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Député app-PCF de Seine-Saint-Denis - Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine


Régulation bancaire et financière : Intervention de Jean-Pierre Brard
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est dommage que Louis Giscard d’Estaing ne soit plus là : l’image qu’il a utilisée tout à l’heure, par laquelle nous pouvions imaginer Nicolas Sarkozy en croupier dans une salle de casino, était tout à fait pertinente !

En achevant de défendre la motion de renvoi en commission, j’observais que l’insuffisance de votre texte ne cachait pas le fait que des marges de manœuvre existent pour mettre un terme à la domination des marchés et rétablir le primat du politique sur les diktats d’une économie spéculative devenue folle. Puisque je ne dispose de guère plus de temps pour détailler ces mesures, je me contenterai de vous présenter celles que vous auriez dû prendre dès l’an dernier.


Madame la ministre, je ne puis m’empêcher de vous demander ce que vous attendez pour interdire les produits financiers dérivés, de type CDS – credit default swap – et les ventes à découvert sur le marché obligataire. Dès septembre 2008, le Président de la République avait vu l’une des sources du problème, sans s’y attaquer, bien entendu. À Toulon, il avait déclaré qu’« il faudra bien aussi se poser des questions qui fâchent comme celle […] des conditions dans lesquelles s’effectuent les ventes à découvert qui permettent de spéculer en vendant des titres que l’on ne possède pas ou celle de la cotation en continu qui permet d’acheter et de vendre à tout moment des actifs et dont on sait le rôle qu’elle joue dans les emballements du marché et les bulles spéculatives ».

Tout cela était fort intéressant mais, en réalité, la question ne fâche pas tant que cela, puisque, pour Sa Majesté, les intentions en sont restées là : rien n’a été réglé, ni en 2008, ni en 2009, ni en 2010.

Qu’attendez-vous, madame la ministre, pour rendre la taxe Tobin effective ? Comme vous le savez, mes chers collègues, si l’on veut mettre un frein aux mouvements spéculatifs, il faut absolument créer un taux de taxation dissuasif sur les transactions financières.

Qu’attendez-vous, madame Lagarde, pour définir les critères d’une progression normale du crédit, en fonction du potentiel de croissance d’une économie ? Comme vous le savez, ce sont en partie les politiques excessives du crédit, d’un mauvais crédit de surcroît, qui nourrissent les bulles spéculatives et provoquent, de plus en plus souvent, des crises systémiques. Quand donc accepterez-vous la nécessaire mise en place d’un contrôle public de la dynamique de distribution des crédits par les banques ?

Enfin, qu’attendez-vous, madame la ministre, pour imposer la transparence aux acteurs de la finance mondiale ? Je vous rappelle, mes chers collègues, que la banque Lehman Brothers, prise dans son ensemble, comptait rien moins que 2 985 entités juridiques différentes. Il faut imposer aux banques de clarifier, dans un document d’ensemble, leur structure capitalistique, afin de permettre un dénouement aisé de toutes les transactions. Si l’on connaissait avec précision l’organisation d’une banque, cela permettrait en effet aux autorités publiques de repérer rapidement quelle partie est essentielle au bon fonctionnement de l’économie, et quelle autre peut être mise en faillite aux frais des actionnaires.

Pourquoi ne le faites-vous pas, madame la ministre ? Tout simplement parce que vous avez choisi les mêmes options idéologiques que les banquiers, à savoir l’aversion profonde contre tout ce qui s’apparente à un impôt, quelle que soit par ailleurs son utilité sociale et économique. Quel est en effet l’intérêt de ces montages financiers complexes, sinon de faire apparaître les profits dans les filiales les moins taxées et, ainsi, d’éviter les impôts ?

Puisque l’on parle d’impôts et de taxes, madame Lagarde, qu’attendez-vous pour agir enfin avec efficacité contre les paradis fiscaux, pour rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu et sur les entreprises, et pour vous attaquer au dumping fiscal et salarial dans l’Union européenne ? Je sais que je touche là à un nerf sensible, au « nerf des batailles », comme disait Rabelais, c’est-à-dire à l’argent. La fiscalité, ou plutôt l’absence de fiscalité, est bien au cœur de votre idéologie économique. La fiscalité et la dette, voilà les deux maîtres-mots de votre dogme et les deux faces de la même médaille.

