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Publier en ligne prao yao seraphin
L’histoire des théories monétaires est traversée de débats au sein desquels certains thèmes sont repris ou discutés de période en période. Point n’est besoin de souligner aujourd’hui le regain d’intérêt que suscitent les phénomènes monétaires dans l’ensemble de la vie économique. Depuis quelques années, des voix s’accordent pour reconnaître la non optimalité de la zone franc CFA, une zone monétaire unique en son genre, au monde. Mais là n’est pas le problème. Le point focal de cette rébellion intellectuelle réside dans la conception même de la monnaie CFA et ses mécanismes, parmi lesquels, la fameux « compte d’opérations » et son corollaire de convertibilité illimitée de cette monnaie. Les économistes ou du moins ceux qui nous restent, à quelque exception près, avec leur langage parfois christique ont sacralisé la question du franc CFA au point de laisser quinze pays dans un esclavage monétaire. Les gouvernants des pays membres ont lié leur souveraineté monétaire au prix d’une convertibilité illimitée d’une monnaie. Pour eux, les petits pays ne peuvent pas garantir leur monnaie faute d’économie suffisamment solide pour la soutenir. C’est ainsi que les pays africains, ont de diverses manières et à des degrés différents, démissionné face à leur responsabilité en matière monétaire et donc économique. Les pays de la zone franc ont opté pour une coopération monétaire fondée sur la garantie illimitée donnée par la France à la monnaie émise par la BEAC et la BCEAO. Cette convertibilité illimitée du franc CFA de chaque sous-zone est supposée être assurée par le « compte d’opération » ouvert par chaque banque centrale de la zone auprès du trésor français et domicilié à la banque de France. Selon les concepteurs de ce terme étrange à la littérature économique, cet accès ouvert aux marchés des changes français garantirait de facto la convertibilité du franc CFA en toute autre devise. Pourtant, la zone franc CFA subit une salve de critique. Il est donc nécessaire de définir la notion de convertibilité afin de comprendre cette coopération monétaire aux contours ambigus.
LES MECANISMES DE LA ZONE CFA L’une des clauses la plus importante de la coopération monétaire entre la France et la zone franc CFA est la libre convertibilité du franc CFA. La libre convertibilité de la monnaie de chaque sous-zone est garantie par le compte d'opération ouvert auprès du Trésor et sur lequel les banques centrales ont un droit de tirage illimité en cas d'épuisement de leurs réserves en devises. En contrepartie de ce droit de tirage, les banques centrales doivent déposer sur le compte d'opération au moins 65 % (50% pour les pays de l’UEMOA) de leurs avoirs extérieurs nets (réserves de change). À l'intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres. Avec la zone euro, un compromis a été trouvé ; ce compromis européen confie également à la Banque de France le soin de la parité entre l'euro et le CFA, sachant que parité fixe ne signifie pas parité non révisable, comme l'a bien montré la dévaluation du CFA, en janvier 1994. Les changements éventuels de parité devront faire l'objet d'une information préalable des membres de l'euro 12. L'intégration d'un nouveau membre à la zone CFA ou un changement des règles du jeu au sein de la zone devront en revanche faire l'objet d'un accord avec les Européens. Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels : outre l'attrait des investissements directs à l'étranger (IDE), le franc CFA est censé épargner les risques de change avec la zone euro et donc faciliter l'accès au marché unique européen. DE QUOI S’AGIT-IL ? Comme il n’y a pas de monnaie internationale, il faut organiser les échanges entre monnaies pour permettre les échanges de biens et services. Dans ce cas, on peut définir un système monétaire international (SMI) comme l’ensemble des règles, des mécanismes et des institutions visant à organiser et à contrôler les échanges monétaires entre pays. Au sein du SMI, les pays membres doivent assurer au préalable la convertibilité externe de leur monnaie. Cela revient à dire simplement que tout étranger détenteur de cette monnaie doit avoir la possibilité, à tout instant, de l’échanger librement contre d’autres monnaies ou contre de l’or. De plus, la convertibilité est souvent assimilée à la transférabilité. Cette dernière permet de savoir si une monnaie peut se déplacer dans un espace autre que celui dans lequel elle a été créée ou émise. La convertibilité revêt plusieurs formes et on en distingue le plus souvent les degrés de convertibilité par rapport aux opérations, aux pays, et