Fruit d'une union illégitime, Louis Aragon naît et grandit dans l'ombre du mensonge et de la dissimulation. Sa mère devient sa soeur. Sa grand-mère, sa mère. Ses tantes, d'autres soeurs et son père, un lointain parrain. Les vérités du monde, il les trouve dans les livres. Il lit Dickens, Tolstoï, Gorki, Romain Rolland, Nietzsche. "J'écrivais quand je ne savais pas encore écrire, en dictant à mes tantes", se souvient-il. Après une scolarité dont il s'acquitte aisément, pour faire plaisir à sa mère et sentant la poudre chatouiller ses narines, Aragon entreprend des études de médecine (1916). Il n'en délaisse pas pour autant la lecture et fréquente assidûment la librairie d'Adrienne Monnier. Il y explore des univers qui influenceront son écriture, sa conception de la littérature et de l'art : Lautréamont, Apollinaire, Mallarmé, Rimbaud…
Dans les couloirs de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce de Paris, auquel il est rattaché en 1917 en tant qu'élève médecin auxiliaire, Louis Aragon rencontre André Breton. Un "coup de foudre intellectuel qui, un jour ou l'autre, frappe des âmes prédestinées et les engage sur une route qu'ils ne soupçonnaient pas (…). Ce jour-là, Aragon découvrait la poésie totale et le sens de sa vie". Aragon tient en horreur cette société perverse et injuste qu'une élite aveugle s'acharne à maintenir en "bon ordre". Il méprise par-dessus tout "cette espèce d'exaltation absurde par quoi se sont déshonorés un très grand nombre d'écrivains français entre 1914 et 1918". Le 1er mars 1919 paraît le premier numéro de la revue Littérature éditée par André Breton, Philippe Soupault et Louis Aragon. Une parution dans laquelle il perçoit définitivement sa vocation d'écrivain.
Désireux de dépasser la négation absolue prônée par les dadaïstes auxquels ils se mêlent en temps, Breton, Aragon et Philippe Soupault fondent le mouvement surréaliste. Son but : remettre en question à la fois la matière, le langage et la signification de l'Art. "Démonter le mécanisme du génie poétique" que constituent les oeuvres d'un Baudelaire ou d'un Rimbaud, sans pour autant renier ce génie. Son principe : introduire la vitesse dans l'écriture, pour supprimer la censure. L'écriture automatique. Il sera le premier à tenter de théoriser le mouvement en publiant son premier manifeste, 'Une vague de rêves' (1924). Dans 'Le Paysan de Paris' (1926) ou le 'Traité du style' (1928), Aragon se distingue par son écriture élégante et drôle, violente et lyrique, souvent précieuse. Le mouvement concerne toutes les formes d'expression artistique. A travers lui résonne l'évolution de l'esprit moderne, enrichi de l'ensemble des esthétiques qui se sont succédés depuis le romantisme. Profondément marqué par les répercussions sociales, psychologiques et morales de la Grande Guerre, Louis Aragon voit dans le surréalisme un moyen de libération. L'instrument privilégié pour mener une révolution positive. Un point de départ, plus qu'une doctrine ou un système.
Sa rencontre en 1928 avec Elsa Triolet, belle-soeur de Maïakovski, amène Aragon à développer une conception militante du rôle de l'intellectuel au service de la révolution. Et la promesse de justice qui s'incarne dans la révolution soviétique le conduit à prendre sa carte au parti communiste. Abandonnant l'exercice poétique et les recherches d'écriture, Aragon fait du roman sa forme d'expression privilégiée d'un militantisme exacerbé. De sa plume et de son lyrisme, des armes littéraires au service de l'édification du socialisme soviétique ('Hourrah l'Oural' – 1934). Il n'hésite pas à reconnaître la primauté de la littérature prolétarienne sur le surréalisme. Dans sa grande série romanesque, Le Monde réel, Louis Aragon défend avec ferveur les thèses du réalisme socialiste. Il publie tour à tour 'Les Cloches de Bâle' (1934), 'Les Beaux Quartiers' (1936), 'Les Voyageurs de l'impérial' (1942), 'Aurélien' (1944) et clôturera le cycle en apothéose avec 'Les Communistes' (1951).
Avec la "drôle de guerre" et après l'armistice de 1940 Aragon renoue avec le langage poétique. La France occupée, Aragon dresse sans faillir une poésie militante. Une poésie des origines au service de la mobilisation patriotique. Du surréalisme, il garde la liberté syntaxique et rythmique. Mais on le surprend de plus à plus à céder à quelque facilité de forme. Du 'Crève-coeur' (1941) à la 'La Diane française' (1944), en passant par 'Les Yeux d'Elsa' (1942), 'Brocéliande' (1942) et 'Le Musée Grévin' (1943) s'exhalent des thèmes fédérateurs tels que l'amour, la colère ou l'espérance. De recueil en recueil, Aragon se fait veilleur d'une mémoire que l'on cherche à anéantir. Animé d'un besoin d'humanité inaliénable, il s'affiche comme le chantre de la patrie et révèle sa vocation de poète populaire.
Malgré une activité militante intense à la Libération - Aragon est de tous les combats du parti communiste. Il continue de célébrer ardemment son amour pour sa compagne dans 'Elsa' (1959). Et offre un véritablement couronnement de la poésie lyrique avec 'Le Fou d'Elsa' (1963). Il s'ouvre une nouvelle carrière de romancier avec la parution de 'La Semaine Sainte' (1958), fruit d'un travail de reconstitution vertigineux, dans laquelle Aragon s'efforce de mettre en valeur les ambiguïtés de l'Histoire. Avide de nouvelles expériences, l'écrivain poursuit ses pérégrinations jusque sur les territoires du Nouveau roman, s'inspirant des techniques les plus diverses. Il disloque les intrigues, s'inspire du montage des films de Godard…
Comme un prolongement logique à son engagement artistique et politique, Aragon s'investit dans une intense activité journalistique. Homme d'action, agitateur de l'esprit, l'écrivain tient à regarder de près la société se mettre en branle. Une façon pour lui de se maintenir dans le réel. D'incarner son époque. De se confondre avec elle. Artiste, intellectuel engagé, communiste et homme de parti, Aragon écrit, publie, édite. L'Humanité lui ouvre évidemment ses portes dès 1933. Secrétaire de direction puis rédacteur en chef de la revue Commune, il y côtoie André Gide, Roman Rolland, Paul Vaillant-Couturier. Tous engagés dans la défense de la culture et dans la lutte contre le fascisme et le nazisme. Après avoir dirigé Ce soir, Aragon participe avec Jacques Decour à la fondation des Lettres françaises, dont il occupera la direction jusqu'à la disparition de l'hebdomadaire en 1972.
Homme de la modernité. Louis Aragon ne s'est pas contenté de vivre son époque en la regardant s'écouler. Il en a épousé chacun des soubresauts. A combattu ses horreurs et épousé ses passions. Agitateur surréaliste, révolutionnaire communiste ou résistant, Louis Aragon était un homme à la révolte multiple mais constante.