La dette, parlons-en. Vous avez continué de la creuser en prenant prétexte de la crise financière. J’entends d’ici vos lamentations malhonnêtes, du type : la dette est abyssale, il faut arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, ou, comme le répète M. Woerth, nous sommes en train d’hypothéquer l’avenir de nos enfants. J’entends tout cela, mes chers collègues, et il ne s’agit pas pour nous de nier la gravité de la situation dans laquelle vous avez plongé les finances de notre pays. Ce que nous contestons, ce sont les raisons qui ont provoqué cette situation et, surtout, les pseudo-remèdes que vous cherchez à nous imposer pour en sortir.

Les députés du groupe GDR, eux aussi, savent lire ; ils peuvent comprendre qu’un déficit public de plus de 150 milliards d’euros et une dette publique qui atteint près de 80 % de la richesse produite posent problème. Nous aussi, nous savons que cela est extrêmement grave pour l’avenir du pays et des jeunes générations ; mais nous savons également que cette dette a été savamment creusée par votre gouvernement afin de présenter vos plans d’austérité comme des mesures incontournables.

Oui, nous vous accusons d’avoir consciemment et consciencieusement asséché les finances publiques de notre pays au profit des riches, par exemple avec le bouclier fiscal, afin de rendre ces mêmes riches toujours plus riches : si la santé coûte trop cher, c’est qu’il faut démanteler les soins publics – comme vous êtes en train de le faire à l’hôpital Trousseau – pour permettre aux intérêts privés de s’emparer d’un marché extrêmement juteux ; si les retraites coûtent trop cher, c’est parce que les assurances privées n’y gagnent rien, ou si peu.

L’origine de la dette, mes chers collègues, n’est pas de nature arithmétique, mais de nature politique : elle est le résultat d’un assèchement systématique des finances publiques, conduit par le biais d’allégements fiscaux et sociaux incessants, de baisses de taux d’imposition sur les bénéfices des grands groupes et des grandes fortunes : 112 milliards d’euros. Cet assèchement est le résultat implacable de la multiplication des niches fiscales et de la généralisation du dumping fiscal et salarial au sein du marché commun.

Ce n’est pas la première fois que je vous dis cela, mes chers collègues, mais, comme vous le savez, la pédagogie est l’art de la répétition. Or je ne suis pas sûr d’être au bout de mes peines avec vous, madame Lagarde, car vous faites de la résistance, c’est le moins qu’on puisse dire. (Sourires.)

Selon la Cour des comptes, la baisse des recettes fiscales nettes a représenté 50,9 milliards d’euros en 2009, soit une diminution sans précédent. À périmètre courant, les recettes fiscales nettes ont été d’un montant équivalent à celui de 1979. L’État dispose d’autant – ou plutôt d’aussi peu – de moyens qu’il y a trente ans, alors que le produit intérieur brut a augmenté dans le même temps de 70 %.

Une autre politique est possible. Une autre politique est nécessaire. La Cour des comptes livre quelques pistes pour envisager une autre politique de retour à l’équilibre budgétaire. Le déficit de l’État s’élève cette année à quelque 150 milliards d’euros. Au lieu de faire du déficit un prétexte pour s’en prendre aux services publics et à la sécurité sociale, l’on n’insiste jamais assez sur les coûts de la politique gouvernementale.

Ainsi, les niches fiscales représentent chaque année la bagatelle de 74,8 milliards d’euros. La fraude fiscale prive l’État d’au moins 25 milliards. On a beaucoup parlé du Liechtenstein, de la liste de clients des banques suisses ; on sait moins ce qui arrive aux contrevenants, dont on n’entend plus du tout parler.

Parmi ces mesures, la suppression de la taxe professionnelle coûtera, semble-t-il, au moins 11 milliards d’euros chaque année. Le taux préférentiel de TVA dans la restauration représente un manque à gagner de 2,4 milliards. Chaque année, le bouclier fiscal offre aux plus riches un cadeau de plus de 500 millions d’euros et le grand emprunt s’élève à 35 milliards d’euros. Pour la seule année 2009, le Gouvernement aura donc procédé à des cadeaux fiscaux – sans la moindre preuve d’un effet positif sur l’économie, comme le soulignait Philippe Séguin – d’une valeur d’environ 150 milliards d’euros, soit cinq fois le trou de la sécurité sociale ou l’équivalent du déficit du budget de l’État.

