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Intervention de Roland Muzeau, Député PCF des Hauts de Seine, porte-parole des Députés Communistes et Républicains


Roland Muzeau, Député PCF des Hauts de Seine, s’oppose au travail du dimanche
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la philosophie de ce texte est clair : il faut travailler plus, plus longtemps, plus vieux, le dimanche, les jours fériés, la Pentecôte et bientôt, selon notre collègue de l’UMP M. Lefebvre, pendant son arrêt de maladie ou son congé maternité. Tel est le socle de la pensée gouvernementale.

Le Président de la République a réaffirmé la semaine dernière son souhait de voir le problème de la fermeture des grands magasins le dimanche réglé « avant l'été ». Je comprends que vous n’ayez d’autre choix que de vous exécuter.

« Est-il normal » s’indignait-il « que lorsque Mme Obama veut, avec ses filles, faire les magasins parisiens, je dois passer un coup de téléphone pour les faire ouvrir ? »


Le message que la majorité et au premier chef le Président de la République tentent ainsi de faire passer est simple : un pays moderne est un pays où la consommation doit être élevée au rang de loisir et où le bon vouloir de la clientèle s'affirme comme objectif d'intérêt général.

Dans cette perspective, tout est fait pour nous présenter le dimanche comme une relique des temps anciens, une survivance catholique, voire monarchiste, que tout homme de progrès se doit de considérer avec dédain.

Le rapport pour avis de notre collègue Bernard Reynès est à cet égard explicite. Il souligne, dès les premières pages, évoquant l'ordonnance de 1814 qui fixe les modalités des interdits dominicaux, que cette réforme rencontra « L'hostilité des républicains qui y voyaient une manifestation de l'ordre moral, des économistes libéraux et des ouvriers, pour qui cette journée chômée représentait un manque à gagner ».

Ce même rapport insiste sur le fait que la loi Sarrier de 1906 n'a jamais été ni portée ni soutenue par les ouvriers.

Autrement dit, si l'on vous croit, le repos dominical ne fut jamais instauré dans l'intérêt des salariés et nous devrions donc accueillir comme un progrès la nouvelle rédaction de l'article L.3132-3 du code du travail qui stipule que « Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

L'affirmation de ce principe dans un texte qui, par ailleurs, le piétine sans vergogne ne relève pas seulement de la pure et simple hypocrisie. Elle est encore discutable, car ce n'est pas seulement dans l'intérêt des salariés que doit perdurer le principe du repos dominical ; c’est dans l'intérêt de chacun et dans l'intérêt de tous.

Si le repos dominical est, dans notre droit, érigé en principe d'ordre public, ce n'est pas le fruit d'une anomalie qui romprait avec le principe de laïcité, c'est que le législateur a jugé indispensable d'entendre l'exigence sociale et de préserver l'existence d'un jour consacré au repos collectif, à la famille, aux amis, d'un jour qui déroge aux règles de l'échange marchand.

Le dimanche est précisément le jour où la question du manque à gagner ne se pose pas. C’est un jour qui échappe à l'emprise de l'activité marchande. Il exerce de ce point de vue une fonction symbolique essentielle, une fonction sociale éminente que chacun s'accorde du reste à reconnaître, tant l'enjeu dépasse a priori les clivages politiques habituels.

C'est sans compter avec les plus libéraux d'entre vous, ces héritiers du parti libéral des années 20 qui fustigeaient tous ensemble – socialistes, communistes et catholiques – comme autant d’ennemis du progrès, c'est-à-dire d'une société transformée en tout marché où rien n'existe hors la satisfaction de l'appétit des industriels et des commerçants.

Vous êtes les héritiers de cette vision du monde et ce n'est pas par hasard si quelques-uns parmi les esprits les plus réfléchis que comptent les rangs de la majorité…

M. Jean-Pierre Brard. Il n’y en a pas beaucoup !

M. Roland Muzeau. …se sont embourbés dans leurs contradictions, s'opposant un temps à ce texte, acceptant enfin de le cosigner afin de ne pas encourir les foudres du chef de l'État.

Nous ne sommes, bien sûr, pas dupes des discours entendus depuis plusieurs semaines qui tentent de nous convaincre que le texte de cette proposition de loi est le fruit d'un compromis, qu'il marque un recul par rapport au texte précédent qui justifie qu'il reçoive désormais l’imprimatur des opposants d'hier.

Il n'est pas difficile d'apporter la démonstration que ce texte est, à quelques artifices près, le même que celui dont nous avions entamé l'examen en décembre dernier.

Tout d'abord – et nous ne cessons de le dénoncer – nous sommes une fois de plus confrontés à la méthode de la proposition de loi. Celle-ci présente pour vous un double avantage.

En premier lieu, elle vous permet d'éviter de vous soumettre à l'obligation de négociation préalable avec et entre les partenaires sociaux. Elle vous autorise, ensuite, à vous affranchir de la règle qui veut que désormais chaque projet de loi soit soumis à une procédure préalable d'évaluation.

De fait, nous ne disposons s'agissant de ce texte d'aucune étude préalable relative à son impact économique, notamment sur ses conséquences en termes d'emplois. Nous devons nous satisfaire de vagues déclarations ou affirmations.