aux agents. Par rapport aux opérations, elle peut être générale ou limitée. Elle sera dite générale lorsque tout agent économique peut obtenir, à taux fixe, de l’or ou toute autre devise étrangère pour le règlement de ses transactions internationales, quelque soit l’opération. Cette opération peut concerner le compte courant (opérations commerciales courantes) ou sur le compte capital (mouvements des capitaux). Nonobstant, la convertibilité sera dite limitée lorsqu’elle n’est possible que pour les seules opérations courantes. Par rapport aux pays, on parlera de convertibilité générale en cas de multilatéralité parfaite des paiements internationaux. Elle est par contre limitée lorsqu’elle ne concerne que certains pays. Dans ce cas, on parle de convertibilité régionale(le cas des monnaies européennes avant l’euro vis-à-vis du dollar). S’agissant des agents, la convertibilité est dite générale quand tout agent (résident ou non) peut obtenir de l’or et des devises contre de la monnaie nationale. Elle sera limitée si cette possibilité n’est offerte qu’aux seuls agents non résidents. Dans le langage courant, on dit que la monnaie est convertible ou elle est non convertible ou limitée. Dans ce dernier cas, la convertibilité est partielle en ce sens que l’échange peut se faire jusqu’à une certaine somme, ou après contrôle de la nature de la transaction par un organisme public. LA CONVERTIBILITE D’UNE MONNAIE DEPEND DE LA POLITIQUE ECONOMIQUE ET PARFOIS DES CIRCONSTANCES HISTORIQUES ! Dans la remuante histoire du franc français, l’échange de francs contre des devises n’était pas libre, mais réglementé. Cette convertibilité externe du franc, rétablie en 1958 pour les non-résidents, n’était pas totale pour les résidents. Par exemple, ceux-ci ne pouvaient pas sortir des capitaux hors des frontières sans autorisation administrative. La convertibilité d’une monnaie peut être limitée aux seules opérations courantes lorsque les mouvements spéculatifs de capitaux sont dangereux pour un pays, c’est-à-dire quand ils risquent d’épuiser les réserves de devises. En période de guerre, de difficultés graves ou pour des motifs politiques, une monnaie peut être inconvertible et il serait alors impossible d’obtenir librement des devises en échange de cette monnaie. Au niveau de la zone franc, les transferts des capitaux entre les zones monétaires ont fait l'objet de quelques restrictions au cours des années 90, afin notamment de lutter contre les mouvements de capitaux illicites (suppression du rachat des billets entre zones). En Roumanie, par exemple, la dernière restriction sur la voie de la convertibilité totale du leu a été enlevée le 1er septembre 2006. La banque nationale roumaine permet aux étrangers, à partir de cette date, les transactions des titres d’Etat à court terme en leu, ce qui fera que la monnaie nationale devienne entièrement convertible, pour la première fois pendant les 60 dernières années. Depuis cette date, la monnaie roumaine peut être achetée par l’intermédiaire des banques de l’étranger également. On pourra citer de même l’exemple de la Tunisie avec son flottement administré. L’idée est de maintenir la stabilité du taux de change réel. Et, en effet, le taux de change effectif réel du dinar, c’est-à-dire le prix relatif (dans une même monnaie) des produits de consommation tunisiens par rapport à une moyenne pondérée des prix des partenaires commerciaux principaux de la Tunisie, est resté très stable depuis une quinzaine d’années. Cette politique s’appuie sur le maintien de contrôles des capitaux, c’est-à-dire sur une « convertibilité » partielle de la monnaie, certaines opérations sur les mouvements des capitaux avec l’extérieur restant soumises à restrictions. Cela permet à la Banque centrale de conserver une certaine marge de manœuvre sur sa politique intérieure. Quant au géant chinois, la grande fragilité de son système bancaire étatique (créances douteuses) ne l’autorise pas aujourd’hui à libéraliser son marché des changes et à rendre sa monnaie librement convertible sous peine de faire peser des risques importants sur la croissance économique chinoise, celle des pays de la zone ‘Asie’ et au-delà sur celle des pays occidentaux. Depuis le 1er Janvier 1994, le yuan est ancré au dollar sur la base d’une parité fixée à 8,277 yuan pour un dollar avec une marge de fluctuation très étroite (+/- 0,3%). Depuis 1994, la monnaie est convertible mais pas pleinement. Les mesures de contrôle des changes sont extrêmement strictes et ne s’appliquent qu’à celles des entreprises chinoises dont les activités à l’international le justifient. Au niveau interne, la convertibilité (interne) d’une monnaie se