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Intervention de Jean-Pierre Brard, Député app-PCF de Seine-Saint-Denis


Revenu du Travail: 'En réalité, le SMIC ne permet pas de vivre'
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mercredi 17 septembre, on pouvait lire l’information suivante en page 7 du journal Les Échos : « La réglementation de la gestion pour compte de tiers protège les avoirs et l’argent des clients en cas d’événements fâcheux comme la faillite de la société de gestion ou de sa maison mère, comme dans le cas de Lehman. Les actifs des fonds de placement sont ainsi à l’abri chez le dépositaire de la banque américaine, à savoir le Français CACEIS. » Sur la page voisine, on apprenait que « le temps presse pour la banque américaine » – la même banque Lehman Brothers – « dont les salariés européens ont été avisés par PricewaterhouseCoopers qu’ils pourraient ne pas percevoir leurs salaires à la fin du mois. » C’était il y a moins d’une semaine.

La juxtaposition de ces deux articles de presse éclaire crûment le titre même du projet qui nous est soumis – « projet de loi en faveur des revenus du travail » – qui dégage un fort parfum de démagogie, cette démagogie développée depuis plus d’un an sur le thème « Travailler plus pour gagner plus ». D’ailleurs, comme l’a montré un récent sondage de l’institut CSA, les Français n’y croient plus : seuls 25 % – contre 27 % en 2005 – sont prêts à accroître leur temps de travail ; la majorité d’entre eux, 59 %, ne souhaitent pas travailler plus, et 13 % veulent travailler moins. En outre, les cadres sont encore moins nombreux que les autres salariés à vouloir travailler plus, ce qui est probablement lié au fait qu’ils ont été parmi les plus lésés par la récente réforme du temps de travail.

Pour beaucoup de salariés, gagner plus, c’est d’abord, très concrètement, être mieux payé pour le même effort, ce qui est totalement légitime, compte tenu du faible niveau chronique des salaires dans notre pays, contrairement à ce qu’a affirmé notre collègue Jean-Frédéric Poisson.

Au-delà des slogans faciles, des effets d’estrade électorale, des promesses vaines et des rafales de lois supposées doper le pouvoir d’achat, il faut, avant de légiférer, s’interroger sur ce que représente réellement le travail aujourd’hui pour les salariés.

Stephen Bouquin, maître de conférence en sociologie à l’université d’Amiens, souligne l’écart entre une représentation abstraite et idéalisée du travail et la réalité de l’exploitation des salariés. Le Président de la République, qui s’intéresse aux intellectuels quand ils disent comme lui et qui ne s’y intéresse plus dès lors qu’ils le contredisent, pourrait lire avec intérêt ce que M. Bouquin a écrit :

« Le discours de Nicolas Sarkozy avait d’abord une finalité idéologique : distinguer les salariés méritants qui veulent se retrousser les manches, pour stigmatiser les autres comme profiteurs. »

« Ce discours avait pour finalité de masquer une paupérisation rampante du salariat, qui a des raisons systématiques liées à l’offensive globale du capital contre le travail. Une offensive qui s’exprime par la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée comme par l’intensification du travail et par la précarisation de l’emploi. »

« Plus on travaille, plus on fournit de l’effort, plus on serait rémunéré, plus on aurait de revenus et d’opportunités de grimper sur l’échelle sociale. C’est là une vision économiste et libérale du travail. Les garde-fous, les cadres juridiques et réglementaires sur le temps de travail, sont précisément en voie de démantèlement. C’est sur cela que notre attention devrait se focaliser. »

« Ce qui doit nous préoccuper aujourd’hui, c’est qu’il existe des situations, des cultures d’entreprise exigeant des individus qu’ils se vouent corps et âme à leur activité professionnelle, non seulement sur le lieu de travail, mais aussi le week-end, le soir avec le fil à la patte qu’instaurent les objets de communication nomade, le mail, etc. »

M. Bouquin conclut ainsi : « Il serait bénéfique de jeter un regard critique sur le travail tel qu’il est réellement pour la majeure partie de la population salariée, à savoir un travail sans qualités, une activité peu réjouissante et, qui plus est, nocive pour la santé. »