Toute cette politique est faite pour servir les intérêts du capital, au détriment des revenus du travail. D’après la Commission européenne, la part des salaires, au sein de l’Union, a chuté de 8,6 % ces vingt dernières années. En France, ce taux monte jusqu’à 9,3 % du PIB. Concrètement, cela veut dire que 120 à 170 milliards d’euros passent chaque année des poches des salariés dans les coffres-forts des banques, des grands groupes, des actionnaires.

Une autre politique fiscale est possible ; une autre répartition des richesses est nécessaire. Quant à la régulation des marchés financiers, il en va de l’avenir de la démocratie. Nous ne laisserons pas les banques imposer leurs lois à la nation et à ses représentants élus. Mes chers collègues, n’oublions pas que l’argent des banques n’est pas l’argent des banquiers.

Vous aurez compris, mes chers collègues, madame la ministre, que les députés du groupe GDR s’opposeront à un projet de régulation bancaire qui n’a de régulateur que le nom : nous ne le cautionnerons pas. Je fais appel au sens de la responsabilité des uns et des autres pour suivre avec attention le débat qui va suivre et examiner avec sérieux les amendements du groupe auquel j’appartiens. Beaucoup d’entre eux seront en effet très consensuels.

Je termine en relevant les propos de notre excellent collègue Louis Giscard d’Estaing, qui faisait tout à l’heure référence aux travaux sur la crise qu’a réalisés un groupe de vingt-quatre députés et sénateurs.

Dans sa grande bonté, Sa Majesté a consenti à les inviter au palais de l’Élysée, mais sans doute le Président de la République ne croit-il plus à l’utilité de ces rencontres, auxquelles il a mis un terme. J’ai d’ailleurs toujours regretté que vous n’y participiez pas, madame la ministre, car vous auriez pu éclairer les débats de votre expérience, qui est quand même plus large que celle du Président de la République. (Sourires.)

De quoi avons-nous parlé ?

Il a été question de doter la France de sa propre liste de territoires non coopératifs, d’imposer la publication, en annexe du rapport annuel des sociétés cotées, de l’ensemble des activités qu’elles mènent dans des paradis fiscaux et territoires non coopératifs, de restreindre l’accès au marché financier des filiales de sociétés mères établies dans des territoires non coopératifs et qui ne respectent pas des normes prudentielles et comptables minimales, de prévoir la publication d’informations relatives aux avoirs détenus, aux revenus localisés, aux filiales établies et aux activités conduites dans les paradis fiscaux.

Nous avions même proposé que les navires battant pavillon de complaisance enregistrés dans des territoires non coopératifs soient interdits de relâche dans les ports de l’Union européenne.

Aucune de nos propositions n’a été retenue. Elles étaient pourtant modérées. Ceux de nos collègues qui participaient aux travaux de ce groupe se souviennent qu’il avait fallu réfréner les ardeurs de nos collègues sénateurs M. Marini et M. Arthuis, qui, épouvantés par les dégâts de la crise, voulaient tout réglementer partout : le marxiste que je suis sait bien qu’on ne peut pas revenir à l’économie administrée, qui a fait suffisamment de ravages et qui n’était qu’une caricature de la pensée du fondateur. (Sourires.)

Régulation bancaire et financière : Motion de renvoi en commission de Jean-Pierre Brard

Monsieur le président, je sais que vous êtes un homme de dialogue et que vous faites tout pour le favoriser, vous inscrivant ainsi dans la tradition des grands présidents de cette assemblée qui protègent les droits de la minorité, comme le firent Philippe Séguin ou Jean-Louis Debré dont on ne pourra pas dire qu’ils sont de gauche. (Sourires)

Permettez-moi tout d’abord, madame la ministre, de formuler une remarque d’ordre très général sur ce projet de loi auquel vous avez donné sans complexe le titre Régulation bancaire et financière. Compte tenu des moyens que vous employez, autant vouloir réguler le cours de l’Amazone ! Presque deux ans se sont écoulés depuis la faillite de Lehman Brothers et le début de la crise financière internationale ; deux ans après le début d’une crise dont la gravité est sans précédent depuis les années trente, trois ans – si l’on prend tout en compte – après le début d’une crise qui a déjà coûté plusieurs centaines de milliards d’euros aux Français entre le renflouement des banques et les plans de relance et qui a continué de détruire les emplois. Ne négligeons pas cette donnée car toutes les mesures que vous avez prises pour les Français se sont d’abord traduites par l’augmentation du chômage.

