Marxisme-Léninisme, socialisme, communisme
Mercredi 29 Novembre 2017
Denis Durand - Économie et politique, 29 novembre 2017
L'histoire d'Économie et Politique est inséparable de l’œuvre de Paul Boccara, qui l’a inspirée, encouragée, mobilisée pendant plus d’un demi-siècle. Sa disparition, survenue le 26 novembre dernier, au moment où ce numéro était presque achevé, touche notre revue et ses collaborateurs au cœur. Pas seulement pour les liens tissés avec sa personnalité passionnée et chaleureuse. Mais aussi pour la conscience que nous avons de la portée de son œuvre et de l’écrasante responsabilité qui incombe à ceux qui auront la tâche de la faire vivre et, si possible, de la continuer.
Dans ces circonstances, on ne peut s’empêcher de songer à la lettre qu’Engels écrivit au dirigeant ouvrier Wilhelm Liebknecht au lendemain de la mort de Marx, en 1883 : « je ne puis me faire à l’idée que ce cerveau génial ait cessé de féconder le mouvement prolétarien des deux mondes. Ce que nous sommes, nous le sommes grâce à lui ; ce que le mouvement est aujourd’hui, c’est à son activité théorique et pratique qu’il le doit. Sans lui, nous serions encore à tâtonner dans la confusion ». Verra-t-on dans ce rapprochement une exagération ? une outrecuidance ? Le reproche en a été fait plus d’une fois à Paul Boccara de son vivant. Lui-même pouvait être pris de vertige devant l’audace de son propre travail. « Ce que je fais est follement prétentieux, et pourtant, même si on le fait mal, il faut le faire. C’est en le faisant mal qu’on le fera mieux un jour », écrivait-il à la dernière page de son dernier ouvrage, Neuf leçons sur l’anthroponomie systémique (éditions Delga, 2017). C’est bien cette audace intellectuelle qui fait de lui une grande figure du marxisme, et elle puise sa force dans la même méthode qui a nourri l’œuvre de Marx : à l’opposé de tout sectarisme, elle repose d’abord sur un énorme effort pour lire, connaître, assimiler l’ensemble des connaissances disponibles, jusqu’à leur pointe la plus avancée. Son grand ouvrage en deux volumes sur les crises (Théories sur les crises, la suraccumulation et la dévalorisation du capital, éditions Delga, 2013 et 2015) atteste de sa connaissance intime de tous les courants de la pensée économique, des origines aux auteurs les plus contemporains ; on peut en dire autant, à propos de toutes les sciences humaines, de son exploration de ce qu’il a proposé d’appeler l’anthroponomie, c’est-à-dire les relations que les êtres humains nouent entre eux dans les relations parentales, dans la vie au travail, dans la politique et dans leur vie culturelle et psychique. Ce travail acharné a été la base solide qui a permis à Paul Boccara de développer un marxisme vivant parce que capable d’aller au-delà du travail de Marx lui-même, non seulement dans l’analyse de réalités d’aujourd’hui que l’auteur du Capital n’avait pas pu connaître, mais aussi dans la mise en œuvre de nouveaux outils. Par exemple, c’est en intégrant dans sa dialectique marxiste des éléments de la théorie des systèmes élaborée au milieu du XXe siècle qu’il a pu développer et systématiser l’analyse de la suraccumulation et de la dévalorisation du capital, dont Marx n’avait eu le temps que de tracer les lignes directrices dans le troisième livre du Capital. C’est ainsi qu’il a pu développer l’analyse des crises, de leur retour dans des cycles conjoncturels et dans des cycles longs débouchant sur des transformations systémiques qui ont pu aller jusqu’à des mises en cause du taux de profit mais ont conduit, finalement, à exacerber les contradictions de l’accumulation capitaliste. Il a pu mettre en évidence les caractéristiques inédites de la crise actuelle et de la façon dont, en particulier, la révolution informationnelle vient rendre concrètement possible une nouvelle civilisation dont la sécurisation de l’emploi et de la formation pour toutes et tous serait une des étapes. Que ce marxisme vivant ait été mis à l’index, en France, par l’institution