résume à la défense de sa valeur, c’est-à-dire son pouvoir d’achat (M/P). Premièrement, il est évident que la France n’augmente pas la masse monétaire de la zone franc comme bon lui semble. La masse monétaire progresse en fonction seulement du développement réel de l’économie. C’est l’activité économique qui commande la progression de la masse monétaire. Deuxièmement, la baisse du niveau des prix n’est pas imputable à la France. L’inflation est aujourd’hui expliquée plus par les coûts que par un excès de demande sur l’offre. Le prix du piment baisse en Côte d’Ivoire à la suite d’une action française ? Le prix de l’arachide baisse au Sénégal à la suite d’une inondation d’arachide en provenance de la France ? La convertibilité du franc CFA n’a rien à voir avec la France !! LA REALITE DES FAITS Pour Chouchane verdier, au sens de l’article VIII des statuts du FMI, seuls douze pays africains possédaient une monnaie convertible en 1995 . Selon le principe de la convertibilité au sein de la zone franc, les Etats africains devaient pouvoir s’approvisionner en devises sans limites au-delà de leurs propres possibilités. Si cela était vrai, les pays de la zone franc seraient moins exposés au risque d’illiquidité. Les mécanismes de la zone franc devraient permettre une ouverture sur l’extérieur, facilitant ainsi les importations et l’attrait des capitaux étrangers. Or, cet accès reste limité par les mesures de protectionnisme permises à l'Union européenne par les accords de l'OMC (aussi bien pour les produits manufacturés que pour les produits agricoles). En outre, les relations commerciales sont largement restreintes à l'exportation de matières premières, dont les prix sont à l'avantage des pays riches du Nord, avec d’ailleurs une demande léthargique (termes de l'échange). Ensuite, les relations commerciales de la zone CFA avec le reste de l'Afrique et du Tiers Monde se trouvent handicapées par la politique de monnaie forte imposée par l'Europe : le franc CFA étant surévalué par rapport aux autres monnaies du Sud, les produits libellés en FCFA deviennent trop chers pour ces pays. L'Afrique de la zone CFA se retrouve ainsi coupée des marchés du Sud et condamnée à exporter des matières premières bon marché vers le Nord (l'objectif final de l'Europe étant évidemment la cotation des matières premières de la zone CFA en euro et donc l'élimination de tout risque de change pour son approvisionnement). Au niveau externe, la convertibilité du franc CFA permettait le rapatriement sans risque de change des bénéfices des entreprises européennes. La garantie de la convertibilité et de la libre transférabilité des capitaux dans la zone CFA a favorisé une sortie massive des capitaux. On peut noter les nombreux placements effectués en francs CFA à l’étranger, surtout en Europe, entre janvier 1990 et juin 1993, qui s’élevaient à 928,75 milliards de francs CFA. Si les banques centrales peuvent recourir sans limitation aux avances du Trésor français, cette faculté doit, dans l'esprit des accords, revêtir un caractère exceptionnel. En cas de découvert prolongé du compte d'opération, les banques centrales sont tenues de mettre en œuvre des mesures de redressement (relèvement des taux directeurs, réduction des montants de refinancement, plafonnement des crédits aux Etats, ratissage des devises). Depuis la mise en œuvre des accords de coopération monétaire actuels (1973), le compte d'opération n'a été débiteur temporairement qu'à cinq reprises depuis 1973, le solde étant créditeur de manière ininterrompue depuis janvier 1994. Cette liberté aboutit à un rapatriement massif des bénéfices des investisseurs étrangers vers leur maison-mère et à un exode des revenus des ménages expatriés vers leur pays d'origine : entre 1970 et 1993, alors que les investissements étrangers s'élevaient à 1,7 milliards de dollars, le rapatriement des bénéfices et des revenus d'expatriés s'est élevé à 6,3 milliards. Les rapatriements ont donc été quatre fois supérieurs aux investissements (Agbohou, 1999, p. 87). Même la transférabilité interne a pris un coup depuis les années 90. Il y a une mesure de suspension de rachat des billets de banque CFA entrée en vigueur le 2 août 1993. Auparavant, et ce jusqu'au 1er août 1993, la convertibilité des billets était libre et illimitée aux guichets de la banque de France. En plus d’une mesure de suspension de rachat des billets CFA entre la zone UMOA et la zone CEMAC à compter de septembre 1993. Cela n’a pas empêché la détérioration des comptes dans les années 1990 et l’incapacité déclarée de la France à soutenir sans limites les budgets africains. Résultat : les deux francs CFA ont été dévalués de 50 % en janvier 