Deux ans plus tard donc, alors que vous auriez dû agir depuis très longtemps pour mettre un terme aux pratiques désastreuses de la finance mondiale, alors que vous aviez le devoir de fermer le casino mondial, vous nous présentez aujourd’hui, madame la ministre, un projet de « régulation bancaire et financière » qui n’en est pas un.

Il faut dire que vous semblez avoir peur du ridicule, madame Lagarde. En cela, je vous comprends, même si, depuis Mme de Sévigné, le ridicule ne tue plus. Souvenez-vous de l’affaire Vatel, qui en fut certainement la dernière victime, ce qui est peut-être dommage.

Mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que ce projet de loi ne compte que sept articles qui traitent réellement, quoique de très loin, du fonctionnement et des pratiques courantes du monde de la finance. Il n’y a que notre Saint-Bernard parlementaire pour voir jusque dans le dernier article des propositions intéressantes.

Ainsi, madame la ministre, n’ayant pas osé présenter un projet de loi qui comporte seulement sept articles, vous en avez tout simplement rajouté une petite vingtaine pour l’étoffer, malheureusement totalement hors sujet. Vous nous proposez donc pêle-mêle de réformer le financement des grandes entreprises, de relancer le marché des PME cotées, de faciliter l’accès des assureurs crédits aux données du fichier interbancaire des entreprises, de restructurer l’établissement public OSEO, de revoir les modalités de financement des prêts à l’habitat ou encore de vous habiliter à changer un certain nombre de dispositions en matière d’assurance-transport par voie d’ordonnance.

C’est à croire, madame la ministre, que vous considérez .la régulation bancaire et financière comme un « petit sujet » qui mérite bien quelques articles d’ajustement mais dont l’intérêt est, en dernier ressort, bien marginal. Je ne partage pas cette opinion et c’est la raison pour laquelle nous avons choisi de vous parler avant tout de ces fameux sept articles qui ont inspiré l’intitulé de ce projet de loi.

Je me permets d’ailleurs de vous rappeler les engagements que Nicolas Sarkozy avait pris lors du meeting de Toulon, en septembre 2008.

Non, en effet, mais ce n’est pas le cas de la majorité. Lorsqu’on se fait tromper une fois, l’on peut être abusé ; lorsque l’on se fait tromper sans cesse, il y a un problème.

Parfaitement ! Je n’osais pas le mot, mais si vous ne me faites pas payer de royalties, monsieur le président, je le reprends volontiers à mon compte et je laisse mes collègues de l’UMP y réfléchir !

Que disait donc Nicolas Sarkozy ?

« Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir ». Et de poursuivre : « Ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année ». C’était en 2008 ! Autant dire qu’il s’agissait encore de fariboles pour endormir l’opinion !

Cet engagement de date n’a pas été tenu. Il s’agissait d’un mensonge de plus.

Mes chers collègues, si le mensonge portait seulement sur le calendrier, si le Président de la République avait seulement pris deux petites années « de retard », si Nicolas Sarkozy nous présentait au moins aujourd’hui un projet crédible de régulation de la finance mondiale, alors nous pourrions presque lui pardonner d’avoir laissé s’installer le glissement de la crise des subprimes – dont il vantait, rappelons-le, les mérites – vers la crise de la zone euro et d’avoir continué à servir des mets fastueux à ses copains du Fouquet’s. Ces retards valent plusieurs milliards d’euros et ont entraîné un extraordinaire affaiblissement de notre appareil industriel.

Malheureusement, il n’en est rien ! Si ce projet, dit de régulation bancaire, ne régulera rien, si cette loi n’aura aucunement pour effet de « moraliser le capitalisme », c’est que le Gouvernement ne le souhaite pas. Toujours aussi aveuglés par les paillettes de la finance, vos ornières idéologiques desquelles vous ne parvenez pas à vous extraire vous interdisent de penser que les règles, ou plutôt l’absence de règles, de l’économie-casino ne servent qu’à enrichir une petite poignée de privilégiés qui coulent des jours paisibles tandis que la grande majorité de nos concitoyens sont plongés dans des difficultés chaque jour plus grandes et plus humiliantes. Votre doctrine économique, basée sur la libre circulation des capitaux, la spéculation, ce que délicatement vous appelez les « marchés », l’absence de règles et le laisser-faire généralisé est une impasse, madame la ministre. C’est une impasse qui coûte très cher à nos concitoyens.