académique, alors qu’il a exercé son influence dans le monde entier, peut être interprété comme un signe de la vigueur de la lutte des classes dans notre pays. Qu’il ait été refoulé de façon récurrente au sein du propre parti communiste où son inspirateur a milité toute sa vie est peut-être une tragédie de l’histoire contemporaine. Car chez Paul Boccara – et c’est là un autre point commun avec les auteurs du Manifeste communiste – la recherche théorique était inséparable de l’expérimentation et de la participation active aux luttes politiques. Son influence, et celle de la commission économique du PCF dont il n’a jamais cessé d’être l’inspirateur exigeant et fraternel, a été grande, dans l’élaboration, dès les années soixante, d’une théorie du capitalisme monopoliste d’État émancipée des dogmatismes que la version soviétique du marxisme imposait jusque-là au mouvement communiste. Elle l’a été dans l’ouverture du chantier, si actuel aujourd’hui, des nouveaux critères de gestion, et jusqu’à ces toutes dernières années dans les percées théoriques et politiques réalisées dans les domaines de la monnaie, du crédit, de la recherche d’une autre mondialisation passant par une tout autre construction européenne, et dans le développement des travaux sur la sécurité d’emploi et de formation. Mais au lieu de se servir de ce bagage théorique et politique pour surmonter la crise causée, dans le mouvement communiste, par l’effondrement du modèle soviétique, les directions successives du PCF ont eu tendance à rechercher dans l’air du temps, c’est-à-dire dans l’idéologie dominante, des références dont elles espéraient qu’elles restaureraient un capital de sympathie pour leur courant politique. Comme il n’en a rien été, Paul Boccara s’est trouvé au premier rang du combat des militants exprimant l’exigence d’un Parti communiste profondément transformé pour pouvoir jouer son rôle révolutionnaire dans la société française du XXIe siècle. Beaucoup se souviennent d’un des derniers épisodes en date, le rôle moteur qu’il a joué pour conjurer, déjà, la menace d’effacement du PCF, en 2007 et 2008. En un moment où cette menace s’est faite encore plus pressante, rappeler ce que Paul Boccara, dès 2004, avait eu l’occasion de dire dans une soirée organisée pour le cinquantième anniversaire de notre revue éveille une particulière émotion : « À propos de l’histoire de la revue, le plus important, ce sont les leçons pour le présent et pour l’avenir. D’abord sur notre orientation et notre progression : face à l'effondrement de nos anciens repères révolutionnaires étatistes et dogmatiques et face aux transformations historiques, nous avons cherché la mise en liaison entre un développement créateur de la théorie marxiste et les luttes. Dans ce va-et-vient, il s'agissait de ne pas céder sur les idées novatrices. Ensuite sur les obstacles à surmonter : 1. l'opposition et le rejet de la nouveauté, 2. malgré le succès des idées nouvelles, la récupération et la déformation conservatrice par d'autres et même dans le PCF. 3. la phraséologie et la répétition d'une formule, au lieu de la concrétisation et du développement dans les luttes, comme cela persiste pour la sécurité d'emploi ou de formation, 4. l'insuffisance aussi de nos apports et le besoin de passer à d'autres apports, 5. l'immaturité de la situation objective par rapport à nos espérances… Enfin, sur l’expérience de ce qui a trop manqué dans l'élaboration avec d'autres forces. Il s'agit du besoin d'efforts persévérants de clarification publique sur les exigences objectives de transformation en articulation avec des luttes immédiates, dans leur direction… ». Jusqu’à ses derniers jours, Paul Boccara a mis toutes ses forces dans ce combat. Relire ces propos aujourd’hui, c’est mesurer combien sa voix va manquer, mais aussi combien il sera vital de faire connaître son œuvre et de continuer à travailler dans les perspectives qu’il a ouvertes. Économie et politique s’y efforcera. |
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