Histoire du mouvement social et communiste
Mardi 6 Décembre 2016
Le 6 décembre 1986, Malik Oussekine était tué à Paris par des policiers en marge d'une manifestation contre la loi Devaquet sur la réforme des universités
Malik Oussekine, jeune homme de 22 ans, est dans la rue. Il n'est en rien impliqué dans la mobilisation contre le projet Devaquet. L'étudiant sort d'un concert et s'apprête à rentrer chez lui. Il est alors poursuivi jusque dans un hall d'immeuble et battu à mort par les "voltigeurs", ces policiers à moto supposés pénétrer dans les manifestations pour mieux les disperser.
Novembre-Décembre 1986. Les étudiants déferlent contre la loi Devaquet L'Humanité 1986, Jacques Chirac arrive à Matignon et tente de faire passer une loi introduisant une sélection à l'entrée de l'université. Portée par Devaquet, la réforme précipite la jeunesse dans la rue. Au ministère de l'Intérieur, Charles Pasqua ordonne aux forces de l'ordre la fermeté. Alors la police se lâche. Malik Oussekine et Abdel Benyahia vont rester sur le carreau. La réforme sera retirée, et Jacques Chirac aura perdu pour longtemps le soutien de la jeunesse. Commencées comme un joyeux monôme, les manifestations étudiantes et lycéennes de novembre et décembre 1986 se sont achevées par un drame, la mort de Malik Oussekine, le 6 décembre 1986, et une victoire, forcément amère, le retrait du projet de loi Devaquet qui avait précipité des centaines de milliers de jeunes dans la rue. Pour toute une génération dont nombre de membres découvraient l'art et la joie de manifester dans les rues des moyennes et grandes villes de France , ce fut une expérience politique fondatrice. Le souvenir de ces longs défilés (souvent désorganisés) comme le nom de Malik Oussekine (en fait tué par les forces de l'ordre) restent gravés mais aussi cantonnés dans cette mémoire générationnelle. Moins de deux ans plus tard, des politiciens et des publicistes tentèrent, souvent avec succès, de transformer cette génération généreuse et indignée, généralement peu politisée, en « génération Mitterrand », dans le cadre de la réélection de ce dernier à la fonction de président de la République (à l'âge de 72 ans). « Devaquet si tu savais, ta réforme, ta ré-formeu, Devaquet, si tu savais, ta réforme où on s'la met ! Au-cu, aucune hésitation, sinon c'est la révolution ! » Chanté (ou beuglé) par des milliers de poitrines adolescentes, ce slogan renvoyait à la tradition du chahut étudiant. Les Jeunesses communistes (JC) s'abstenaient généralement de chanter la fin du slogan réforme ou pas réforme, la révolution, eux, ils la souhaitaient ardemment mais ils étaient fort minoritaires. Par contre, beaucoup s'accordaient à analyser cette mobilisation contre la loi Devaquet, certes, comme un refus de la sélection à l'entrée des universités, mais aussi comme une protestation plus diffuse contre un chômage de masse qui n'épargnait pas la jeunesse au contraire. À cette époque, déjà, on commençait à parler de « génération sacrifiée ». Ministre délégué à l'Enseignement supérieur, Alain Devaquet, ancien chercheur en biologie et membre du RPR depuis 1977 (il faisait partie des réseaux chiraquiens parisiens), avait grandement cédé aux libéraux (ceux du syndicat étudiant UNI en particulier). Son projet de loi entendait instaurer une sélection à l'entrée et à la sortie des universités, universités auxquelles il voulait assurer une large autonomie. On comprit assez vite que l'enjeu était d'adapter le monde de l'éducation et de la recherche à celui, précarisé et libéralisé, de l'entreprise, et que les enfants des classes populaires se verraient barrer l'accès aux études prolongées. En outre, le personnel administratif et technique n'avait nullement été consulté pour la préparation de cette réforme, pas plus que les syndicats étudiants classés à gauche (l'Unef-ID, proche du PS ou de groupes trotskistes et l'Unef ou Unef-SE , proche des communistes). En bref, il s'agissait d'une pure réforme de droite, prise dans le cadre du premier gouvernement de cohabitation Jacques Chirac avait été nommé premier ministre par François Mitterrand