Oubliant les dizaines de milliers de suppressions d’emplois publics que le Gouvernement met en œuvre, M. Devedjian se complaît dans des propos démagogiques et affirme que « dans un pays où il y a autant de chômage que nous en avons aujourd'hui malheureusement avec la crise, c'est quand même un comble d'interdire aux gens de travailler. »

Le rapport est, quant à lui, plus prudent et pour cause. S'il fallait en effet proposer, aujourd'hui, un chiffrage des créations d'emplois, à supposer qu'il y en ait, au regard du nombre d'emplois que cette réforme détruira dans l'artisanat et le petit commerce, tout indique que le solde risque d’être négatif. Quand on sait, ainsi que le rappelle la CFTC, qu'il existait 11 000 magasins de chaussures au Royaume-Uni avant que n'intervienne la réforme autorisant l'ouverture des magasins le dimanche et qu'il n'en reste plus aujourd'hui que 350, nous ne sommes pas précisément enclins à l'optimisme.

J'observe que nous ne disposons pas non plus d'études sur l'impact social et environnemental de ces mesures. Quelles conséquences aura votre réforme sur la vie familiale, la vie associative, les pratiques culturelles ? Quel sera son impact par exemple sur la fréquentation des musées, des cinémas ou des clubs sportifs ? Quelles conséquences auront éventuellement, en termes de santé publique, des mesures qui détériorent le tissu social et familial ?

J'admets qu'il est difficile de disposer à cet égard d'éléments d'évaluation précis, mais j'observe que vous n'avez sollicité aucune forme d'expertise, que vous n'avez sollicité l'avis de personne sur cette question – ni des salariés concernés, ni de sociologues, ni d’ économistes, ni de politiques locaux et nationaux, ni d’associations de consommateurs…

Le fait est que vous êtes convaincus de la nécessité de mettre en adéquation la loi avec les pratiques, fussent-elles comme c'est le cas aujourd'hui, illégales. Et vous brandissez des sondages pour tenter de nous convaincre de la légitimité de votre démarche.

Vous vous faites fort ainsi de nous indiquer que 63 % des habitants des grandes agglomérations sont favorables à l'ouverture des commerces le dimanche.

Outre que les études d'opinion citées ne nous disent rien sur l'ouverture dominicale des commerces dans les zones touristiques, qui constitue pourtant un important volet de votre réforme, vous ne faites non plus nulle part mention des sondages qui contredisent votre analyse, notamment ceux réalisés auprès des salariés.

Or lorsque l'on demande aux Français s’ils seraient d'accord pour travailler régulièrement le dimanche, 64 % répondent par la négative et seulement 13 % favorablement. Toujours selon ce sondage Ipsos, réalisé en novembre dernier, les ouvriers y sont défavorables à plus de 65 %, les salariés des professions intermédiaires et les cadres à plus de 67 %.

Les salariés qui demandent à pouvoir travailler le dimanche et viennent manifester devant l'Assemblée nationale à grands renforts logistiques fournis par tous les employeurs de la grande distribution…

On le voit, ces salariés dits volontaires sont loin de représenter l'opinion majoritaire.

Pourquoi, dites-vous, vouloir interdire dans ce cas, à ceux qui le souhaitent de travailler le dimanche ? Tel est l'argument massue et prétendument de bon sens que vous nous assenez depuis des semaines. Je ne m'y attarderai pas, mais il y aurait beaucoup à dire sur les limites de l'argument libéral consistant à mettre en permanence en avant la liberté de choix des individus, comme si les choix individuels demeuraient sans incidence sur la vie collective et sur autrui. C'est particulièrement vrai dans le milieu du travail, où les choix posés par un salarié sont rarement en pratique sans incidence sur les conditions de travail des autres.

L'argument de la liberté de choix apparaît donc bien faible, mais il faut surtout et avant tout souligner que le volontariat est un leurre.

Il vous appartient sans doute de considérer et de tenter de faire croire que le contrat de travail est un contrat comme les autres, passé entre deux personnes placées sur un pied d'égalité. La réalité est tout autre.

S'il existe encore dans notre pays un droit du travail distinct du droit des contrats, c'est précisément sur le fondement de la reconnaissance du lien de subordination entre employeur et salarié.

Vous vous échinez depuis des années à détricoter notre droit du travail, entretenant l'illusion d'une égalité entre les personnes au contrat, d'une parfaite liberté de l'une et de l'autre partie. Vous passez volontairement sous silence ce constat d'évidence que les salariés ne sont jamais volontaires car ils sont contraints économiquement.

À qui allez-vous cependant faire croire, pour ne prendre que cet exemple, qu’un demandeur d'emploi pourra, lors d'un entretien d'embauche, affirmer tranquillement ne pas vouloir travailler le dimanche si l'employeur le lui demande et conserver réellement toutes ses chances d'être embauché ?

Les plus honnêtes d'entre nos collègues de la majorité le reconnaissent sans peine. Ainsi notre collègue Jean-Frédéric Poisson indique-t-il sur son blog : « Nous sommes conscients du fait que pour certains salariés le volontariat pourra être contraint. Nous n'avons à ce stade pas de réponse à cette question. » C'est un euphémisme, mais quel aveu !