1994 pour passer de 0,02 à 0,01 FF. Cette parité fixe ne changea pas avec le passage du FF à l’euro (1999). Elle s’est traduite automatiquement par le taux de 1 euro pour 655,957 F CFA. La libre convertibilité et la libre transférabilité sont limitées par le contrôle des changes (surtout depuis la suspension de la convertibilité des billets FCFA) et l’absence de marchés des FCFA (tous les flux passent par le filtre des banques centrale). Comme on vient de voir, la convertibilité illimitée est un vrai faux argument, donc un mythe. En réalité après les indépendances, la France a voulu, par cette coopération, conservé des relations commerciales et financières très développées avec ses anciennes colonies. EN FINIR AVEC LE FRANC CFA ? Aujourd’hui, avec l’euro fort ,les pays de la zone franc conservent un change surévalué qui maintient des prix d’exportation à un niveau élevé alors que des pays comme la Chine sous-évalue leur taux de change pour accroître les biens exportés. Les pays de la zone franc subissent aujourd’hui des vagues d’optimisme et de pessimisme alternées. Ceux qui ont avancé l’avantage des IDE ont oublié que l’investissement direct procède avant tout de la recherche d’une meilleure rentabilité. Sans établir une coopération monétaire, on peut en général, retenir les motivations suivantes : le besoin de se procurer des importations, c’est le cas des investissements directs dans les pays en développement dans le seul dessein d’exploiter les matières premières nécessaires à la croissance économique de l’occident. Il y’a aussi le besoin d’éviter les frais de transport sur les exportations et la recherche d’une main-d’œuvre bon marché, qui incite les industriels occidentaux à investir directement dans les pays en développement. Les banques centrales des unions possèdent un statut aussi ambigu que complexe : relativement indépendante dans leur fonctionnement, elles maintiennent des mécanismes de décision dans lesquels les positions de la France sont déterminantes pour le choix de la politique à mettre en œuvre. En réalité, la banque de France est le prêteur en dernier ressort de l’ensemble du système financier des pays membres. Quant au trésor français, il est tenu de constater un déficit illimité sur les comptes d’opérations. Vous constater avec stupéfaction et étonnement, que ce sont les deux institutions françaises, à savoir la banque de France et le trésor français qui possèdent la souveraineté monétaire effective de l’ensemble de la zone, les Etats membres étant de la sorte dépourvus de ce pouvoir régalien. Le mécanisme du compte d’opération permet de déconnecter la politique monétaire et la politique de crédit menée en France de celle appliquée dans le reste de la zone franc. Toutefois, la politique économique des pays membres est fortement conditionnée par la politique monétaire et la politique de change menées en France (aujourd’hui de l’Europe). Le modus operandi des mécanismes du franc CFA reflète la volonté d’un seul pays, la France, d’assujettir et de mettre sous sa domination une quinzaine de pays. Peut-être que lorsqu’il a été crée, le franc CFA a obtenu un statut sui generis dans des pays qui ne voulaient qu’accéder à l’indépendance. Dans notre orgueilleuse modestie, nous pouvons affirmer que ceci ne témoigne point d’une méditation attentive car la souveraineté politique est liée à la souveraineté monétaire. Et dire que certains gouvernants proclament de façon tonitruante leur souveraineté, tout en acceptant le franc CFA avec ses fourre-tout de mécanismes esclavagistes. Pourquoi cet attentisme sur le débat autour du franc CFA ? Le franc CFA est une pièce maitresse du pacte colonial, par lequel la France se réserve les denrées de ses anciennes colonies et lui impose l’achat de ses produits manufacturés en lui interdisant tout développement industriel autonome. Les anciennes colonies n’ont aucune existence propre car leur économie est inféodée à celle de la métropole. Pour commencer à exister, il faut l’émergence d’un bien qui cristallise tout le fait social, l’histoire et qui constitue le ferment, ou du moins le dénominateur commun d’une communauté de destin, c’est-à-dire la monnaie. Vous en conviendrez avec moi que ce qui a été exhibé comme la magna carta de cette coopération monétaire (la convertibilité illimitée du franc CFA), n’est en réalité qu’une fourberie. A ceux qui ont voulu qu’on s’assure du fait avant de s’inquiéter pour la cause, le temps est venu de s’inquiéter. Fasse Dieu que les dirigeants africains comprennent le sens de notre combat ! Prao Yao Séraphin Président du MLAN www.mlan.fr contact@mlan.fr |
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