José Calderon, docteur en sociologie, chercheur au CNRS, confirme l’analyse dans Les Mondes du Travail de janvier 2008 :

« Le projet de Nicolas Sarkozy doit vivre au travail, chaque jour, dans chaque geste : travailler plus pour gagner plus. C’est un projet qui reconnecte le travail avec la politique au sens noble du terme : c’est par le travail que l’on ordonne la société. Or il l’ordonne tout en la désordonnant, tout en favorisant la désintégration des solidarités et du lien social, des valeurs qui ont jusqu’ici été véhiculées par le travail. De ce point de vue, la victoire du candidat de la droite n’est peut-être que l’épiphénomène d’un processus plus vaste encore qui a ses racines dans les transformations contemporaines du travail et qui implique une désolidarisation des individus au travail, une socialisation dans des valeurs individualistes. C’est cette désintégration de la société au travail qui m’interroge le plus en tant que sociologue. »

« Les promoteurs de la valeur du travail nous invitent à rêver avec eux à une société où le zèle au travail serait un accomplissement individuel et moral. Ils le font tout en anéantissant le noyau non marchand de la relation salariale, celui par lequel les salariés acquièrent des droits sociaux qui sont indissociables des droits civils et politiques, et qui sont donc au cœur de la citoyenneté. Alors, réhabilitation ou disqualification sociale de la valeur travail ? Quel type de citoyenneté entendent-ils promouvoir ? Lorsque les devoirs se substituent aux droits, leur projet de gouvernement n’est-il pas en train de réduire la démocratie ? »

« Pour ajuster son comportement aux nouvelles normes, aux nouvelles exigences productives, aux nouvelles injonctions souvent contradictoires, pour assurer le maintien de la production, pour bien rendre service au client, le travailleur doit mobiliser tout son être, que ce soit mentalement, affectivement et, bien sûr, physiquement, pour parvenir aux fins non négociables fixées par les directions. »

Paul Thompson, professeur de neurologie, dans Workplaces of the future, a résumé les incidences de la restructuration productive sur les salariés : « leurs corps sont beaucoup plus fatigués, leurs cerveaux sont arrivés à saturation et, de plus en plus, leurs cœurs doivent battre au rythme marqué par les objectifs de l’entreprise. » Il en est ainsi, ne vous en déplaise ! D’ailleurs, vous ne manquez pas de verser des larmes de crocodile quand, par hasard, survient un suicide chez Renault grâce à M. Carlos Ghosn…

Je continue de citer Paul Thomson : « Les nouveaux impératifs patronaux régissent la vie des ateliers et des bureaux et s’articulent toujours autour des mêmes principes, quelle que soit l’entreprise : la rentabilité et la productivité. C’est sur ces principes et leur matérialisation empirique, la contrainte temporelle et la contrainte des coûts, que viennent se greffer les efforts des employeurs pour mobiliser la subjectivité des salariés : « Il faut que tous les salariés mettent leur intelligence et leur meilleure volonté au service de l’entreprise » disent-ils. »

« C’est au moment où l’entreprise se dit ouverte à la société, où elle affirme enfin faire entrer la citoyenneté en son sein au travers des différentes formes de participation, qu’elle s’arroge le droit de définir une morale propre, à la mesure de ses seuls intérêts qu’elle entend imposer à tous ses salariés. Confrontés tous les jours à la matérialisation des situations, les travailleurs se voient dans l’obligation de devoir arbitrer entre des logiques diverses – marchandes, techniques, morales. »

« Ici, un clivage s’opère entre les collectifs du travail qui réussissent encore à peser sur l’orientation accordée à leur activité et les salariés qui se voient imposer des finalités externes à eux. Il n’est pas étonnant que les salariés qui se manifestent le plus activement contre la déréglementation progressive du monde du travail, et on en a encore une preuve dans les récentes mobilisations des cheminots et de la fonction publique, soient ceux qui réussissent encore à imposer des valorisations propres à leur activité. Et ils le font, cela est important, tout en réclamant l’universalité de leur expérience. »

