrent les masses, une force matérielle capable de transformer la société et le monde ».
Publié peu avant le lancement de la révolution culturelle en 1965 (« feu sur le quartier général ») qui dément l'optimisme et l'assurance du texte précédent. Mais il faut remarquer que la publication de ces textes ensemble, dans leur unité contradictoire fait partie de l'effort de la Chine de la Révolution culturelle de diffuser dans le monde un corpus de la pensée de Mao.
Observation en manière de commentaire
Commentaire de textes qui s'en passent fort bien (mais qui restent d'une brûlante pertinence en l'an 2009). Les quatre essais philosophiques : je me les suis procuré à la manifestation pour le retrait d'Afghanistan qui a eu lieu à Paris en septembre dernier, à la table à tréteaux d'un militant maoïste qui diffusait un stock de brochures des Éditions de Pékin, publiées en français dans les années 1960
Depuis quelques années un processus de diabolisation de la personne et de la pensée de Mao est en cours, souvent de la part d'anciens gauchistes qui en ont été de fervents adeptes non dépourvu d'idiotie diplômée en leurs jeunes années, et s'inscrit dans une campagne globale anticommuniste. Il semble qu'il ne pourra pas aboutir, ou au moins atteindre le niveau de celui dont Staline fut l'objet, ni même Lénine. Car en Chine Mao reste crédité de sa victoire sur le féodalisme et sur l'impérialisme dans la guerre de libération, et comme père fondateur d'un régime dont dans l'opinion de la plupart des Chinois la somme de succès dépasse celle des échecs et des tragédies.
Mao est un philosophe dont le style simple rend le commentaire difficile et redondant, et comme souvent les penseurs asiatiques, sa rhétorique est déconcertante et donne l'impression d'affirmer des évidences plutôt que de vouloir révéler ce qui serait caché sous l'apparence.
La philosophie de Mao est étroitement intriquée à son application pratique. En lisant ces essais qui parlent de théorie de la connaissance et de dialectique, et qui disent qu'elles n'ont de sens que par la pratique, on se trouve plongé dans les moments décisifs de la révolution chinoise, rendus intelligibles par les notes du texte, concises et efficaces.
Situer exactement la place de la pratique dans le processus d'accès à la connaissance exacte, c'est s'opposer au dogmatisme, à l'argument d'autorité dans l'usage de la théorie politique. Le rappel de la réalité des contradictions, de leur présence dans l'être même et non simplement dans la pensée qui fait des erreurs n'est pas une simple spéculation abstraite, il s'agit de montrer des clefs méthodologiques pour l'action révolutionnaire, de la part d'un expert en la matière, encore une fois pour s'opposer au dogmatisme qui pense faire des révolutions en appliquant des recettes. L'observation de la réalité doit permettre de détecter la contradiction qui agit.
Actuellement une des contradictions centrales de la réalité des anciennes puissances métropolitaines impérialiste est la désindutrialisation et le développement d'une économie parasitaire de prédation globale. C'est précisément la raison pour laquelle la lutte pour la réindustrialisation et la défense de l'emploi ouvrier est nodale car elle implique de tourner le dos à la division du travail impérialiste, et c'est aussi pour cela que les revendications élémentaires en terme de droit au travail et à l'existence des prolétaires français ne sont pas entendues, et elles sont aussi dévastatrices à long terme pour l'ordre capitaliste global que la revendication nationale chinoise et la lutte de la paysannerie de ce pays contre le féodalisme, luttes qui pouvaient sembler archaïques et sans importance aux yeux des dogmatiques.
Les contradictions, Mao les voit suivant un registre complexe, qui l'oppose implicitement à Staline pour lequel le socialisme est le mode de production qui a supprimé les contradictions. Non à Staline en personne mais à l'application sans intelligence de recettes stalinienne. Mao écrit dans le contexte de la déstalinisation qu'il refuse. Il approuve la répression de la révolte hongroise de 1956 mais sans nier la réalité des contradictions qui sont révélées par ce genre d'événements. Au cœur de sa théorie, la distinction entre contradictions antagoniques et non antagoniques. Les questions encore d'actualité de « contradiction principales « et « contradiction secondaires » viennent de là. Il s'agit pour lui d'articuler la question nationale et la question sociale. L'influence du maoïsme occidental après mai 1968 a étendu à l'infini le spectre de ces contradictions bataillant pour le premier rang sans doute au delà du champ qu'il aurait voulu, dans ce que nous appelons maintenant le « sociétal ».
Mais le fait est que le travail tout nu devant le capital ne peut pas triompher, voire ne peut pas même poser en antagoniste, sans jouer sur les contradictions internes de la bourgeoisie. La question a été réglée dès juin 1848 à Paris. Il y a donc dans l'histoire réelle un jeu permanent entre plusieurs contradictions et l'histoire de Chine interprétée par Mao est un terrain particulièrement riche pour les découvrir : Louis Althusser, très marqué par ces textes de Mao, a relayé profondément leur influence en France.
Mao s'est trouvé comme Lénine avant lui dans la situation originale de mener à la victoire une révolution dans un pays et dans de conditions historiques bien différentes de celles qui étaient prévues par les théories de Marx. Une révolution où la classe ouvrière est faible numériquement et nullement hégémonique. Ceci explique aussi sans doute l'attrait du maoïsme dans certains courants ultra d'essence petite bourgeoise qui croyaient pouvoir analyser dans la société de consommation des années 60 la fin du rôle révolutionnaire du prolétariat industriel. Ces maoïstes-là faisaient preuve précisément de l'espèce de dogmatisme que Mao critiquait en visant ceux qui voulaient appliquer mécaniquement des recettes conçues pour la Russie ou l'Europe à la Chine. La surprise d'octobre 17, de Pékin 1949, de Dien Bien Phu et de la Havane, c'est la victoire des partis communistes dans des pays peu industriels, mais toujours grâce à une analyse stratégique pénétrante des contradictions de la société industrielle dans son ensemble, fracturant le maillon faible du capitalisme de l'ère industrielle. Avec à chaque fois, même en Russie, une dimension patriotique indissociable de la révolution prolétarienne.
Comment Mao interpelle le PCF de 2009:
« Que cent fleurs s'épanouissent » : démocratie dans le parti !
« Feu sur le quartier général » : les hommes et les femmes de la mutation ont échoué, ils doivent quitter la direction !
« Encercler les villes par les campagnes » : les anciens bastions électoraux du PCF ne sont plus ceux où résident les prolétaires modernes, il faut déplacer la force du parti vers les périphéries du territoire, les grandes banlieues, les petites villes, et les zones rurales plus industrielles que les villes aujourd'hui.
Autre actualité de l'histoire des communistes chinois : leur peuple était confronté à une variété particulière de colonialisme européen qui associait presque tous les pays impérialistes dans son dépeçage. Notre peuple est confronté aujourd'hui lui aussi à l'association des bourgeoisies européennes et atlantiques dans le projet de construction d'un ordre colonialiste déterritorialisé à Bruxelles, c'est à dire partout et nulle part, un colonialisme techno-libéral dont la colonie est le territoire même des anciennes métropoles,