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Lundi 8 Octobre 2018
Le rapport spécial du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec), validé samedi par 195 États, conclut que l’objectif est tenable, à condition de transformer radicalement et vite nos systèmes de production
Une part de ses conclusions avaient été anticipées, et pourtant toutes étaient attendues comme rarement : adopté samedi par les 195 États membres de l’ONU, le rapport spécial du Giec sur le réchauffement à 1,5 °C a été rendu public cette nuit. À l’heure où le sujet climat laisse généralement place à l’accablement, les conclusions de cette nouvelle analyse scientifique font l’inverse : oui, affirme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il est encore possible de limiter la hausse des températures à 1,5 °C par rapport aux moyennes enregistrées avant 1900 et l’ère industrielle. Mais il faut agir vite et radicalement, argumentent les auteurs du rapport, qui précisent également pourquoi il est vital de le faire. Décryptage.
1- 1,5 °C , essentiel pour tous, capital pour le Sud Limiter le réchauffement global à 1,5 °C ou à 2 °C ? La question est débattue depuis plusieurs années, et même mise en balance dans l’accord de Paris, adopté lors de la COP21, en 2015. Cet écart de quelques dixièmes de degré peut paraître résiduel. Il est pourtant déterminant. Schématiquement, tolérer que la Terre se réchauffe de 2 °C permet d’autoriser un peu plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’à 1,5 °C. Cela demande, de fait, moins d’efforts aux pays les plus pollueurs. D’un autre côté, une telle hausse des températures causera globalement plus de dégâts, singulièrement pour les pays du Sud, extrêmement vulnérables face aux effets du réchauffement. Le cinquième rapport du Giec sur les scénarios climatiques, publié en 2013 et 2014, contenait déjà des éléments scientifiques à ce sujet. Mais les données étaient encore peu nombreuses et manquaient de précision, offrant aux États les plus réfractaires une échappatoire pour s’en tenir au minimum d’efforts. Ce rapport spécial commandé par l’ONU au Giec peu après l’adoption de l’accord de Paris comble cette lacune, et offre une revue détaillée de ce qui sépare un monde à 1,5 °C d’un monde à 2 °C. Il donne aussi une évaluation des mesures à prendre et leur fixe une échéance. Chaque dixième de degré va compter. 2- A 2°C, la survie des coraux est compromise à 99 % Les experts du Giec sont unanimes : entre un monde à 1,5 °C et un monde à 2 °C, il y aura des conséquences notables. Mais, bien sûr, ces effets s’intensifieront selon l’ampleur du réchauffement. Sachant que certaines situations sont, pour certaines, d’ores et déjà irréversibles… Élévation du niveau des mers, hausse des températures, multiplication des épisodes de sécheresse et de fortes précipitations… le réchauffement va indubitablement entraîner dans son sillage un accroissement des phénomènes climatiques extrêmes partout dans le monde. Pas de surprise. Mais les experts ont affiné leurs prévisions, estimant ainsi très probable que « les jours extrêmement chauds sous les latitudes moyennes se réchaufferont d’environ 3 °C avec un réchauffement de 1,5 °C et d’environ 4 °C à 2 °C ». Autre danger environnemental qui guette l’humanité, l’élévation du niveau de la mer. Les projections tablent sur une élévation moyenne évaluée entre 0,26 et 0,77 mètre d’ici à 2100, avec un scénario à 1,5 °C, soit 0,1 mètre de moins qu’à 2 °C. Une situation qui aura forcément des répercussions sur la calotte glaciaire. Sur terre, les impacts sur la biodiversité et les écosystèmes sont déjà bien renseignés. Encore une fois, le rapport se fait plus précis : sur les 105 000 espèces étudiées, 9,6 % des insectes, 8 % des plantes et 4 % des vertébrés devraient voir leur aire géographique diminuer de moitié avec un réchauffement à 1,5 °C, à 2 °C, ce serait le double d’espèces impactées. Tous ces impacts vont bouleverser la biodiversité marine et la pêche. L’aire de répartition de nombreuses espèces marines devrait être déplacée. Un exemple donne froid dans le dos : avec 1,5 °C de plus, les récifs coralliens devraient encore diminuer de 70 à 90 %. Et, à 2 °C, leur survie est même compromise à 99 %, selon les chercheurs. Un changement qui aura des répercussions sur la pêche et l’aquaculture. Le Giec pronostique une baisse d’environ 1,5 million de tonnes de captures annuelles mondiales pour la pêche à 1,5 °C, et une perte de l’ordre du double à 2 °C ! Santé, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau, croissance économique… les risques liés au climat vont aller croissant. Certaines maladies comme le paludisme ou la dengue vont s’étendre encore, quel que soit le réchauffement. Et, comme aujourd’hui, les personnes les plus exposées seront les plus défavorisées. Cependant, limiter le réchauffement à 1,5 °C permettrait de diminuer de plusieurs centaines de millions le nombre de personnes exposées à la pauvreté d’ici à 2050. Aussi inquiétant soit-il, ce rapport du Giec insiste aussi sur les possibilités d’adaptation disponibles pour réduire tous ces risques : selon les experts, il est encore possible d’agir sur la gestion de la biodiversité, de lutter contre l’élévation du niveau des mers ou encore d’améliorer la santé ou