Aveuglés par cette doctrine, vous croyez même que vous allez pouvoir « faire de cette crise une opportunité ». Au-delà du fait que le langage publicitaire n’a pas de secrets pour ce gouvernement, nous pourrions presque vous faire crédit d’une certaine cohérence dans vos choix idéologiques et politiques. Je dis « presque » parce que vous mésestimez totalement la gravité de la crise actuelle. Cette cohérence entre vos options idéologiques et vos choix politiques confine alors à l’aveuglement mais votre fanatisme libéral n’exclut pas la cohérence de vos choix. Au contraire, cette cohérence alimente la course folle vers la destruction de l’économie et la désintégration de nos sociétés. Les événements de Sevran, de Tremblay, ou d’ailleurs, dans nos banlieues, ne sont pas étrangers à tout cela.

Comment faire croire à un jeune de nos banlieues qu’il faut aller travailler dans un emploi aidé alors que les bonus des dirigeants des banques explosent à nouveau, malgré la crise qui perdure ? Il faudrait écouter M. de Rothschild de la Compagnie financière, qui sait de quoi il parle et qui prévoit de nouvelles catastrophes.

La cohérence de vos choix est multiple.

Tout d’abord, vous êtes cohérents avec vous-même lorsque vous continuez à faire confiance à l’économie-casino, lorsque vous pensez pouvoir vous appuyer sur le règne des banques et lorsque vous interprétez la financiarisation croissante du capitalisme mondial comme l’étape ultime du progrès de l’humanité.

Madame la ministre, vous me permettrez, après vous avoir recommandé la lecture du Capital, de vous conseiller un autre ouvrage, d’un certain Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Bien évidemment, il faut replacer cette œuvre dans son contexte, mais vous verrez que, dans les cendres du passé, demeurent des braises ardentes qui peuvent éclairer les chemins de l’avenir. C’est un petit opuscule, beaucoup moins épais que le livre que je vous ai offert la dernière fois.

Monsieur Louis Giscard d’Estaing, vous n’êtes pas de la tradition révolutionnaire ; je comprends donc qu’il y ait un quiproquo, mais les braises peuvent servir à allumer un incendie, par exemple celui de la Révolution qui, comme en 1789, permit d’ouvrir des voies que l’humanité entière continue de nous envier.

L’année 1917 fut celle d’une révolution qui libéra le peuple russe du knout tsariste. Il en va de 1917 comme de 1789 : il y eut des zones d’ombre comme des zones de lumière, mais vous ne pouvez pas le comprendre car il faudrait pour cela que vous soyez quelque peu dialecticiens.

Vous ne comprenez guère plus, madame la ministre, que le commun des mortels la « novlangue » des marchés financiers, ni les instruments technico-financiers dont les banquiers se servent pour accroître leurs marges de profits aux dépens des populations du monde entier. En réalité, vous êtes même plus démunie que la grande majorité de nos concitoyens qui, eux, ont cet avantage sur vous de connaître la vie réelle, celle des fins de mois difficiles. Ils ont l’expérience de la vie quotidienne et subissent les dramatiques conséquences de votre crise. Quant à vous, vous faites confiance aux marchés, aux banquiers, aux spéculateurs. Vous ne faites confiance qu’à ceux-là qui profitent de la crise provoquée par l’appétit insatiable du capital pour son propre élargissement.

Vous faites tout de même preuve de cohérence en faisant confiance aux marchés. Cette cohérence n’est malheureusement pas d’origine rationnelle ; elle est presque d’origine affective. Elle est née de votre connivence avec le monde de la finance et de votre admiration pour les sommes colossales qu’il déplace sur les places boursières internationales. Vous êtes dans le champ de la croyance, pas de la rationalité qui vous permettrait de comprendre et d’essayer d’esquisser des solutions. Vous vous livrez à un culte, celui du veau d’or honni par Moïse. Notre peuple a un devoir : briser les idoles que vous adorez.

Vous vous croyez rationnelle lorsque vous pensez que les dizaines de milliards d’euros de bonus empochés par les traders et les centaines de milliards de bénéfices réalisés par les banques profitent, in fine, à l’ensemble de l’économie. En réalité, vous favorisez l’accumulation de masses invraisemblables de capitaux qui cherchent à réaliser des taux de profits élevés, qui enrichissent les actionnaires, détruisent les emplois, assassinent les vies.

