Saucissonné en cinq parties, le projet proposé par la direction du PCF à la discussion du 33ème congrès montre de grandes faiblesses théoriques, confirmant ainsi les reculs opérés ces dix dernières années. Les cinq textes entérinent le dépouillement progressif des atouts révolutionnaires du PCF, un peu comme une tentative de refaire le congrès de Tours, mais à l’envers... Le démarrage de ce processus semble coïncider avec l’époque de la mise en œuvre de la "mutation". Mais la "bête" n’est pas morte, car il n’est pas innocent que le contenu de ces textes entretienne encore une certaine confusion. A savoir, il est fait une subtile utilisation des concepts révolutionnaires (contradiction Capital/Travail, lutte des classes, propriété privée des moyens de production...) comme pour mieux les soumettre à un jargon inspiré d’une démarche social-démocrate (argent-roi, dépassement du capitalisme, libéralisme, appropriation sociale des entreprises...). De même, ces textes mettent en avant une certaine acculturation de l’histoire communiste. Grosso modo, avant la mutation, le PCF prisonnier d’une culture "étatiste" aurait eu tout faux, ce prétexte permettant de mettre à l'index toute l'histoire du PCF au 20ème siècle ; mais heureusement, aujourd’hui, les nouveaux communistes auraient su faire table rase du passé pour mieux atteindre le nirvana de la citoyenneté...
Tout d’abord, on était en droit d’attendre une analyse poussée de la situation concrète en France, dans le monde et de leur évolution, sur les plans économiques, sociaux et politiques. Il n’en est rien : aucune analyse sérieuse des évolutions du capitalisme, de ses principaux contradicteurs et donc de la lutte des classes, aucune mise en situation ne viennent étayer la démonstration. Au contraire, le projet nous impose l’Union Européenne comme un horizon indépassable que le peuple de France a pourtant globalement rejeté : donc aucune analyse sérieuse de cette formidable victoire de classe que représente le 29 mai. Pas d’analyse non plus des luttes qui ont marqué les périodes récentes, luttes exemplaires des travailleurs pour les services publics (SNCM, RTM, SNCF...) ou pour défendre les entreprises menacées (Nestlé...) : cela s’explique notamment parce que la direction du PCF a été étrangement absente de ces combats, se refusant à organiser la solidarité nationale et laissant ces luttes se dérouler dans un isolement local extrême. Il n’y a donc aucune analyse sérieuse du rapport des forces politiques en France. La leçon du 21 avril 2002 semble finalement n’avoir jamais été tirée... Mais également, on ne saura rien sur ce qui se passe en Amérique latine et qui est en train de créer l’évènement anticapitaliste autour de Cuba et du Venezuela, et peut-être la Bolivie.
A propos de la lutte des classes
Le projet commence par une présentation générale et largement idéaliste de ce que serait le communisme : "La visée communiste" ! Il en découle un récit sans grande clarté, une sorte d’épopée au cours de laquelle "des femmes et des hommes qui aspirent à un autre monde se lèvent" et "expriment l’ambition de le construire (l’autre monde) eux-mêmes" : voila ce qui est appelé le communisme ! Il ne sera jamais franchement question des protagonistes de la contradiction Capital/Travail, ni de l’âpreté de leur confrontation, c’est-à-dire les luttes de classes, moteur de l’histoire. Ce terme de "luttes des classes" est d’ailleurs utilisé une première fois de manière ambiguë pour nous dire qu’elles "ont pu, dans un contexte de confrontation mondiale entre deux systèmes" (lesquels ?), "favoriser des conquêtes sociales" : au conditionnel, au passé ? Le terme est utilisé une deuxième fois pour nous redire qu’il y a "des points d’appuis, des acquis sociaux qui sont souvent le fruit des luttes de classe" : souvent ? Dans un deuxième chapitre, il est question de "combat contre l’exploitation". Chouette, on va peut-être nous apprendre laquelle, qui exploite et comment... Non, le texte entretient toujours une savante confusion : en fait le combat évoqué est celui contre le sexisme, le racisme et pour l’environnement. Tous combats nécessaires, mais qui ne peuvent exonérer de celui indispensable contre la propriété privée des moyens de production et de son corollaire, l’exploitation économique du prolétariat par la bourgeoisie. Puis dans la continuité, la lutte des classes est évoquée une troisième fois : "la lutte des classes et la domination de la bourgeoisie ont pris une dimension planétaire et universelle", comme pour mieux sous-entendre qu’au niveau local, cette "lutte des classes" n’a plus de signification ou en tous cas qu’elle nous échappe, que l’on n’y peut plus rien. Et c’est tout. Car par la suite, la lutte des classes disparaît comme par magie, escamotée par les auteurs du texte. Au travers de "La visée communiste", chapeau théorique de tout le projet, cette manière de citer la lutte des classes nous montre que leurs auteurs ont déjà pris leur distance avec cette notion qui apparaît étrangère à leur démarche. Aussi, dans l’ensemble du texte, le fait de ne trouver nulle trace, nulle analyse des classes sociales et de leur évolution dans la société française et dans le monde s’explique : là se situe la démission, l’indigence du travail théorique d’une direction qui pousse le PCF dans la pédagogie du renoncement. A ce stade de la lecture, on ne peut s’empêcher de citer l’incipit du "Manifeste du Parti communiste" : "L’histoire de notre société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes" [1].
