Nous ne parlerons pas ici d’hommes battus, pas plus que nous utiliserions le terme de femmes battues. Il s’agirait d’une dénomination par trop restrictive : en effet, les violences conjugales ne sont pas seulement physiques (ce à quoi fait seulement référence le terme "battu-e"), elles sont psychologiques avant d'être physiques, elles peuvent être également économiques et/ou sexuelles (relations sexuelles contraintes, non consenties).
De même que pour les femmes, préférerons donc parler d'
hommes victimes de violences conjugales.
L'homme victime de violence conjugale existe-t-il ?
Une travailleuse sociale suisse, Sophie TORRENT, diplômée du Département de travail social et des politiques sociales de l'Université de Fribourg, a réalisé une recherche (mémoire de licence, juin 2000) intitulée "L'homme battu. Analyse du phénomène de la violence de la femme envers son conjoint, de sa gestion par l’homme et de son processus de dépassement". Ce travail universitaire a donné par la suite naissance à un livre, publié en janvier 2003 par les Editions Option Santé : L'homme battu. Un tabou au cœur du tabou. ISBN N° : 2-922598-04-7.
Sur la base de témoignages laborieusement recueillis, Sophie Torrent montre que
la violence psychologique est l’arme favorite de la femme. Cette violence s’exprime par voie directe sous forme de refus, d’insultes ou d’accusations non fondées. De façon indirecte et plus pernicieuse, en déferlant sur des êtres ou des objets auxquels l’homme est sentimentalement lié. La plupart des hommes interrogés ont aussi enduré
des violences physiques. Chaises reçues au visage, coups de ciseaux dans le ventre ou morsures sont quelques-uns des exemples apportés dans les témoignages. A l’instar de la violence conjugale envers la femme, celle de la femme envers son conjoint "vise l’autre dans ce qu’il est". Or les rôles de l’homme et de la femme dans la société diffèrent. La violence conjugale envers l’homme se déploie certes pour une part dans le huis clos familial où l’homme est
dénigré dans son rôle d’amant ou de père. Mais elle déborde systématiquement de la sphère privée à la sphère publique, lieu de réalisation masculine par excellence. La femme attaque l’homme sur son lieu de travail et cherche à l’isoler socialement. Conséquence de ces violences, l’identité de l’homme "est blessée de l’intérieur par la progressive dépossession de soi, et de l’extérieur par l’humiliation publique".
Face à cette violence, l’homme se sent très démuni. Il préfère souvent l’univers connu de sa relation conflictuelle à l’idée d’une nouvelle vie, solitaire et incertaine. S’il est père, il ne peut imaginer abandonner ses enfants à une femme violente. Conscient de la perception sociale de la masculinité,
il hésite à chercher une aide extérieure. Plutôt que de prendre des mesures radicales pour mettre fin à son inconfortable situation, l’homme victime de violence conjugale développe des
stratégies de gestion de son stigmate. Au départ, il nie la relation de violence tant aux autres qu’à lui-même, en mettant en évidence les éléments positifs de la relation. Il relativise les actes violents ou minimise la responsabilité de sa conjointe. L’homme met aussi en place des
stratégies d’adaptation. Il se protège en anticipant le danger. Il se surinvestit dans son travail. Il se dépasse en développant des aptitudes à la patience, à la compassion ou au pardon qui lui procurent un sentiment de valorisation personnelle. Reste que l’inévitable finit par se produire. Six des sept hommes violentés interrogés se sont heureusement séparés de leur persécutrice. Pour sortir de l’engrenage, "l’homme doit avant tout prendre conscience qu’il est battu", estime Sophie Torrent. "Il doit aussi y avoir un événement déclencheur qui rende inacceptable pour l’homme les attitudes de la femme." Une violence perpétrée au détriment des enfants, un harcèlement intolérable sur le lieu de travail peuvent être l’occasion pour l’homme de rompre la relation, de se poser en victime et, surtout, de reconstruire son identité.
Selon Sophie Torrent, une des formes de violence psychologique les plus insidieuses consiste à manipuler l'homme en l'incitant à la violence physique. Si l'homme passe à l'acte, la loi se retourne contre lui. La femme violente possède là un atout décisif : la société la croit fondamentalement victime, qu'elle le soit réellement ou non. Et elle peut, sans trop d'ingéniosité, faire croire à son entourage que c'est son conjoint qui est violent.
A la suite de ces agressions visant à éveiller sa violence, l'homme a avant tout peur de sa propre violence. Si l'homme frappe, la femme acquiert son statut de femme battue tout en pouvant continuer à violenter psychologiquement son conjoint qui, quant à lui, n'a pas d'armes juridiques immédiates pour être protégé de cette violence psychologique. La présence de ce potentiel de violence met l'homme dans une position de tension quotidienne. Il sait qu'un seul manque de maîtrise peut avoir des conséquence très lourdes. S'il est stigmatisé comme homme violent, il n'a notamment plus aucune chance d'obtenir la garde de ses enfants. Ce mécanisme est des plus violents car il fait de l'homme victime de la violence de sa compagne son propre ennemi. Il se met à craindre ses propres comportements et ses moyens de défense s'inhibent. "Je suis le plus fort, je dois me maîtriser".
Les femmes sont-elles donc capables de violence ?
Dans son livre polémique Fausse Route (Editions Odile Jacob, 2003), Elisabeth Badinter cite maints exemples de
violences perpétrées par les femmes, de la participation active de femmes nazies à l'entreprise de destruction massive des camps de la mort pendant la Shoah aux maltraitances sur leurs propres enfants dont certaines femmes se rendent coupables, en complicité ou non.
Quoique très peu fréquemment si l'on compare aux violences masculines, pareils faits sont régulièrement rapportés par des témoignages ou des demandes d’aide.
Violences conjugales féminines, quelle est l'ampleur du phénomène ?
En
l'absence de toutes statistiques ou recherches approfondies et sérieuses sur l'ampleur du phénomène, il est difficile de se prononcer définitivement.
Néanmoins, il est raisonnable de penser - et ce n'est pas une façon de nier le problème - que le
phénomène est
statistiquement minoritaire. Les raisons sont essentiellement de nature culturelle : partage sexuel historique des rôles, culture de la virilité et du machisme, etc.
Sous réserve d'inventaire, les plaintes pour coups et blessures portées par une femme sur son conjoint et les cas de décès de conjoint masculin provoqués par le conjoint féminin sont très nettement minoritaires.
Existe-t-il des services d'aide et de soutien spécifiques aux hommes ?
A notre connaissance, il n'existe pas de services spécifiques au bénéfice des hommes victimes de violence conjugale. Cela tient d'une part au fait que le phénomène demeure souterrain et mal connu, d'autre part au fait que, contrairement aux femmes (en France du moins), les hommes ne se sont jamais regroupés en association d'aide et de soutien.
Toutefois, il est utile de préciser que certains services sont bien entendu autant destinés aux femmes qu'aux hommes et que certains autres, ciblant plutôt les femmes, sont cependant complètement ouverts aux hommes, à commencer par le réseau des Centres d'Informations sur les Droits des Femmes qui en accueillent régulièrement, quelle qu'en soit la raison.
les associations et services d'aide aux victimes