Lorsque vous voyez que le seul marché des dérivés est passé, selon le magazine Alternatives économiques, de 91 000 à 592 000 milliards de dollars entre 1998 et 2008, vous en déduisez que ce secteur de l’économie doit être un puissant moteur pour la création de richesses et, par conséquent, un levier essentiel pour l’ensemble de l’économie. L’état actuel de notre économie, le chômage de masse, la généralisation des temps partiels subis, les délocalisations, le surendettement rampant de nos concitoyens et la dette colossale de presque tous les pays de la planète d’un côté, et le retour des bonus, les profits extravagants des banques, et l’explosion des inégalités de l’autre, prouvent pourtant le contraire.

Tout ce que vous avez fait jusqu’ici, c’était de répondre aux exigences des marchés financiers en injectant toujours plus de liquidités dans les circuits du casino mondial. Ainsi, vous ne cessez d’encourager les pratiques qui, depuis deux décennies, favorisent systématiquement la recherche du profit facile au détriment des investissements productifs, créateurs d’emplois et de richesses pour l’ensemble de la société.

Le Gouvernement et vous-même êtes encore cohérents – quoique cyniques – lorsque vous dites vouloir saisir l’opportunité de la crise. Vous cherchez à en profiter pour promouvoir un modèle de société qui mette les intérêts des grands groupes privés au centre de l’action politique où les assurances privées auront vocation à remplacer les caisses de retraites et la sécurité sociale pour la plus grande joie des actionnaires. Vous voulez encore détériorer la répartition des fruits du travail au bénéfice de la rentabilité du capital, au détriment de la rémunération du travail et des conditions de vie de nos honnêtes concitoyens, par opposition à ceux qui s’enrichissent sans travailler vraiment.

Rien d’autre que cela ne se cache derrière la nécessité absolue – comme vous le répétez sans cesse – de mettre en place des plans d’austérité drastiques dans tous les pays européens.

Il s’agit tout simplement d’offrir sur un plateau d’argent aux investisseurs privés tous les services publics : la santé, l’éducation, les transports, le gaz, l’électricité, mais aussi, bien sûr, les retraites. Vous continuez de faire confiance aux spéculateurs pour être le moteur d’une croissance censée profiter à l’ensemble de la société.

Quand allez-vous enfin comprendre, madame la ministre, mes chers collègues de la majorité, que ce modèle économique nous conduit tout droit dans le mur ?

Votre cohérence politique est celle des talibans de la finance, ces intégristes en costumes trois-pièces de la City de Londres, de Wall Street et des étages supérieurs de nos grandes banques. Je les compare aux talibans parce que, sur le fond, ils ne valent pas mieux que Ben Laden et sont aussi dangereux que lui pour l’avenir de nos sociétés.

Parce que ce sont ces gens-là qui vous conseillent, parce que ce sont ceux-là auxquels vous faites confiance pour prendre les rênes de l’économie mondiale, vous êtes, madame la ministre, parfaitement cohérente avec vous-même lorsque vous nous présentez un projet de régulation bancaire qui n’en est pas un. Vous ne souhaitez pas réguler, ni surveiller. Vous cherchez seulement à donner l’impression de le faire en vous contentant de supprimer quelques excès.

Votre problème, si je puis me permettre, madame la ministre, c’est que l’opinion publique, c’est que les Français ne partagent pas vos options idéologiques. Les gens ne sont pas dupes, ils ont bien compris qu’il faut mettre un terme à des pratiques spéculatives qui ne profitent qu’à une poignée de privilégiés tout en plongeant la grande majorité dans la difficulté et la détresse.

La colère gronde dans nos villes, madame la ministre, et elle gronde tellement que vous ne pouvez plus l’ignorer, même enfermée dans votre tour d’ivoire.

Alors, pour apaiser la colère comme vous cherchez à apaiser les marchés, vous communiquez, le Président de la République gesticule et vous faites de la politique spectacle.

