Les élections législatives en Inde se terminent le 1ᵉʳ juin.

D'un côté se trouve le bloc nationaliste hindou de Narendra Modi (NDA-BJP) et de l'autre, le bloc INDIA dirigé par le Indian Congress, les partis régionaux et les partis communistes.

En Inde, toutes les conditions sont réunies pour qu'éclate une révolution socialiste. Pourtant, rien ne se passe.

L'influence des politiques identitaires, basées sur la religion, sur la caste, efface les revendications sociales et économiques. L'Inde a connu d'importantes mobilisations sociales, ouvrières et paysannes durant le mandat de Narendra Modi.

D'où vient cette dérive identitaire en Inde, qui masque la lutte des classes au profit d'une lutte des castes et des religions ?

Pour comprendre cette situation, il nous faut regarder l'évolution du vote communiste dans ce qui est l'Hindustan, cette région passée du rouge au nationalisme identitaire.

La commission « Mandal et Kamandal »

Dans l'Uttar Pradesh, plus précisément dans l'est et le centre de l'état, qui forment le Bundelkhand, existait une implantation communiste puissante jusque dans les années 90. La dernière fois qu'un communiste est élu à la Lok Sabha (chambre basse du Parlement indien) remonte à 1991.

Les partis communistes de l’Uttar Pradesh ont disparu et n’ont pas réussi à remporter de sièges depuis des décennies. Autrefois dominants dans des régions comme Varanasi, Mau et Ghazipur, ils luttent désormais contre les politiques identitaires.

Les communistes ont commencé à perdre du terrain à partir des années 90, face au BJP (droite nationaliste), au Samajwadi Party (centre gauche) et au Bahujan Samaj Party (parti dalit), ce qui correspond à l'émergence des "politiques identitaires" au nom de la commission « Mandal et Kamandal » (1979). Cette commission est chargée d'identifier les classes et les communautés socialement arriérées en Inde et de leur réserver des sièges et des places dans les emplois publics.

Pendant environ une décennie, ce rapport est resté lettre morte jusqu'à ce que VP Singh (Indian congress) devienne Premier ministre d'Inde en 1989. Pour des raisons politiques, il a décidé de mettre en œuvre les recommandations de la commission afin de consolider et de contrôler les voix des castes arriérées pour les élections.

Il est important de noter que sous la direction de VP Singh, l'Inde entre dans l'ère néolibérale et commence à abandonner son modèle social hérité de Nehru.

À cette même époque, la politique de l'Hindutva (nationalisme hindou) émerge et est incarnée par le BJP, et il va reprendre à son compte le travail de la commission Mandal et Kamandal.

Pour contrer la domination politique des partis orientés vers les castes arriérées, le BJP a lancé sa marque politique pour consolider les votes hindous sous son égide. Et va connaitre une renaissance. En 1991, lors des élections en Uttar Pradesh, le BJP remporte une victoire décisive et forme le gouvernement. Les nationalistes hindous remportent 221 des 403 sièges de l'Assemblée législative de l'Uttar Pradesh. Le ver est dans la pomme.

"Le communisme a été victime de la politique identitaire à cause de Mandal et Kamandal après 1992. Les partis communistes n'ont jamais cru à la politique des castes ou de la religion...", explique Prem Nath Rai, membre de la direction du Parti Communiste d'Inde (Marxiste).

La criminalisation de la politique

Les performances électorales des partis de gauche dans l’est de l’Uttar Pradesh étaient fortes, mais après les années 1980, la polarisation politique et l’évolution de la dynamique électorale leur ont posé de formidables défis. Ces zones se sont transformées en foyers criminels, dominés par le clan Mukhtar Ansari et ses associés, dans lesquelles le BJP, le BSP et le SP s'érigent comme forces dominantes.

Ce changement a posé des défis importants à l'influence de la gauche en raison d'une combinaison de politiques identitaires et de protection des éléments criminels par les partis politiques pour élargir leurs horizons.

Les Partis communistes vont subir l'émergence d’une politique fondée sur l’identité, qui va éclipser le discours de classe, et entraver leur capacité à mobiliser des soutiens. De plus, les partis identitaires vont développer des gangs criminels pour semer une terreur politique qui va éroder la base des partis communistes. Le clan Mukhtar Ansari va ainsi contrôler la politique et l'économie de régions entières.

Arvindraj Swaroop, Secrétaire du Parti Communiste d'Inde, explique que "parallèlement à la politique identitaire, la criminalisation de la politique a encore érodé la base des partis communistes. »

Il a déclaré : « Malgré ces obstacles, la gauche continue de lutter pour la pertinence de l'UP. Nous sommes aux prises avec les complexités d’un environnement sociopolitique en évolution rapide.

Quelle conclusion peut-on tirer de cette situation ?

Après la chute de l'URSS, le développement de la phase capitaliste néolibérale se fonde dans le domaine des idées, par l'imposition d'une nouvelle conception du monde appelée "postmodernité", à laquelle se rattachent des "petits récits". La vérité est toujours relative et dépend du point de vue de chaque faction ou groupe social.

En Inde, les questions identitaires basées sur les religions, les castes, vont prendre de l'importance et remplacer les problématiques économiques et sociales liées à la classe. Ainsi les partis portant ces valeurs identitaires vont remplacer les partis de classe, les communistes.

Le contre-exemple c'est le Kerala. Dans cet état, l'important niveau développement social et économique des forces productives permet d'éclipser le discours identitaire et de réduire ce dernier à être pour ou contre le communisme. Ainsi, les hindous, les musulmans, les chrétiens, les dalits... votent en fonction d'un intérêt de classe et non en fonction de leur position attribuée par une caste.

Comparaison n'est pas toujours raison, cependant, ce schéma existe aussi en France avec un développement inouïe des politiques identitaires. Si l'extrême droite domine se courant en s'appuyant sur des mythes, des mensonges et la peur, il existe aussi à gauche un courant identitaire qui prospère. Le déclin des idées marxistes, laisse place à un courant idéologique postmoderne identitaire : Le courant intersectionnel.

Pour approfondir ce sujet :

Entre castes et classes. Les communistes indiens face à la politisation des basses castes, Raphaël Gutmann, L’Harmattan, Paris, 2010.

Sur le postmodernisme et l'intersectionnalité : Il faut combattre le postmodernisme, cet antimarxisme