à la suite de la victoire des partis de droite aux élections législatives en mars 1986. Parti des universités, le mouvement gagna rapidement les lycées où n'existait aucune représentation syndicale seuls œuvraient parfois quelques groupes politiques comme les JCR, le MJS ou les JC. Il existe d'ailleurs une différence assez sensible entre villes universitaires et villes non universitaires quant à la direction politique des grèves. Si les universités de Dijon puis de Caen se lancèrent rapidement dans le mouvement, l'université de Villetaneuse (Paris-XIII) en fut l'un des épicentres, avant que, du côté des étudiants, les états généraux du mouvement contre la loi Devaquet se tiennent à la Sorbonne. Le 22 novembre y fut lancé un appel à la grève générale dans les universités. Le lendemain, une manifestation nationale lancée par la Fédération de l'éducation nationale (FEN) et soutenue par les partis de gauche (pour l'avenir de la jeunesse et contre la politique éducative du gouvernement) connut un fort succès on parla de 200 000 manifestants, dont de nombreux jeunes. Les lycéens du Mans furent parmi les premiers à se mobiliser avant que toutes les villes du Grand Ouest ne connussent de très grandes manifestations, en bénéficiant du soutien des syndicats de salariés au passage, on découvrit que la CFDT s'était abstenue lors de la présentation du projet de loi Devaquet au Conseil économique et social. Si ce mouvement jouissait du soutien de l'opinion et du regard bienveillant d'une partie des médias, il dut néanmoins faire face à une rude adversité. Sans même parler de quelques assauts violents de groupuscules d'extrême droite à Paris (du GUD en particulier), il eut à subir le mépris et les insultes d'une partie de la droite et de sa presse, et fut la cible de graves violences policières. L'éditorialiste du « Figaro Magazine » parla ainsi de « sida mental » pour regretter les maux qui s'abattaient sur cette génération. Et ce sont des membres des sinistres brigades de « voltigeurs » (policiers se déplaçant à moto et armés de longs bâtons qui n'étaient pas sans rappeler les « bidules » de la guerre d'Algérie) qui furent responsables de la mort de Malik Oussekine, dans la nuit du 5 au 6 décembre. Pourchassé rue Monsieur-le-Prince à Paris, Malik Oussekine, certainement étranger au mouvement de protestation, fut en effet tabassé à mort par deux membres des « pelotons voltigeurs motoportés » (PVM). La mort de cet étudiant franco-algérien en gestion immobilière, tout juste âgé de 22 ans, provoqua la démission immédiate de Devaquet, puis le retrait de la loi qui portait son nom, le 8 décembre. Cela n'empêcha pas d'autres membres du gouvernement de s'enfoncer dans l'indécence. Le ministre délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, déclara ainsi : « Si j'avais un fils sous dialyse, je l'empêcherais de faire le con dans la nuit. (...) Ce n'était pas le héros des étudiants français qu'on a dit. » L'opinion française fut en émoi. Des manifestations immenses (entre 500 000 et un 1 million de manifestants à Paris et plus d'un million en régions) saluèrent la mémoire du jeune homme (enterré au Père-Lachaise) et dénoncèrent les violences policières. Car Malik Oussekine ne fut pas la seule victime de ce type de violence en ce début décembre 1986. À l'issue de la manifestation du 4 décembre à Paris, alors que le climat social et politique devenait électrique et que le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, se vantait de vouloir « couvrir » sa police, plusieurs jeunes furent blessés, dont certains à la suite de tirs tendus pratique illégale pour les forces de l'ordre. François Rigal, étudiant brestois de 21 ans, perdit un oeil aux Invalides et Patrick Berthier, postier de 28 ans, eut une main arrachée alors que Jean Vidal, 18 ans, était blessé à la tête. En dehors du mouvement mais la même nuit que l'assassinat de Malik Oussekine , un autre jeune perdit la vie à la suite d'une autre violence policière. Abdelwahab Benyahia, dit Abdel, originaire de La Courneuve, fut en effet abattu dans un café à Pantin-Aubervilliers (aux