Cette dégradation des conditions de travail et de la situation des travailleurs entraîne des pathologies diverses pouvant conduire jusqu’au suicide. M. Dominique Huez, médecin du travail, décrit ainsi, dans son ouvrage Souffrir au travail, ces phénomènes : « Ce sont bien, en première instance, les contraintes imposées par l’organisation du travail, lorsqu’elle ne permet pas au travail des individus de se déployer, qui sont délétères pour la santé. Ces contraintes sont multiples ; elles vont, par exemple, de la surcharge de travail due à une quête effrénée de productivité ou à une réduction des effectifs, à la mise en place de systèmes de contrôles tatillons ou d’évaluations inadaptées à la réalité du travail et qui contribuent à le vider de tout sens. À l’époque du taylorisme, les systèmes de production usaient les corps. Avec les nouvelles formes d’organisation, de management et de contrôle du travail, c’est le psychisme qui est d’abord attaqué. »

Le journal Le Monde a consacré, le 18 septembre dernier, une double page au mal-être des cadres, qui est ainsi résumé par l’un d’entre eux : « Il n’y a jamais de remerciements. Atteindre les objectifs est normal. L’année suivante, on les augmente. C’est toujours plus. »

Votre projet de loi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ne répond évidemment pas à tous ces problèmes. Ce n’est visiblement pas son objectif, car vous vous cantonnez soigneusement au terrain économique et comptable, en négligeant totalement la dimension humaine du travail. Il faudrait peut-être se demander pourquoi la France est championne d’Europe de la consommation de psychotropes ! Il faut retourner en commission pour travailler sur des dispositions protectrices pour les salariés et pour renforcer leurs droits dans les entreprises, conformément au Préambule de la Constitution de 1946 qui énonce : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

Le texte qui nous est soumis traite de la question importante du SMIC et crée, selon l’exposé des motifs, une « commission d’experts indépendante à caractère consultatif, la commission du SMIC ». L’expert est un produit à la mode, tant dans les institutions que dans les médias. Mais c’est un produit souvent frelaté : quand il n’est pas autoproclamé, il est généralement choisi pour son adhésion aux thèmes de l’économie libérale.

Pour le choix de certains de ces experts, en la circonstance, nous ne saurions trop vous conseiller de choisir quelques smicards, ou des membres de leur famille, qui savent ce que signifie vivre avec moins de 1 040 euros nets par mois et qui sont donc des « experts du quotidien », selon l’excellente formule de notre collègue Jack Ralite.

Avec cette nouvelle commission, on voit sans peine, derrière des formules patelines dont Xavier Bertrand a le secret, telles que « moderniser la procédure » ou « favoriser une évolution du SMIC davantage en phase avec les conditions économiques », se profiler le remise en cause de la légitimité, de l’utilité et de la viabilité du Smic. Il apparaît clairement que le Gouvernement souhaite échapper à sa responsabilité politique devant les citoyens, en particulier de décider, ou non, de donner un « coup de pouce » au SMIC – n’est-ce pas, monsieur Wauquiez ? Il pourra se dissimuler derrière les prescriptions d’un comité de technocrates judicieusement choisis, qui expliqueront doctement qu’au vu des contraintes économiques et des impératifs de la mondialisation, il n’existe pas de marge pour revaloriser le SMIC – puisque vous donnez tout aux actionnaires !

Rappelons donc ce qu’il en est pour rafraîchir les mémoires défaillantes, qui semblent être nombreuses sur les bancs de la droite. Le SMIC est d’abord un salaire. Celui-ci se distingue d’un revenu ou d’une assistance. Le salaire est dû par l’employeur et n’a pas à être pris en charge d’une manière ou d’une autre par la collectivité, c’est-à-dire pour l’essentiel par les salariés eux-mêmes, en leur qualité de contribuables. Il en est de même de la part socialisée du salaire, qui sert au financement de la protection sociale. Les compléments de rémunération tels que les primes ne doivent pas être pris en compte pour apprécier le respect de l’obligation de payer le SMIC.

