PROPOSITION DE LOI : tendant à lutter contre les délocalisations, à favoriser les relocalisations et l’emploi
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La crise financière et économique que connaît aujourd’hui le capitalisme à l’échelle de la planète nous livre le véritable visage de ce système et nous en montre les limites.
Depuis vingt cinq ans nous ont été vantés l’exigence et les mérites d’un libre échange généralisé, d’un marché mondial et d’une « concurrence libre et non faussée ».
Il s’agissait alors d’affranchir les activités économiques et les échanges commerciaux des frontières, des contraintes sociales et politiques.
La dérégulation devenait le maître mot. Le marché pourvoirait à tout.
Il en a résulté une dévalorisation du travail humain.
Dans tous les pays industriels, la chasse a été ouverte aux politiques de redistribution sociale présentées comme des archaïsmes, des obstacles à l’essor du marché et à la compétitivité, alors qu’il ne s’agissait que d’accorder aux salariés, qui produisent les richesses, la part que leur revient.
Ainsi notre système de protection sociale, le code du travail, les droits acquis par les travailleurs seraient devenus des carcans.
L’avenir serait dans la flexibilité, la précarité, la mobilité.
Il s’en est suivi un développement du dumping social et une multiplication des délocalisations d’entreprises vers des pays à faible coût de main d’œuvre.
Dans ces derniers, si ces expatriations industrielles ont pu créer des emplois, c’est au prix d’une exploitation forcenée du travail. En outre, ils sont eux-mêmes menacés à leur tour de moins disant social et fiscal et de délocalisations vers des zones à des coûts encore plus bas de main d’œuvre.
Aujourd’hui un pays comme la France compte 7 millions de précaires ou de sans emploi. Les couches moyennes s’appauvrissent et leur inquiétude pour l’avenir ne cesse de croître.
Le pouvoir d’achat diminuant, il en résulte un affaiblissement de la demande et de la consommation et donc une menace croissante sur les débouchés de nos productions, sur l’activité productive et sur les emplois qui l’accompagnent.
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, pour pallier cette diminution des revenus issus du travail, les banques ont poussé les Américains à recourir au crédit et à s’endetter.
Le dispositif a été poussé à un tel paroxysme que les établissements financiers ont prêté de l’argent à des ménages insolvables. Ainsi sont nés la crise les subprimes et le cancer financier qui en a été la conséquence à mesure qu’il s’agissait de tenter de régler et de rentabiliser sur les marchés boursiers ces fonds parasites.
Le système bancaire international en est affecté. De manière plus générale encore, la financiarisation du capitalisme s’est généralisée, les capitaux s’enflant hors de la sphère de la production des richesses.
Cette fuite en avant a atteint ses limites.
Elle constitue une entrave au développement de la société, à la marche de la civilisation humaine.
Comment accepter qu’au siècle des hautes technologies et de la communication les populations s’appauvrissent en plus grand nombre encore pour satisfaire les intérêts d’une toute petite minorité de privilégiés ? Cette logique est mortifère.
Il n’est plus temps de gloser sur la moralisation du capitalisme.
Il faut des mesures concrètes et urgentes qui permettront à l’intérêt général de prévaloir à nouveau, à la décision politique de reprendre ses droits sur l’égoïsme de la toute puissance des forces de l’argent, à la société d’offrir à chacun un emploi, des revenus décents et des droits nouveaux.
La crise économique et financière renforce aujourd’hui tous les travers du système. Les plans sociaux se multiplient, le chômage technique et les congés forcés deviennent la norme, les délocalisations s’accélèrent.
En conséquence la proposition que nous soumettons s’articule en trois chapitres. Le premier vise à proscrire les licenciements collectifs dits « économiques » alors que l’entreprise est prospère ou délocalise sa production (article 1). Cette interdiction des licenciements « boursiers » est complétée par un dispositif dissuasif mettant en œuvre le principe de responsabilité et imposant à l’entreprise fautive (licenciement abusif) de supporter l’intégralité du préjudice qu’elle cause aux salariés et à la collectivité. L’importance du coût de cette réparation modifierait de façon préventive l’équilibre du bilan coût/avantage lors des arbitrages préalables aux licenciements. Peut-être les entreprises seraient-elles alors moins enclines à considérer le travail des salariés comme la variable d’ajustement et comme une contrainte négligeable lors des prises de décisions. Nous arriverions ainsi à la pleine effectivité de ces normes protectrices, car tout comportement non conforme serait sanctionné lourdement et de façon certaine (article 2).
Ce texte prolonge le combat parlementaire engagé déjà en 1999 avec la proposition de loi (n°2061) relative au licenciement économique et visant à créer une restitution sociale pour les actionnaires des entreprises prospères qui licencient.
Mais les délocalisations peuvent s’accompagner aussi souvent d’effet « boule de neige » dans le cadre de la sous-traitance et des filiales, sans que l’entreprise engageant la délocalisation soit tenue responsable des conséquences sur l’emploi dans les autres entreprises liées à son activité. C’est pourquoi, d’une façon générale, il faut responsabiliser les entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis des filiales et sous-traitants et que l’entreprise soit responsable socialement du devenir des salariés victimes de suppression d’emploi en raison de l’arrêt de l’activité de l’entreprise donneuse d’ordre.