Quatre-Chemins) par un policier en état d'ivresse (ce dernier n'était pas en service mais disposait de son arme). Le jeune homme de 19 ans, travailleur précaire, n'avait eu comme tort que de vouloir s'interposer lors d'une rixe. Deux jeunes tués le même soir par les forces de police, tous deux Maghrébins, cela faisait sans doute beaucoup, même pour le ministère de l'Intérieur, qui tenta dans un premier temps d'étouffer la mort d'Abdel Benyahia. Le nom d'Abdel apparut néanmoins sur certaines des banderoles de la dernière grande manifestation parisienne de décembre(1). Après que les PVM ont été dissous et grâce à l'opiniâtreté des familles et des proches, les auteurs de ces crimes finirent quand même par être sanctionnés et condamnés, chose rare dans la longue histoire des « bavures policières ». Si le nom d'Abdel Benyahia n'est connu que par quelques militants des quartiers populaires, celui de Malik Oussekine est devenu l'emblème de toute une génération, qui allait rejeter durablement la droite, ses mots et ses méthodes. Politiquement, la mobilisation contre la loi Devaquet fut, dans un premier temps, une aubaine pour le PS et François Mitterrand, qui fut facilement réélu en 1988. Peu de temps avant les grèves lycéennes et étudiantes, 400 militants lambertistes (le courant le plus dogmatique et le plus politicien de l'extrême gauche) étaient passés au PS, en échange, pour certains, de postes rémunérateurs à la mutuelle étudiante MNEF comme ce fut le cas pour Jean-Christophe Cambadélis, actuel premier secrétaire du PS. D'anciens leaders médiatisés du mouvement, tels David Assouline ou Isabelle Thomas, sont aujourd'hui élus au Sénat ou au Parlement européen au sein de groupes socialistes dont ils n'ont pas freiné la dérive libérale. À l'instar de Julien Dray, ils affirmaient être entrés au Parti socialiste pour l'« ancrer à gauche ». Sur ce point, on ne peut que constater leur échec. Les manoeuvres politiciennes ne sont heureusement pas toute la vie politique. En 1986, presque toute une génération, par les assemblées générales, les manifestations, les prises de parole, les collectes et les rencontres, l'animation des commissions et des coordinations, prit goût à l'action collective, souvent dans la joie. C'est encore un mouvement de jeunes qui, en 2006, en lien avec les organisations de salariés, a mis en échec le contrat première embauche (CPE), alors que Jacques Chirac était cette fois président de la République. Par contre, c'est sous la présidence de Nicolas Sarkozy que Valérie Pécresse, en tant que ministre de l'Enseignement supérieur et malgré une forte mobilisation des étudiants et des chercheurs, réussit avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU) à imposer en 2007 ce qu'une partie de la loi Devaquet souhaitait imposer en 1986 : l'autonomie des universités au prix d'un très inquiétant endettement pour nombre d'entre elles. La jeunesse dans la rue continue néanmoins à affoler tous les pouvoirs. Cela explique sans doute la répression administrative et policière inédite (pour ces dernières décennies) qu'eurent à subir les lycéens et les étudiants lors de la mobilisation contre la loi travail. Au même moment, dans le contexte effroyable qui suivit les attentats de novembre 2015, une autre fraction de la jeunesse, au pied de la statue de la République et à quelques centaines de mètres du Bataclan, tentait, comme par un acte de résilience, d'inventer une autre façon de faire de la politique et de vivre ensemble. L'avenir appartiendrait ainsi à une jonction entre la jeunesse étudiante et lycéenne, celles et ceux qui ont fait Nuit debout et les jeunes issus des quartiers populaires, majoritairement issus de l'immigration, sans oublier une large partie des zadistes. On ne sait si c'est possible peut-être pas , mais on sait déjà sur qui ne pas compter. (1) Lire « Rengainez, on arrive ! Chroniques des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires, contre la hagra policière et judiciaire, des années 1970 à aujourd'hui », de Mogniss H. Abdallah. Éditions Libertalia, 2012. |
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