Premier acte : vous multipliez les déclarations à la fois tonitruantes et lénifiantes. Ainsi, Nicolas Sarkozy, dès septembre 2008, à Toulon, avait déclaré que « les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement. L’impunité serait immorale ». Vous voyez, à travers cette citation, que le Président de la République s’accommode parfaitement de l’immoralité. Nicolas Sarkozy de poursuivre : « Il faut ensuite réglementer les banques pour réguler le système. »

Un an plus tard, au sommet du G 20 à Pittsburgh, vous avez déclaré, madame la ministre, que nous nous trouvions, dans « un moment crucial de transition entre la crise et la reprise pour tourner la page d’une ère d’irresponsabilité et adopter un ensemble de mesures, de règles et de réformes nécessaires pour répondre aux besoins de l’économie mondiale du XXIe siècle. » Aujourd’hui, vous dites vouloir, si l’on en croit votre texte, « entraîner la communauté internationale à tirer les leçons de la crise pour que ce qui s’est produit ne se reproduise plus. » En résumé, nous aurons eu trois années de bonnes intentions, ou plutôt trois années de faux-semblants.

Deuxième acte : pour mieux maquiller votre inaction, vous vous cachez derrière les instances européennes et internationales. Votre gouvernement a fait le choix délibéré de se dédouaner de ses responsabilités en confiant un rôle faussement moteur à la Commission européenne, au Fonds monétaire international, au G 7, au G 20 et, plus généralement, à la négociation internationale. Nous avons désormais l’habitude de ce genre de procédé. Le dernier épisode en date a été celui du pseudo-plan de stabilisation d’il y a à peine deux semaines.

En ce qui concerne la régulation des banques et « la moralisation du capitalisme », pour reprendre les mots de Nicolas Sarkozy, vous procédez exactement de la même manière. Le dernier exemple ne date pas de plus tard que mardi soir : dans une lettre commune signée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ces deux héros de la régulation estiment « qu’il existe un besoin urgent que la Commission puisse accélérer ses travaux s’agissant de l’encadrement renforcé du marché des CDS souverains et des ventes à découvert, et présente, avant l’ECOFIN de juillet, l’ensemble des pistes d’action envisageables ».

Il faut croire qu’Angela Merkel a cru que tout était dit dans cette lettre puisqu’elle a annulé son rendez-vous avec Nicolas Sarkozy. Procédé plus que classique : lorsqu’il y a un problème, c’est toujours la faute de Bruxelles. Passons sur le fait que le moteur franco-allemand ne demande qu’une régulation minimale.

Le troisième acte s’est joué outre-Atlantique. Vu l’inaction coupable des dirigeants européens, je serais presque tenté de rendre hommage au président Barack Obama, même si je ne fais pas partie de ses idolâtres car il ne faut jamais oublier ce qu’il a dit le soir de son élection : « J’ai été élu pour rétablir le leadership des États-Unis ». Or aucun d’entre nous, j’imagine, n’est demandeur d’un leadership des États-Unis : nous sommes demandeurs d’égalité dans les relations internationales. Reste que Barack Obama a fait preuve d’un certain courage en proposant une loi dont l’énumération des mesures prendrait malheureusement trop de temps.

Vous noterez en tout cas que le président américain n’hésite pas à s’en prendre à Wall Street. On attend donc que le Gouvernement français s’en prenne à la Bourse. Vous cherchez toujours des compromis souterrains mais jamais n’appelez un chat un chat.

Or, croyez-moi, la liste des mesures proposées par Barack Obama est longue, mes chers collègues, bien trop longue pour être traduite en une loi de régulation bancaire de seulement sept articles.

Madame la ministre, vous voyez qu’il n’est absolument pas crédible de se cacher derrière la prétendue nécessité d’aboutir, avant toute initiative nationale, à un consensus international. Cela s’appelle d’ailleurs « mettre la charrue avant les bœufs », puisque les mesures nationales servent de base de négociation dans les instances internationales.

Les États-Unis et, dans une moindre mesure, l’Allemagne, l’ont bien compris. Contrairement à vous, madame la ministre, ils ont compris que la sauvegarde de ce système – système que nous combattons par ailleurs – passe par une certaine dose de régulation. Plus exactement, un peu moins aveuglés par les dogmes du capitalisme financier, les dirigeants de ces pays ont compris que la seule chance, certes minime, de sauver ce système était de faire preuve d’un certain pragmatisme.