La vérité est que votre prétendu volontariat est un coup de canif de plus dans notre droit du travail et un coup de couteau de plus dans le dos des salariés. Plus encore, cette démarche volontaire n'est pas partout requise.

Votre texte va en effet permettre – c'est l'autre danger et peut-être le principal – l'ouverture de droit, cette fois, des commerces le dimanche dans toutes les communes touristiques.

De fait, ainsi que cela a souvent été rappelé, l'enjeu est aujourd'hui la banalisation du travail dominical. Cette situation est clairement inacceptable.

Notre rapporteur a beau affirmer, en se retranchant derrière l'article R.133-33 du code du travail, que seules 497 communes et trois zones seront concernées par le dispositif, la réalité est qu'il sera demain impossible à un préfet d'accorder d'un côté le statut de commune touristique aux communes qui en font la demande au titre des nouvelles dispositions du code du tourisme et, de l'autre, de refuser l'ouverture des commerces le dimanche dans cette nouvelle commune touristique, au nom du code du travail.

Les définitions des communes touristiques dans le code du travail et dans le code du tourisme ont vocation à être rapprochées et nul doute qu'un contentieux abondant naîtra rapidement. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour se figurer l'aubaine que représentera l'ouverture de ce type de contentieux pour nombre d'enseignes, sans compter la contagion aux enseignes des périmètres d'usage de consommation exceptionnelle qui estimeront être victimes d'une distorsion de concurrence.

Ce n'est pas l'opposition qui entretient ici la confusion, comme vous le prétendez peut-être, monsieur le ministre, en tout cas M. le rapporteur, mais bel et bien le texte de la proposition de loi !

De fait, je livre à votre perspicacité les remarques de Mme Hélène Tanguy, rapporteur en décembre 2005 d'une loi portant diverses dispositions relatives au tourisme, loi qui ratifiait la partie législative du code du tourisme. Mme Tanguy affirmait alors : « Le premier degré du classement, celui des communes touristiques, n'est pas anodin, car il permet de bénéficier de diverses dispositions faisant référence aux communes touristiques dans le droit actuel, telles que la réduction d'impôt sur le revenu pour les logements réhabilités et la dérogation au repos dominical. »

Ne venez pas aujourd'hui nous dire que les stipulations du code du travail et celles du code du tourisme n'ont rien à voir !

Si le juge doit demain apprécier qu'elle était la volonté du législateur, il le fera sur le fondement de telles déclarations. Il en déduira nécessairement que le classement d'une commune en commune touristique aura pour effet de rendre applicables les dispositions relatives au travail dominical.

Si l'on admet par ailleurs que Bercy s'est fixé pour objectif, en assouplissant les conditions à remplir pour bénéficier de l'appellation de commune touristique, de permettre à 5 000 ou 6 000 communes d'y prétendre, on mesure du même coup aisément à quel point il sera difficile de contenir la généralisation du travail dominical dans 15 à 20 % de nos communes.

Contrairement à ce qu'affirme notre rapporteur, il n'est pas exact de dire que « En dix ans il n'y a eu que trente communes touristiques de plus. » La vérité est que depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2006, soit depuis mars dernier, 150 communes ont déjà demandé à bénéficier du classement au titre de commune touristique. Rien ne permet non plus d'affirmer que les demandes de dérogations permanentes ne se feront qu'à « la marge ». Nous jugeons plus probable un effet de contagion, une extension des dérogations par capillarité, particulièrement dans le contexte regrettable entretenu depuis des années d'une concurrence des territoires.

La situation apparaît d'autant plus inacceptable que le texte stipule, rappelons-le, que l'ouverture sera « de droit » pour tous les commerces et ne sera plus cantonnée à la saison touristique, ce qui aura pour conséquence de mettre en péril les accords existants et conduira une part sans cesse croissante de nos concitoyens à travailler le dimanche, sans compensation d'aucune sorte et sans requérir au préalable l'accord du salarié. Autrement dit, il ne sera pas ici question de volontariat.

Autrement dit, il ne sera pas question ici de volontariat.

En d'autres termes, nonobstant vos protestations, de bonne ou de mauvaise foi, le dimanche deviendra bel et bien, selon les termes de votre texte et si nous nous en tenons à sa rédaction actuelle, un jour comme les autres. Cette issue est d'autant plus probable que cela a toujours été votre objectif. Vous prétendez vouloir le statu quo, mais cela signifie modifier la loi pour rendre légales des pratiques illégales.

Depuis le départ, vous voulez en effet, au nom de la sécurité juridique, protéger et couvrir les pratiques de patrons qui se sont délibérément mis en marge de la loi. Inutile de vous dire que nous ne vous suivrons pas dans cette voie, par laquelle, pour le bénéfice d'une poignée d'enseignes, vous nous proposez de piétiner, une nouvelle fois, le droit du travail et de remettre en cause l'un des piliers, selon moi, de l'ordre républicain, à savoir le repos dominical, point de repère collectif structurant du pacte social. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Nicolas Maury
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