A TROIS VOIX PRES
Les commentateurs mettent l'accent sur le fait que le gouvernement n'a esquivé que de peu la censure
Le poids des députés communistes dans le débat est souligné, même si, parfois, la réalité de leur démarche est travestie l'Humanité le 3 Juin 1992

TITRE: «Béré, miraculé de la censure»... Sous-titre: «Le premier ministre l'a échappé belle: la motion de censure de l'opposition RPR-UDF-UDC, appuyée par le groupe communiste, a été rejetée hier soir à l'Assemblée nationale à 3 voix près. Cette motion a recueilli, en effet, 286 voix, alors qu'il en fallait 289 pour renverser le gouvernement»... Cette présentation de l'article de Jacques Patoz, dans «le Quotidien de Paris», résume à sa façon une large partie des commentaires de la presse de mardi sur la tenue et la conclusion du débat de censure relatif à la réforme de la politique agricole commune (PAC). Une réforme qui doit être reliée au contexte dessiné par les perspectives de Maastricht. Ce que relève Paul Guilbert, dans «le Figaro», juxtaposant le «remarquable abandon de souveraineté» inscrit en filigrane du traité de Maastricht et la «véritable révolution imposée au monde rural»...

Michel Curie, dans «le Courrier picard»: «On peut se demander si la droite a choisi le bon terrain pour essayer de faire chuter le premier ministre. Elle a l'air d'oublier d'un seul coup qu'il existe chez elle une majorité de députés pro-européens»... Philippe Labarde, dans «la Tribune de l'Economie», évoque également ces contorsions: «Il s'agissait pour le RPR, l'UDF et l'UDC de sanctionner l'équipe gouvernementale, sans sanctionner l'Europe»... Et sur France-Inter, on pouvait entendre l'ex-ministre Brice Lalonde donner dans la philosophie de comptoir: «C'est une illustration nouvelle des difficultés politiques françaises. On va toujours être comme ça, ric-rac»...

Et pourquoi? M. Lalonde, qui ne parle plus que du sommet de Rio et des responsabilités des pays riches dans le devenir de la planète, semble ne pas être au courant des famines qui ravagent le tiers-monde. Du moins, si l'on en juge par la superbe avec laquelle il ignore le contenu d'une politique communautaire soumise à la férule américaine au point de programmer recul des productions alimentaires et gel des terres! Cette «distraction» est partagée par de nombreux autres commentateurs. Quelques exceptions, tel Gérard Badel qui, dans «le Parisien», évoque brièvement un «monde rural tout entier épouvanté par les conséquences de la réforme de la PAC». En revanche, dans «le Monde», Alain Rollat, soucieux de faire oublier ses pronostics erronés de la veille, vitupère «le risque mal calculé du PCF» et réussit le tour de force de consacrer un long article au débat de censure en... oubliant purement et simplement l'objet même de ce débat, que nous rappelons encore une fois: la réforme de la politique agricole commune.

«La direction du PCF n'envisageait pas jusqu'à dimanche de voter la motion de censure», proclame Alain Rollat. Preuve: mercredi dernier, le député communiste Gilbert Millet s'était contenté de «protester contre la capitulation des Douze devant le diktat américain (et) à réclamer que M. Mitterrand remette en cause l'accord bruxellois en utilisant son droit de veto» (ce qui, aux yeux d'Alain Rollat, constituait apparemment une manifestation de timidité à l'égard du projet!)... Mais, «lundi matin», André Lajoinie («qui s'identifie au communisme rural») a réussi à «convaincre Georges Marchais» que le Parti «avait un bon coup à jouer». Et que, d'ailleurs, cela ne mangeait pas de pain, «car dans l'esprit de MM. Marchais et Lajoinie, il n'y avait aucun risque sérieux de voir le gouvernement de M. Bérégovoy renversé»...

Avec une telle hauteur de vues, comment ne pas se sentir désarçonné lorsque, lundi après-midi, à l'issue de la réunion du groupe communiste, André Lajoinie donnait lecture d'une déclaration réaffirmant la condamnation de «décisions néfastes prises dans la logique de Maastricht (...) donnant aux Américains la maîtrise mondiale de l'arme alimentaire». Avant de conclure: «les députés communistes ne peuvent que censurer le gouvernement sur ces décisions contraires aux intérêts de la France, sans pour cela dédouaner les forces de droite maastrichtoises, qui feignent de critiquer ces mesures de Bruxelles, alors qu'elles acceptent la politique en vertu de laquelle celles-ci sont prises»...

A force de scruter interminablement les traficotages de couloirs entre députés de droite et de s'hypnotiser sur les «améliorations de l'image du gouvernement depuis l'arrivée de Bérégovoy», d'aucuns en avaient fini par «oublier» l'enjeu même du débat et la réalité de la démarche du PCF. Un peu à la manière du sénateur socialiste Mélanchon, accusant les députés communistes de pratiquer la «politique de la terre brûlée»; une phrase malheureuse dans la bouche d'un défenseur d'une authentique «politique de terre brûlée», celle planifiant la jachère d'une partie importante des terres agricoles françaises et européennes...

Jean Chatain.