L’Etat et la démocratie
Autre démonstration à laquelle prétend ce texte intitulé "La visée communiste" : il y aurait eu une conception de l’Etat propre à "l’ancienne démarche communiste", mais heureusement, "depuis plusieurs congrès" (les auteurs pensent sans doute "depuis la mutation"...), les communistes auraient "renouvelé leur conception du dépassement du capitalisme". Il y aurait donc eu, en ex-URSS, "une vision étatiste du développement paralysant l’intervention citoyenne", conception qui serait "la matrice de notre propre parti". Comme pour mieux montrer que le texte est imprégné de cette analyse, les auteurs utilisent même un terme provenant de l’idéologie dominante sans le critiquer, à savoir "l’Etat-Providence"... terme créé et utilisé par la bourgeoisie française pour essayer de discréditer les notions de services publics, le statut des fonctionnaires, leurs luttes ou encore toute solidarité de redistribution nationale... Et pour bien accentuer la confusion, sont mis dans le même sac : le stalinisme, la politique du PCF au siècle dernier et "une certaine tradition étatiste du communisme". Or autant il n’est pas question de nier le renforcement des structures étatiques et la centralisation excessive et mortifère des pouvoirs et des décisions, notamment dans l’ex-URSS, autant il n’est pas question non plus de faire l’apologie d’un "dépassement du capitalisme" sans prise de pouvoir... d’Etat. Jamais la bourgeoisie n’a cédé sa place de gaieté de cœur et de manière démocratique à un parti qui remettait en cause son pouvoir économique, car c’est pour elle une question de vie ou de mort. Il y a donc bien nécessité d’une période de transition au cours de laquelle l’Etat, instrument de la domination d’une classe sur une autre, sert à la construction d’une société démocratique : "La première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie" [1]. La démonstration simpliste des auteurs de "La visée communiste", à savoir qu’avant la mutation, communisme égal étatisme et paralysie, et après la mutation, communisme et "citoyenneté" égal démocratie, ne tient pas : on ne peut opposer la prise du pouvoir d’Etat avec la conquête de la démocratie, l’un dépend de l’autre et vice-versa. Le formidable mouvement populaire enclenché au Venezuela, véritable fourmillement démocratique, nous prouve la nécessité de détenir les leviers de l’Etat pour mettre en œuvre des changements profonds de société et générer... un développement sans précédent de la démocratie. La pseudo "théorie" qui assimile sans distinction le "communisme du 20ème siècle" à un étatisme amène à rendre le communisme infréquentable en le déclarant incompatible avec la démocratie. Ce grossier amalgame n’est qu’une capitulation devant l’idéologie dominante, une soumission devant les thèses anticommunistes des "Courtois et Cie", abdication qui en appelle d’autres et qui cherche à vider notre combat de sa substance.
"Dépassement du capitalisme" ?
Que signifie alors cette fameuse notion de "dépassement" du capitalisme ? Plusieurs paragraphes (en page 4) tentent de décrire cette course abracadabrantesque et épuisante pour dépasser le capitalisme... sans jamais convaincre. Ce fameux dépassement serait "un processus qui s’engage dès maintenant ... pour des axes de propositions qui disputent au capitalisme et au libéralisme (quelle différence ?) réalisme et efficacité, donnant à voir les fondements d’une société post capitaliste". Rien moins que cela ? La bourgeoisie doit trembler de peur devant une telle détermination ! On a envie de leur répondre : mettez la lutte des classes dans votre moteur, camarades ! Il apparaît clairement que cette notion de "dépassement" est vraiment une notion social-démocrate : comme une sorte de pseudo changement indolore qui se ferait plus ou moins en douceur, presque sans s’en rendre compte, en laissant faire le temps. En effet, cette notion permet de faire l’économie de l’analyse de la rupture, repoussant aux calendes grecques la nécessaire prise du pouvoir d’Etat.
Dernièrement, Jacques Attali, ce clown triste de la mitterrandie, allié o combien précieux de la bourgeoisie, aurait découvert Marx [2] ! Cette découverte serait certainement passée inaperçue si quelques bureaucrates soi-disant révolutionnaires n’avaient sorti son livre des cartons où il moisissait (récemment, la direction fédérale du Rhône l’a invité à un débat contradictoire !). Et dans une interview laudatrice réalisée par la NVO (hebdomadaire de la CGT), Attali nous explique que ce qu’il a compris de Marx, c’est qu’il est encore trop tôt pour mettre en route le socialisme ("l’expérience soviétique l’a montré" !), qu’il faut en quelque sorte laisser mûrir le capitalisme et donc, pour le moment, le gérer du mieux possible ; pour le socialisme, "je crois qu’on en est pas la" souligne l’auteur qui nous affirme que selon Marx, "c’est bien à l’échelle du monde qu’il faut penser la transition". Quelque part, dans ces propos, on retrouve l’ensemble des ingrédients qui semblent avoir présidé à la conception de cette notion de "dépassement du capitalisme" et à l’abandon du concept de lutte des classes : quelle convergence ! Mais encore une fois, il vaut mieux laisser la parole aux barbus : "La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu’elle ne soit pas quant au fond, une lutte nationale, en revêt cependant tout d’abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie" [1].