Le SMIC est un salaire minimum. Un minimum qui doit être suffisant pour mener une vie décente et qui ne doit subir aucune diminution pour quelque raison que ce soit, en particulier en fonction de l’âge, en cas de réduction de la durée légale du travail ou en cas d’augmentation des prélèvements sociaux. C’est un salaire plancher qui rémunère le travail le plus élémentaire – la référence retenue à l’origine était celle du manœuvre ordinaire – ; le salarié qui peut faire valoir une qualification doit donc être payé au-dessus du SMIC. Cela implique également qu’aucune grille de salaires ne démarre en dessous de ce niveau. Enfin, les éléments de rémunération qui paient des qualifications, des sujétions particulières dans le travail, une expérience, une ancienneté, un effort particulier, etc., ne doivent pas être pris en compte dans le calcul du SMIC.

Le SMIC est un salaire interprofessionnel. Il doit s’appliquer de façon identique pour tout salarié, quels que soient son emploi, ses conditions de travail et de rémunération, son secteur professionnel.

Le SMIC concerne aussi les salariés des entreprises étrangères qui exercent leur activité sur le territoire national, ce qui mérite d’être rappelé dans le contexte de déréglementation européenne,

Le SMIC est un salaire de croissance. Il devrait assurer aux salariés une participation au développement économique du pays, ce qui n’est pas le cas. Il devrait donc évoluer plus vite que l’inflation et intégrer les évolutions sociétales des besoins des salariés. Il doit intégrer les gains de productivité du travail réalisés à l’échelle du pays. En retour, la hausse du SMIC devrait alimenter une dynamique salariale qui contribue, à travers la consommation des ménages, à la croissance économique. Mais, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous êtes à des années-lumière de cette logique !

Toutes ces caractéristiques ne sont évidemment pas négociables, sauf à déstabiliser les relations sociales, car le SMIC devrait être un élément majeur du contrat social républicain et un précieux facteur de cohésion sociale, un élément de reconnaissance et de dignité pour les salariés les plus modestes. En réalité, le SMIC aujourd’hui ne permet pas de vivre. Je ne sais pas si, à Saint-Quentin, vous discutez avec des smicards, monsieur le ministre, et si vous leur demandez quand commence la fin du mois pour eux. Je ne parle pas des gens que vous fréquentez dans la bonne société dont vous êtes ici, mes chers collègues, les fondés de pouvoir !

En réalité, le SMIC ne permet pas de vivre. Il est donc nécessaire de le porter, au moins, à 1 500 euros nets.

Malgré le niveau très insuffisant du SMIC, le patronat, dont vous vous faites les porte-voix, rêve à voix haute et depuis fort longtemps, de le supprimer ou de le démanteler en l’accusant de beaucoup de maux. Le patronat, MEDEF en tête, ne s’est jamais vraiment satisfait de l’existence du SMIC. Fréquemment critique quant à ses modalités et règles d’actualisation, il conteste maintenant, de plus en plus ouvertement l’idée même d’un salaire minimum, qui constitue à ses yeux un obstacle à la libre concurrence et un handicap pour la compétitivité des entreprises dans le contexte de la mondialisation. Selon lui, la réponse aux besoins des salariés ne relève pas de sa responsabilité et la rémunération, comme l’emploi, doit obéir à la seule loi du marché.

D’où l’idée de passer d’un salaire minimum qui s’impose à tous les employeurs à une garantie de niveau de vie, ou plutôt de survie, assurée par l’État ou les collectivités territoriales. Le salaire pourrait alors être fixé librement en dessous du salaire minimum, les autorités publiques prenant à leur charge la différence. Ceux qui prétendent revaloriser le travail sont souvent les mêmes qui refusent toute hausse du salaire minimum au prétexte que l’emploi en pâtirait.

Pourtant, aucun argument sérieux ne vient étayer cette idée. Des études, menées par des chercheurs vraiment indépendants, démontrent au contraire le rôle moteur de la hausse du pouvoir d’achat des salaires sur la croissance et donc l’emploi. Ce constat a été vérifié de façon empirique en 1968 quand le salaire minimum a été augmenté de 35 % d’un seul coup. Le débat a également été très intense en Grande-Bretagne quand le gouvernement a introduit le salaire minimum en 1999. Neuf ans plus tard et en dépit de fortes augmentations – le SMIC anglais est aujourd’hui supérieur au SMIC français – les chercheurs n’ont décelé aucun effet indésirable du salaire minimum sur l’emploi et la part des bas salaires a reculé de 10 %. Au point que l’Allemagne songe très sérieusement à emboîter le pas à la Grande-Bretagne.

