Pour les mois de juillet et août 2007 et pour ce qui concerne les seuls journaux télévisés, le phénomène est encore plus marquant : les trois chaînes privées contribuent à hauteur de seulement 19,2% au temps de parole politique (3 heures 20 minutes) contre 80,8% pour les deux chaînes publiques (14 heures 3 minutes). Le marché, surtout quand il est estival, s'accommode mal de la vie politique. Y compris lorsque, avec la session extraordinaire du Parlement et la multiplication des annonces gouvernementales et présidentielles, cette vie politique est particulièrement chargée.
Mais à qui les médias dominants ont-ils donné la parole dans leurs journaux cet été ?
- Quel temps de parole au Président Sarkozy ?
En cet été 2007, dans les « journaux et bulletins d'information » des trois premières chaînes (les plus regardées), le Président Nicolas Sarkozy s¹est vu attribuer 13,0% du temps de parole politique. Et, si l'on considère l'ensemble des huit chaînes, son temps de parole a même atteint 21,2% du temps de parole politique total. Sur les mois de juillet et août 2007, les téléspectateurs ont donc eu droit, en tout, à 31 heures et 46 minutes de parole présidentielle (...et très certainement beaucoup plus en images et en commentaires journalistiques). Si l'on y ajoute les 1 heure et 14 minutes de ses collaborateurs (Henri Guaino, David Martinon...), les médias télévisuels ont octroyé au discours élyséen 22,0% du temps politique total.
Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, beaucoup de commentateurs dénoncent ce qu'ils considèrent comme une omniprésence du président de la République dans les médias. Le CSA est le seul organisme qui pourrait mettre fin aux spéculations sur le sujet. Il lui suffirait pour cela de publier l'évolution du temps de parole présidentielle dans les journaux télévisés depuis qu'il la mesure (c'est-à-dire depuis sa création en 1989). Or, bien que disposant de ces chiffres, il ne le fait pas. Ce serait sans doute être très mal intentionné que d'attribuer ce manque d'empressement au fait que les neuf membres de cet organisme « indépendant » ont tous été nommés par des hommes politiques de droite. D'ailleurs, le CSA n'a-t-il pas promis les chiffres de Sarkozy pour les « autres émissions » (autres que les JT) « / dans le courant du mois de novembre »
A défaut de pouvoir comparer ce qui est comparable, contentons-nous de citer les chiffres qui sont à notre disposition. Car, si le CSA garde jalousement les données les plus essentielles (celles qui, concernant les journaux télévisés, permettraient de réaliser des comparaisons quantitatives entre Présidents), il a néanmoins publié les temps de parole du chef de l'Etat « toutes émissions confondues » entre 1989 et 2005. Ceux-ci révèlent que, sur la totalité des périodes hors actualité électorale et sur les trois premières chaînes, les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac arrivaient en moyenne à 7,0% du temps de parole politique total.
Mais, que l'« hyperprésident » soit « hypermédiatisé » ou non, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel n'est toujours pas décidé à changer les règles d'attribution des temps de parole. La principale d'entre elle est la « règle des trois tiers ». Elle impose aux télévisions de réserver « /un tiers de temps de parole pour le gouvernement, un tiers pour la majorité parlementaire, un tiers pour l'opposition parlementaire ».
Pour ce qui concerne les interventions du président de la République, exclues de cette règle des trois tiers, le CSA a récemment rappelé, dans une lettre au Parti Socialiste, ce qu'il en était : « /je vous rappelle que l'usage du Conseil, de longue date, est de procéder régulièrement au relevé des interventions du président de la République, quels que soient leur contenu et les circonstances dans lesquelles elles ont lieu. Ce relevé est fait à titre d'information et, conformément à la décision du Conseil d'Etat, il n'est pas intégré dans l'appréciation par le Conseil des équilibres de temps de parole. »
Majorité/oppositions : quelle répartition du temps de parole ?
Présidence de la République, gouvernement et simples membres de l'UMP totalisent, en juillet et août 2007, *69,1% du temps de parole* ! Et même 69,9% si on y ajoute le temps de parole du Nouveau Centre, formation politique faisant partie de la « majorité présidentielle ».
Ce score exceptionnel du pouvoir en place au détriment de l'opposition est essentiellement le fait des trois chaînes (privées) d'information continue, les chaînes hertziennes se montrant un peu plus « mesurées » : les seules TF1, France 2 et France 3 atteignent le chiffre est de 59,5% (à peu près identique à celui de 2005 : 59,3%). Pour mémoire, sur l'ensemble des périodes hors actualité électorale entre 1989 et 2005, le triptyque Président-gouvernement-majorité parlementaire totalisait 61,6% du temps de parole sur les trois premières chaînes, ce qui pouvait déjà être considéré comme largement excessif.
La place réservée aux oppositions s'en trouve automatiquement très réduite. Sans compter que, pour les médias, l'opposition, c'est le Parti Socialiste (25,0%). Les autres comptent pour des prunes :
UDF-MoDem (1,6%),
Verts (1,3%),
LCR (0,6%),
PCF (0,6%),
divers droite (0,5%),
divers (0,2%),
FN (0,14%),
PRG (0,13%),
divers gauche (0,07%),
MPF (0,04%),
CAP 21 (0,003%)
RPF (0,002%).
Les médias télévisuels sont très loin de refléter la diversité des courants politiques qui traversent la société française (figure 3). Alors que l'UMP (à travers la figure de Nicolas Sarkozy) avait obtenu 31,2% des voix au premier tour de l'élection présidentielle de 2007, le clan présidentiel bénéficie d'un traitement de faveur plus qu'exceptionnel avec ce 69,1% du temps de parole... Quant à l'ensemble des partis de la « gauche de gauche » qui totalisaient 10,6% des suffrages, il leur faut se partager des miettes : 2,5%.
La plupart des responsables de rédaction et des journalistes politiques, pour justifier leur suivisme, expliquent que l'opposition est inaudible, que la stratégie du Président Sarkozy « suffoque ses adversaires ». Au regard de ces chiffres, il y a lieu d'en douter. N'est-ce pas plutôt les médias dominants qui, enthousiasmés par les contre-réformes sarkoziennes, ne se donnent même plus la peine de tendre leurs micros aux oppositions ?