Le pragmatisme, en l’occurrence, c’est la régulation. Or, en la matière, selon notre collègue Christian Kert, votre projet de loi serait creux. Je ne dirais pas, pour ma part, qu’il est creux mais qu’il est vide. En effet, selon la définition de Raymond Devos, qu’est-ce que le vide ? Un trou avec rien autour. (Sourires.) J’ignore si cette définition agréerait aux physiciens mais elle s’applique à mon avis plutôt bien à votre texte.

Avant d’entrer dans le détail des sept articles de ce projet, permettez-moi de formuler une remarque sur les notions de « régulation » et de « surveillance ».

La régulation et la surveillance ne se recoupent pas du tout : réguler, madame la ministre, c’est édicter de nouvelles règles, c’est transformer le fonctionnement des marchés financiers et imposer de nouveaux devoirs aux banquiers ; surveiller, en revanche, c’est faire en sorte que les règles actuelles soient bien respectées.

Vous pouvez, du moins en théorie, installer des détecteurs de fumée dans tous les logements et poster un pompier à chaque coin de rue, mais tant que vous n’aurez pas interdit les feux de camp en plein milieu du salon, les incendies ne cesseront de faire des ravages. On a vu dans le passé, avec la Caisse d’épargne, comment la surveillance a marché, alors que l’AMF avait pourtant relevé des irrégularités.

En ce qui concerne ce projet de loi, vous aurez compris, madame la ministre, que nous considérons que vous et votre gouvernement, voulez au mieux introduire quelques mécanismes de surveillance.

Ainsi, l’article 1er prévoit la création d’un « machin », comme disait le général de Gaulle, trompeusement appelé « Conseil de régulation financière et du risque systémique. »

Ce nouveau conseil « pourra auditionner des professionnels du secteur financier en tant que de besoin », est-il écrit dans l’exposé des motifs. Madame la ministre, votre dernière invention ne peut manquer de me faire penser à la création du fameux Financial Stability Board, le conseil de stabilité financière créé après la crise asiatique de 1997-1998 pour mieux surveiller la finance : on a vu à quoi cela a servi !

Ce nouveau conseil permettra également, selon vous, « de renforcer le dispositif français de négociation des normes internationales et européennes en matière de régulation financière. » En résumé, vous voulez créer une commission d’experts, une sorte de « commission Clemenceau », pour reprendre l’expression de Nadine Morano, c’est-à-dire une instance animée par ceux-là même qui profitent du système actuel.

Quant au deuxième article de ce projet de loi, il donne au président de l’Autorité des marchés financiers, toujours selon l’exposé des motifs, la « capacité de prendre des mesures d’urgence (...) pour faire face aux situations exceptionnelles de marché. » En somme, le gendarme de la bourse sera, demain, également son pompier. Malheureusement, les situations exceptionnelles de marché ont tendance à se généraliser depuis quelques mois.

Les articles 3 et 4 prévoient l’introduction dans le droit français d’un contrôle des agences de notation. En réalité, il s’agit encore seulement d’une belle formule puisque cela consistera essentiellement en l’encaissement par l’AMF d’un droit d’enregistrement desdites agences. Même nos collègues du Nouveau Centre, qui ne sont pourtant pas des bolcheviques en puissance, ont déposé un amendement visant à créer une agence de notation européenne.

Les articles 5, 6 et 7 prétendent « renforcer l’efficacité du contrôle des groupes bancaires européens », mais il ne s’agit que de la transposition en droit français de la directive européenne du 16 septembre 2009 relative à la réglementation bancaire.

Vous le voyez, mes chers collègues, avec ce projet de loi, nous sommes bien en deçà de ce que l’on pourrait légitimement attendre d’un gouvernement qui prétend « réglementer les banques pour réguler le système », selon les propres termes de Nicolas Sarkozy en septembre 2008. Le Gouvernement s’applique à lui-même la loi sur le service minimum, et les conséquences en sont toujours aussi désastreuses.

Des marges de manœuvre existent pourtant pour mettre un terme à la domination des marchés et pour rétablir le primat du politique sur les diktats d’une économie spéculative devenue folle. Je n’aurai malheureusement pas le temps de vous détailler les mesures que vous auriez dû prendre dès l’année dernière. Mais vous aurez compris, mes chers collègues, madame la ministre, que les députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine s’opposeront à un projet de régulation bancaire qui n’a de régulateur que le nom. Nous ne cautionnons pas cette mascarade. C’est un projet dilatoire, une illusion, un faire-semblant. Tout cela n’est que cautère sur jambe de bois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Nicolas Maury
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