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Bakary Sambe sur la crise du Golfe : “Le Sénégal a raté l’opportunité d’un leadership diplomatique par la médiation”


Rédigé le Mardi 13 Juin 2017 à 11:56 | Lu 63 fois | 0 commentaire(s)


Bakary Sambe sur la crise du Golfe : “Le Sénégal a raté l’opportunité d’un leadership diplomatique par la médiation”


Bakary Sambe sur la crise du Golfe : “Le Sénégal a raté l’opportunité d’un leadership diplomatique par la médiation”
La tension au Golfe a connu une évolution avec l’offre de médiation du Koweit. Croyez-vous en ses chances de réussite ? Si Oui, sur quoi les Koweitiens devraient s’appuyer pour emmener saoudiens et Qataris à de meilleurs sentiments ?

Le Koweït est lié à l’Arabie Saoudite par le partage d’une expérience importante pour les deux pays : l’occupation irakienne et la guerre de 1991 dans le Golfe. En plus d’être parmi les pays moteurs du Conseil de Coopération du Golfe, ils ont longtemps entretenu des relations faites de concertation et de solidarité notamment dans le cadre de l’OCI, mais aussi des rapports personnels entre les souverains respectifs des deux pays. Il faut toujours prendre en compte au Moyen Orient un fait important qui est la privatisation des rapports politiques et diplomatiques avec un très grand rôle pour les relations personnelles. Les deux dynasties Al-Sabah du Koweït et les Al-Saoud régnant à Riyad ont une certaine proximité forgée par l’histoire et la géographie. En plus à la différence des Emirats arabes Unis, le Koweït semble moins enclin à viser une quelconque forme d’hégémonie dans la région et de ce fait arrive à être plus conciliant dans ses prises de position. Tous ces facteurs peuvent lui assurer plus de chance dans cette médiation qui peut être aussi soutenue par le Sultanat d’Oman. Mais pendant que le Koweit tente de rabibocher les deux parties, l’Iran semble mettre les pieds dans le plat en convoyant des vivres au Qatar.

Celà ne risque t-il pas d’envenimer la situation étant donné que son supposé rapprochement avec le Qatar fait partie des griefs retenus contre l’Emirat ?

L’Iran est parfaitement dans son rôle et cette crise déclenchée par Riyad renforce ses liens avec le Qatar qui n’a jamais voulu admettre l’hégémonisme saoudien dans le Golfe, malgré sa petite taille géographique largement comblée par sa diplomatie d’influence bien au-delà de la région. L’Iran risque même de gagner en sympathie de la part d’autres pays arabes. Il faut se souvenir que Riyad n’a jamais pardonné à l’émirat de vouloir entretenir des relations apaisées avec l’Iran alors que l’opposition à Téhéran et au chiisme a toujours été au centre de la diplomatie saoudienne dans le monde arabe et en dehors. D’ailleurs l’élan de solidarité se renforce si l’on s’en tient aux déclaration du ministre marocain des Affaires étrangères et de la coopération internationale soulignant que le Maroc enverra des avions chargés de produits alimentaires à destination du Qatar, sur instruction du roi Mohammed VI.

La Turquie d’Erdogan est dans les mêmes dispositions n’excluant pas un appui militaire de même que le Pakistan. Il faut dire que, sur le plan international, la tendance est à l’appel à l’apaisement et à la médiation même pour ce qui est du Maroc ou encore de la France où séjournait ce lundi le cheikh Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, ministre qatari des Affaires étrangères qui a salué le rôle actif de Paris dans la recherche de solution à cette crise diplomatique. Après avoir rappelé son ambassadeur au Qatar par solidarité, le Sénégal appuie cependant la médiation entreprise par le Koweit.

Comment doit-on apprécier cette posture ? Dakar est elle en train de se rétracter ? Il faut admettre que dans cette crise le Sénégal a été à contre-courant de la ligne diplomatique traditionnelle dans le sens d’une recherche de sortie de crise, malgré le “devoir de solidarité” à l’égard de l’Arabie Saoudite qui a été évoquée. De plus, les effets d’une prise de position prématurée nous rattrape sur plusieurs points. Au moment où, malgré les déclarations de Donald Trump, le Secrétaire d’État américain, Rex Tillerson se démène comme pour suggérer au Qatar une médiation avec les Saoudiens au même moment où samedi dernier séjournait à Moscou le chef de la diplomatie qatarie, notre pays a donné l’apparence de s’aligner du côté d’un des protagonistes, son allié l’Arabie Saoudite.

Le déplacement du chef de la diplomatie française Jean-Yves le Drian au Caire bien que prévu depuis longtemps sera forcément investi dans la cadre d’un appel à la désescalade. Sincèrement, au regard de la distance qui nous sépare de l’épicentre de cette crise, du capital image dont on disposait dans le monde arabe et qui permet au Sénégal d’être l’un des rares pays du monde musulman à pouvoir parler, sans exception, à tous les autres, notre valeur ajoutée aurait été dans la médiation aux côtés du Koweït avec lequel nous avons une histoire en termes de solidarité depuis 1991, du Maroc avec lequel nous partageons aux côtés de Riyad le Comité Al-Qods pour la défense des droits inaliénables du peuple palestinien. Nous avions moins à perdre dans une telle posture sachant que même les Américains n’ont pas perdu de vue l’importance stratégique du Qatar surtout avec leur base d’Al-Udeib, maillon essentiel du dispositif de lutte contre Daesh et que le réalisme amène à plus de nuances et de tact depuis le déclenchement de cette crise diplomatique.

En dehors du Koweit, la Guinée Conakry a offert ses bons offices pour une désescalade des tensions dans le Golfe. Le Sénégal doit-il se sentir supplanté ? Par la médiation le Sénégal serait même plus utile à son allié saoudien et une telle action pèserait plus sur la balance que le ralliement systématique qui sera d’un faible poids une fois passé le temps des émotions. Une analyse froide de la situation aurait conduit à plus de prudence. De plus, nous ignorons tous les soubassements de cette crise qui nous dépasse avec ses implications familiales et personnelles de même que les formes de solidarités mécaniques, claniques, les logiques généalogiques, tribales et matrimoniales qui sont parfois plus que déterminantes, dans ces émirats, que le simple raisonnement classique en termes d’intérêts immédiats. L’approche adoptée n’a sûrement pas pris en compte l’extrême privatisation des rapports politiques caractéristiques des sociétés du Moyen-Orient.

La France et d’autres pays européens ont eu une attitude très mesurée toute la semaine. Une diplomatie réfléchie exige aujourd’hui la transversalité loin des approches purement institutionnalistes. Il est à saluer que notre pays veuille rejoindre enfin le camp des médiateurs à la suite du Koweït, du Maroc et de la Guinée. Mais, hélas, nous avons raté l’opportunité d’un leadership que nous aurait garanti une position plus mesurée tout au début de la crise.





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