l’accès à la nourriture. Tout en prévenant : « L’adaptation a ses limites même à 1,5 °C. » 3- 1,5 °C possible, à condition d’aller vite… Sans surprise, le rapport confirme que si l’on ne change rien à nos modes de production actuels, nous aurons dépassé les 1,5 °C avant d’avoir dit ouf. « Il est estimé que les activités humaines ont déjà causé un réchauffement approximatif de 1 °C (entre 0,8 °C et 1,2 °C) par rapport à l’ère préindustrielle », avancent les scientifiques. Ils jugent probable (ce qui, en langage scientifique, correspond à un niveau de certitude important) qu’en poursuivant sur le même rythme, le 1,5 °C de réchauffement sera atteint et dépassé aux alentours de 2040 (entre 2030 et 2052). Les effets seront irréversibles et persistants sur des siècles, voire des millénaires. Mais la messe n’est pas encore dite, avancent-ils également. Car, si les émissions de gaz à effet de serre cumulées depuis le début de l’ère industrielle jusqu’à aujourd’hui provoquent déjà des effets à long terme un peu partout dans le monde, il est peu probable qu’elles suffisent à elles seules à faire grimper la température globale à 1,5 °C. Autrement dit, atteindre rapidement la neutralité carbone, c’est-à-dire ce moment où la Terre sera de nouveau capable d’absorber autant de gaz à effet de serre qu’il en est émis, peut permettre de ne pas dépasser – ou très peu – cette limite. Certes, on l’a dit, des effets perdureront. Mais ils seront moindres, comparé à un réchauffement global de 2 °C, et leur gravité dépendra des mesures d’adaptation qui seront prises. 4- ... ET DE TAPER très fort Aller vite, en matière de gaz à effet de serre, cela signifie infléchir drastiquement le niveau d’émissions. Pour ne pas excéder 1,5 °C, le rapport indique qu’il faut les avoir réduites de 45 % entre 2010 et 2030. Il faudrait, dans la même veine, avoir atteint une neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour comparaison, l’objectif des 2 °C nécessiterait de (ne) réduire ces mêmes émissions (que) de 20 % d’ici à 2030, et d’atteindre la neutralité carbone autour de 2075. Une trajectoire dans laquelle les États ne parviennent pas à s’inscrire. Le chemin permettant d’y parvenir existe cependant. Il implique que cette transition soit rapide et profonde dans tous les domaines. Que ce soit l’énergie, l’utilisation des sols, le modèle des villes et ses infrastructures (transports et bâtiments) et bien évidemment le modèle de production industrielle. Face à ces défis, une sortie définitive du charbon est donc nécessaire. En Europe, on parle de 2030; au niveau mondial, de 2050. Mais les obstacles sont nombreux et les disparités grandes entre pays. Quoi qu’il en soit, pour le Giec, les solutions ne sont pas légion et les énergies renouvelables le fer de lance. Les rapports estiment ainsi que dès 2050 celles-ci devraient représenter 70 à 85 % du mix énergétique mondial. Pourtant, afin d’atteindre cette neutralité carbone en milieu du siècle, le mode de production des énergies ne peut être le seul vecteur. L’industrie dans son ensemble doit y jouer un rôle majeur au point que ses émissions de CO2 devront être inférieures d’environ 75 à 90 % en 2050 par rapport à 2010. Un pari à tenir aussi pour les villes. La transition des systèmes urbains et des infrastructures en vue de limiter le réchauffement climatique doit impliquer des modifications de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme mais aussi des pratiques, ainsi que des réductions d’émissions plus importantes dans les transports et les bâtiments. Enfin, ne sera tenu le pari du 1,5 °C que si l’agriculture revoit son modèle productiviste de manière drastique et s’attelle à la restauration de la biodiversité. Une transition dans l’utilisation des terres aux niveaux mondial et régional est donc plus que nécessaire. Pâturages, terres non pâturées, cultures vivrières et fourragères reboisement à grande échelle seront les mamelles de la décarbonisation pour ces trente prochaines années. 5- Avec en prime des co-bénéfices sociaux Restait la question à laquelle il fallait résolument répondre, essentielle : de tels bouleversements économiques sont-ils compatibles avec la lutte contre la pauvreté et plus globalement les objectifs de développement que s’est fixés l’ONU ? Là encore, le rapport répond par l’affirmative. Traîner à mettre en place des actions pour limiter le réchauffement induit le risque d’en augmenter les impacts, et donc les coûts qui leur sont liés, rappelle le rapport. Tout réchauffement évité réduit de fait les risques d’inégalité et de pauvreté, rappellent encore les scientifiques.Garantir l’équité et l’éthique sera en outre une arme pour affronter les effets incompressibles d’un réchauffement à 1,5 °C, poursuivent-ils. « Des mesures d’adaptation spécifiques à chaque contexte auront des bénéfices en matière de réduction de la pauvreté. » Bien orchestrées, « elles peuvent aider à sécuriser l’accès à l’eau et à l’alimentation ou permettre d’améliorer la santé » des populations. Tout cela implique cependant que les systèmes d’adaptation et d’atténuation des gaz à effet de serre soient soutenus par des investissements et innovations technologiques importants, insiste encore le Giec. L'Humanité |
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