Votre projet se révèle un petit florilège en matière de niches fiscales et sociales, par exemple en créant un crédit d’impôt pour les entreprises qui développent l’intéressement, en ouvrant la possibilité d’une prime exonérée de charges sociales et d’impôt sur le revenu si elle est affectée à la réalisation d’un plan d’épargne salariale, en prévoyant de développer des formules exonérées de cotisations sociales et fiscales, comme les primes d’intéressement.

Et tout cela est décidé en dehors de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Qu’en pense notre excellent rapporteur général de la commission des finances qui déclarait il y a peu : « Les niches fiscales ont toujours existé, mais leur coût a beaucoup progressé ces dernières années. Tout se passe comme si la fixation en 2003 d’une norme d’évolution des dépenses budgétaires avait conduit à la multiplication des dépenses fiscales. Or si nous voulons tenir notre engagement de redressement des finances publiques en 2012, il nous faut à la fois maîtriser les dépenses et préserver les recettes. L’accélération de la dépense fiscale constitue, à cet égard, un véritable problème pour le budget. Et le même phénomène se développe pour les recettes sociales. [...] Il faut créer une norme de dépense fiscale. Nous attendons du Gouvernement qu’il présente, dans le projet de loi de finances pour 2009, un objectif de dépenses fiscales pour l’année et qu’il y inscrive les mesures d’ajustement éventuellement nécessaires. Nous souhaitons également soumettre la création de toute nouvelle niche fiscale à une étude d’impact et en limiter l’application à une durée de trois ans. » Le moins que l’on puisse dire est que les vœux du rapporteur général ne sont guère suivis d’effets, et c’est là un motif de principe pour les députés soucieux de l’état finances publiques de décider le renvoi en commission.

Il faut, en effet, se poser la question de l’assiette du financement de la protection sociale qui est handicapé par le développement continu des niches sociales. Leur montant a été évalué par la Cour des comptes pour les divers dispositifs d’association des salariés aux résultats de l’entreprise – stock-options, participation, intéressement – entre 6 et 8,3 milliards d’euros. La Cour souligne qu’« en 2007, le montant total des dispositifs d’exonération atteint 27,8 milliards d’euros [...]. En 2008, leur coût attendu est estimé par le PLFSS à 32,3 milliards, y compris plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires prévues par la loi TEPA. Ce coût représente environ 10 % des recettes du régime général ou de l’État et 70 % du déficit de ce dernier. »

Actuellement, on observe l’amplification d’un mouvement de substitution des éléments de salaire indirect au salaire direct, mouvement engagé depuis plusieurs années. Selon la Commission des comptes de la sécurité sociale, les sommes distribuées au titre de l’intéressement ont augmenté en moyenne de 9 % par an sur la période 2000-2005, celles attribuées au titre de la participation de 7,4 % par an et l’abondement des plans d’épargne d’entreprise de 8,3 % par an, alors que la masse salariale n’augmentait dans la même période que de 3,2 % par an, en moyenne. Cela contribue à accentuer les inégalités salariales dans l’entreprise puisque les primes, notamment d’intéressement, sont généralement proportionnelles aux salaires. Mais aussi, cela assèche les finances des systèmes de protection sociale en contribuant à leur déficit, comme l’a souligné mon ami Roland Muzeau.

Il faut revenir, à cet égard, aux analyses et aux appréciations portées par la Cour des comptes, et cela depuis plusieurs années, bien que vous refusiez de lui porter une oreille attentive. Que lisons-nous dans son rapport sur les comptes sociaux en 2007 ? « Il ressort de ces analyses que ces dispositifs ne font pas l’objet d’une évaluation financière suffisante, sont peu lisibles et mal contrôlés. Les données disponibles montrent que leur impact sur l’emploi est limité au regard des efforts financiers importants consentis par les finances publiques. » S’agissant des mesures générales d’exonération, la Cour soulignait : « Le résultat a été une forte progression du pourcentage de salaires bénéficiant des exonérations “ bas salaires ”, passé de 40 % en 1995 à plus de 50 % en 2003. » Dans ces conditions, la Cour estimait : « L’effet net des exonérations traduit plutôt un ralentissement des destructions d’emploi qu’une augmentation des créations. [...] Ces constats justifient qu’une attention particulière soit apportée aux facteurs qui contribuent le plus à l’augmentation du coût des exonérations pour les finances publiques. » La Cour a ainsi recommandé « un meilleur ciblage des exonérations, d’une part en les limitant aux entreprises de moins de vingt salariés ou en resserrant la plage de 1,6 à 1,3 SMIC, et d’autre part [...] en fixant le point de sortie en euros ou en pourcentage du plafond de la sécurité sociale en lieu et place du SMIC. »

