A quelques semaines de la désignation du candidat socialiste à la présidentielle, au mois de novembre, les secrétaires de section décident même d’établir une nouvelle règle du jeu : pour voter, il faut s’être présenté au moins une fois dans une réunion. Gagné : les nouveaux se sont bousculés pour avoir le droit de glisser leur bulletin dans l’urne.
Des vieux militants déçus par Ségolène Royal
Depuis cette soirée de primaires, c’est le calme. Un responsable du XIIe arrondissement avoue que sa section, qui avait gagné 800 personnes, est aujourd’hui redescendue à son niveau d’avant, soit quelques 600 adhérents. Parmi ces démissionnaires, des "vieux" militants. Arrivé en 1996, Eric Besançon, 46 ans, n’a pas renouvelé sa cotisation cette année :
"Après dix ans au PS, deux choses m’ont traumatisées : le sourire de Ségolène Royal au soir de la défaite et son volte-face sur le Smic à 1 500 euros. Je ne la supporte plus et j’ai voulu manifester ma colère."
Saine ou pas, sa colère est surtout passagère. Eric l’a décidé, il retournera au PS... sauf si Ségolène Royal prend les rênes du parti. Ce rejet de l’ex-candidate a motivé la décision de partir chez beaucoup de militants de longue date.
A 54 ans, Patrick Soulier a passé dix-huit ans dans des réunions de section à Cesson-Sévigné (Ille-et-Villaine) :
"Je suis arrivé en 1990, après le Congrès de Rennes. Je voulais faire avancer les choses. J’ai failli partir en 1997 quand Lionel Jospin a initié la privatisation de France Télécom. Puis à nouveau en 2005, à cause de l’Europe. Et j’ai finalement plié bagages en 2006 après la désignation de Ségolène Royal."
Qualifiant la présidente de la région Poitou-Charentes de "candidate des sondages", Patrick Soulier déplore sa désignation par des "gens peu fiables". Il n’est pas le seul à fustiger ces "adhérents à 20 euros".
De nouveaux camarades éphémères, "sans fidélité au parti"
Les militants de longue date ne sont pas les seuls à déserter. Une grande partie des nouveaux adhérents, attirés par la candidature de Ségolène Royal, n’ont finalement pas renouvelé leur carte.
Un secrétaire fédéral y voit une absence de politisation de ses éphèmeres camarades :
"Ce sont des gens sans fidelité au parti. Ils n’ont pas fait campagne. Peu d’entre eux sont venus voter au projet. Le contenu leur importait beaucoup moins que les candidats."
Mais cette sévérité a lourdement pesé dans leur décision de fuir. Etudiant, Yann a poussé les portes de sa section dans le Val-de-Marne en 2006. Plein de l’envie de voir gagner Dominique Strauss-Kahn, il est allé aux réunions, a participé à des groupes de discussions, a collé des timbres sur des enveloppes, a tracté. Avant de déchanter :
"J’en ai eu marre qu’aux réunions, on me reproche mes questions. J’en ai eu marre que tout soit compliqué. Les autres adhérents nous traitaient comme des fans de la Star Ac’. Je suis parti."
Farid Taha est aujourd’hui au MoDem. Il se souvient de ses deux mois à la section de Compiègne (Oise) en 2002. Voici le témoignage qu’il nous a envoyé par mail :
"J’ai demandé à adhérer à la fédération de l’Oise et un syndicaliste de la CFDT travaillant avec moi m’a conseillé de voir une des responsables locales à Compiègne. On m’a fait attendre presqu’une bonne heure dans un local de permanence électorale exiguë sans trop m’adresser la parole.
"J’ai payé ma cotisation et je suis parti avec un bout de papier annonçant la réunion publique du surlendemain. J’y suis allé, découvrant pour la première fois une réunion politique avec d’un côté des chaises et des militants qui écoutent (ils n’avaient pas encore inventé la démocratie participative) et de l’autre une estrade avec des cadres qui parlent.
"J’ai posé une ou deux questions qui se sont soldées par une réponse catégorique du genre ’c’est pas le moment’."
Un mode de fonctionnement poussiéreux et décourageant
Pour Rémi Lefebvre, politologue spécialiste du socialisme français, également membre de Gauche Avenir, club de réflexion de l’aile gauche du parti, cette opération à bas prix a été bricolée dans l’urgence et l’amateurisme :
"L’UMP, à la même époque, pesait lourd en terme de militants. Le PS n’avait pas le choix, ils leur fallait tenter quelque chose."
A l’époque, le parti ne comptait que 130 000 militants. Jack Lang, responsable de cette campagne, y a beaucoup mis du sien. Sur la forme : accueil des nouveaux, déplacements, nouveau site Internet. Sur le fond : discours très antisarkozyste et nouveau mode de désignation.
Lang avait annoncé, à l’époque, être candidat à la candidature, avant de soutenir Ségolène Royal. Un responsable socialiste persifle : "Il a été zélé parce qu’il se voyait déjà président…"
L’affluence des nouveaux adhérents a ainsi été mal accueillie par des sections dont le mode de fonctionnement, poussiéreux, n’a pas su s’adapter.
"Les partis surévaluent toujours leurs adhésions."
Un an après, le Parti socialiste, qui a tant communiqué les chiffres de ses nouveaux adhérents, se fait discret lorsqu’il s’agit de soustraire. Suffisamment vague, le secrétaire aux Fédérations Kader Arif reconnaît que la majorité des partants se compte parmi les adhérents à 20 euros. Pour Rémi Lefebvre, "c’est certainement bien pire que ce qu’ils annoncent. Les partis surévaluent toujours leurs adhésions."
Pour ça, les comptables n’ont même pas besoin de recourir au mensonge. Il suffit de conserver les fichiers d’une année à l’autre, sans faire de mise à jour... Estelle continue ainsi de recevoir du courrier de sa section parisienne, alors qu’elle a quitté le PS en février 2007.
Yves Bonnefoy, président du bureau national des adhésions, concède qu’il est difficile d’établir le nombre exact, notamment en raison de ce double comptage : celui des adhérents dont la cotisation est à jour, et le "corps électoral" constitué par l’ensemble des adhérents des deux dernières années.
Si un adhérent a payé sa cotisation en 2006, il reste pris en compte dans les fichiers et peut, pendant deux ans, renouveler sa carte à tout moment pour participer aux votes internes. Un système complexe qui explique en partie le flou des chiffres.
"Le parti où ils sont le plus nombreux, c’est chez les anciens." Rengaine en vogue dans les années 70 pour railler les vagues de désertions qui touchaient le PCF, elle s’est appliquée dès la fin des années 80 aux socialistes.
"Cette chute des adhérents socialistes est exceptionnelle"
La décrue, d’environ 25% officiellement, est "normale après une campagne", insiste Solférino. Notamment après une défaite. "Ils viennent faire un tour pendant la campagne et repartent. Les réunions politiques de base ne sont pas spécialement rigolotes", dédramatise un socialiste, avant d’observer que "l’amplitude des marées est impressionnante". Rémi Lefebvre rétorque qu’en France, "si le turn-over est très élevé et le taux de fidélité à un parti très faible, cette chute des adhérents socialistes est exceptionnelle".
En public, les socialistes minimisent. En privé, ils laissent entrevoir leur découragement. Un responsable souhaitant rester anonyme avoue :
"L’attractivité dans ce parti est faible… Entre les dirigeants mous, ceux qui ont rejoint Sarkozy et l’absence totale de programme, il n’y a aucune raison de venir chez nous."