Sur la propriété des moyens de production
Enfin, concernant la propriété privée des moyens de production, à l’origine de l’exploitation de l’homme par l’homme, du prolétariat par la bourgeoisie, le texte de la direction nous dit : "nous répondons par sa remise en cause" ; entièrement d’accord, mais de quelle manière ? On ne peut être moins clair. Sans doute qu’à l’inverse, dire vraiment le fond de leur pensée risquerait de générer de l’opposition parmi les adhérents du PCF... Pourquoi ne pas rappeler franchement le propre du mouvement communiste ? : "Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise. Or, la propriété privée d’aujourd’hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode de production et d’appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l’exploitation des uns par les autres" [1] nous précisaient Marx et Engels. Le texte de la direction prétend à juste titre que "le communisme du 20ème siècle la considérait (l’appropriation collective des moyens de production) comme une condition indispensable à la transformation sociale", mais c’est pour mieux la rejeter avec les expériences anticapitalistes du passé.
Le 2ème texte du projet, intitulé "le programme", en rajoute avec une nouvelle notion : "l’appropriation sociale des entreprises". Encore une formule floue, mais que signifie-t-elle ? Que la gestion sociale d'une entreprise est compatible avec la propriété privée de ses capitaux par la bourgeoisie ? C'est une vieille lune de la social-démocratie… Autre formulation : "une propriété publique étendue ... reste toutefois indispensable". Jusqu’où doit s’étendre cette propriété ? Nul ne le saura. Gageons que s’agissant "d’engagements pour une politique de gauche" (titre du chapitre), le PS en trouvera lui-même les limites. Toujours dans ce "programme", il est question "d’Agence des participations de l’Etat" ! Cela veut-il dire que le PCF trouve désormais logique que le Capital soit partie prenante d’entreprises publiques ? Quelle contradiction ! N’est-ce pas M-G Buffet elle-même, qui devant les journalistes déclarait lors de la privatisation d’EDF-GDF, que même à 15 %, l’introduction du Capital était négative car elle poussait à une logique contraire aux missions de service public ? Mais revenons au premier texte, "La visée communiste" ! Afin de semer encore un peu plus de confusion, le terme "d’argent-roi", cher à la période Robert Hue, nous est également administré comme une purge. Ce glissement sémantique s’exprime d’ailleurs dès le début : "un monde dominé par l’argent"... Mon expérience militante et mes lectures, notamment d’un certain barbu, m’ont appris que l’argent ne peut dominer, puisqu’il s’agit d’un rapport social, mais que la domination émane bien de la bourgeoisie, qui possède les moyens de production et à qui le salarié vend sa force de travail, voire qui nous envoie les CRS ou instaure l’état d’urgence lorsqu’elle veut faire appliquer sa loi... Histoire de bien se le rentrer dans le crâne, le texte nous propose même de nous "libérer de l’omnipotence de l’argent" mais pas de la domination de la bourgeoisie...
Pour conclure, j’ai envie de laisser parler Anicet Le Pors, ancien ministre communiste, qui déplore cette régression idéologique : "Les capitalistes s’intéressent à la question de la propriété. Comment expliquer dans ces conditions que la propriété publique ne soit plus abordée par les forces anti-capitalistes que de manière défensive, en réaction aux privatisations auxquelles la gauche plurielle elle-même a apporté une contribution remarquée, au point qu’un quotidien a pu titrer sans être démenti « Lionel Jospin privatise plus qu’Alain Juppé » ? Il fut un temps pourtant, où l’observation méthodique du mouvement du capital constituait pour la gauche, et tout particulièrement pour le parti communiste français, la pierre angulaire de ses constructions économiques et politiques. Cette nécessité aurait-elle diminué aujourd’hui ? Certainement pas, tout au contraire" [3].
La manière dont le projet de la direction nationale traite des concepts de base qui définissent le communisme, ne laisse pas de doute sur leurs intentions. Mais la formidable victoire du 29 mai dernier a renforcé le camp de la résistance au renoncement. Le PCF est au milieu du gué. A nous de faire renaître la force et l’espoir de sa reconstruction.
[1] Manifeste du Parti communiste : Marx, Engels
[2] Marx ou l’esprit du monde, Jacques Attali
[3] Article paru sur le site Combat le 20/12/2005, site géré par d’anciens membres du PCF (anciens journalistes de l’Humanité, anciens élus...) : http://perso.wanadoo.fr/echanges/accue-fram.html. L’article a été repris dans l’Humanité du 12 janvier 2006