« Par ailleurs, ajoute la Cour, ces mesures, et en particulier la loi TEPA, ont fortement complexifié les contrôles des Urssaf et ont accru les risques de contentieux et de fraude. » Il est vrai que la fraude ne vous empêche pas de dormir !

La Cour poursuit ainsi : « D’une manière plus générale, ce système est rendu complexe par l’assignation à un même instrument de politique publique, d’objectifs multiples et conflictuels. [...] Une plus grande simplicité des flux financiers ne pourra donc être atteinte que si l’État met en œuvre ses politiques publiques en ayant davantage recours à ses propres outils qu’à des instruments relevant de la sécurité sociale. »

Voilà les recommandations de la Cour auxquelles vous êtes sourds depuis des années, situation qui nécessite évidemment un retour en commission pour donner suite aux propositions des magistrats financiers que vous ne voulez pas entendre !

Comme nous y invite la Cour des comptes, sous la houlette de notre ancien président, ce projet est aussi l’occasion de revenir sur le bilan du premier texte de la législature consacré au travail : la loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat de l’été 2007. On a vu que le fameux choc de confiance annoncé a été un flop retentissant. Jean Rostand disait : « La persistance d’une opinion ne prouve rien en sa faveur. Il y a encore des astrologues. » Monsieur Bertrand, vous êtes le chef des astrologues gouvernementaux et je vous vois bien tous les matins, à l’heure du petit-déjeuner, regardant dans votre boule de cristal pour savoir ce que vous allez dire à l’opinion publique afin de continuer à l’endormir !

C’est cela ! Je ne me serais pas, quant à moi, permis de le dire ! Mais j’entends mes collègues de travail ! (Sourires.)

Je voudrais m’acheminer vers la conclusion de mon propos, monsieur le président. (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Le Gouvernement proclame que l’incitation aux heures supplémentaires est un grand succès. Mais comment se fait-il qu’alors que la quantité globale de travail fournie est censée augmenter grâce aux heures supplémentaires, le produit intérieur brut connaisse une chute brutale avec moins 0, 3 % au second trimestre 2008 et la perspective, au mieux, d’une croissance zéro au troisième trimestre ? Que dit votre boule de cristal, monsieur le ministre ? Comment se fait-il que le pouvoir d’achat des travailleurs baisse de 0, 4 %, alors que Mme Lagarde, autre adepte du club des astrologues, prétend avoir injecté 7 milliards de pouvoir d’achat supplémentaire pour la seule année 2008 ? Comment se fait-il que le Gouvernement éprouve le besoin de nous présenter un nouveau texte sur les revenus du travail, toutes affaires cessantes, en session extraordinaire ? Ne serait-ce pas le signe de l’inefficacité de la politique de l’offre dont on nous rebat les oreilles depuis plus d’un an, de l’absurdité des cadeaux fiscaux aux plus riches et des recettes économiques libérales en général, en même temps que de la volonté d’aller très vite pour engranger tout ce qui déstabilise le système du salariat et de la protection sociale, au bénéfice de l’individualisation de la relation employeur-salarié, de l’infériorisation du salarié de plus en plus aliéné à son employeur ? Oui, monsieur Bertrand, la lutte des classes existe ! Si vous l’aviez oubliée, vous êtes en train de la ressusciter !

Il faut faire maintenant ce constat, changer d’orientation politique et refondre totalement le texte qui nous est présenté. C’est pourquoi nous vous proposons d’adopter cette motion de renvoi en commission.

Nicolas Maury
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