Naturellement, la lutte contre les délocalisations doit s’accompagner du rétablissement du contrôle des fonds publics (article 3) ; dispositif que nous avions fait adopter sous l’ancienne législature et que l’actuelle majorité a supprimé dès son arrivée.
Le second chapitre propose précisément des moyens visant à empêcher les pratiques dites de dumping fiscal et social qui sont à l’origine de la majorité des délocalisations et des licenciements.
Nous proposons d’instaurer un droit d’accès aux marchés français et européen calculé en fonction des écarts de salaires et de protection sociale entre les pays importateurs et exportateurs (article 4).
Ce prélèvement différentiel d’importation sera établi sur chaque produit en déterminant la part du facteur travail dans l’élaboration du prix de revient ; un taux correspondant au différentiel de coût du travail et de protection sociale sera appliqué.
Ce taux est donc fixé par pays et par secteur d’activité. Il sera évidemment évolutif puisque, au fur et à mesure de l’amélioration des conditions d’emploi (salaire et protection sociale), son niveau s’en trouvera d’autant diminué. Plus les entreprises d’un pays paient et protègent leurs salariés, moins leurs exportations supportent de prélèvements. Ainsi entre deux pays où le coût du travail et la protection sociale sont analogues, le taux du prélèvement sera nul. Les États et les entreprises n’auront donc plus intérêt à pratiquer le dumping social et seront au contraire incités à augmenter les salaires et le niveau de protection sociale pour voir régresser les taux de prélèvements.
L’évaluation du différentiel entre pays devra être établie sur des critères objectifs qui pourraient s’inspirer des indicateurs de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les références permettront de mieux cerner les différences réelles de coût du travail et présenteront un caractère objectif écartant ainsi les éventuelles contestations.
Ce mécanisme préservera nos emplois mais incitera aussi à l’amélioration des conditions de travail des salariés des pays émergents. L’application de ce prélèvement diminuera l’intérêt de délocaliser la production pour ensuite vendre les produits sur le territoire européen. En revanche les investissements français à l’étranger visant à satisfaire les marchés locaux et régionaux ne seront nullement affectés. Le prélèvement s’appliquant aux seuls bien importés, il ne pénalise pas les investissements en vue de satisfaire les nouveaux besoins des marchés émergents.
En préservant ainsi la production sur notre territoire européen et français, nos emplois et les conditions de notre croissance sont pérennisés et nous assurons l’enclenchement d’un cercle vertueux.
L’effet principal attendu par l’application de cette mesure est certes de rééquilibrer les conditions de la concurrence et de préserver nos emplois mais ce prélèvement assurera aussi de nouvelles recettes (article 5). Les fonds ainsi récoltés seront répartis en deux grandes masses. La majorité des ressources dégagées sera affectée en France aux mécanismes de mutualisation des risques (santé, vieillesse, accident…), c’est-à-dire à la sécurité sociale, car c’est précisément elle qui subit l’effet dévastateur des délocalisations par la résorption de l’assiette salariale sur laquelle est assise l’ensemble de ses ressources. Il est donc légitime que soient compensées les pertes induites par les délocalisations et le dumping social.
Une autre part sera affectée directement à l’aide au développement des pays à faible coût du travail afin d’accélérer le processus d’augmentation de niveau de vie et de protection sociale des salariés. Les sommes consacrées devront répondre à des conditions strictes d’emploi et être utilisées pour des programmes sociaux ou éducatifs, ainsi que pour favoriser l’investissement socialement responsable.
Dans un souci d’efficacité et de cohérence il est souhaitable que ce dispositif présente un caractère mondial. La France et son législateur peuvent dès à présent prendre l’initiative d’instituer un tel prélèvement et proposer que soit ouverte la négociation sur l’extension de cette mesure à l’Union européenne et aux institutions intergouvernementales et internationales (ONU, OIT, OMC) (article 6).
Nous rappelons que les articles de ce chapitre II s’inscrivent dans la lignée d’une proposition de loi déposée en 2005 (n° 2630) tendant à enrayer les délocalisations par le rééquilibrage des conditions de la concurrence.
Le troisième chapitre est consacré à la mise en place d’un dispositif incitatif aux relocalisations.
Les mesures mises en place dans les deux précédents chapitres sont destinées à les favoriser.
Sur ces bases, des négociations s’engageront avec les groupes qui ont procédé à des délocalisations afin d’examiner les conditions de leur retour. Des fonds publics ne pourront être disponibles pour y aider que sur la base d’engagements contractualisés en matière d’activité, d’emplois, de salaires et de formations.
Les dits engagements devront être précis et concrets, objets d’un suivi rigoureux, à l’inverse des plans de sauvetage des banques, de certains secteurs industriels, dont l’automobile, définis par le gouvernement sans contreparties exigées et vérifiables.
Le gouvernement devra rendre au Parlement, dans les six mois, un rapport faisant état des négociations conduites et des engagements pris.