E.Macron : Le libéralisme et la finance toujours au pouvoir (2017-)
Mardi 11 Décembre 2018
Sortant d’un long silence, le chef de l’État s’est adressé au pays pour tenter d’éteindre la colère sociale révélée par le mouvement des gilets jaunes. En réussissant le tour de force de ne mettre à contribution ni les riches, ni le patronat
C’était le discours de la Saint-Sylvestre avant l’heure. Emmanuel Macron, dans son allocution à la nation hier soir, pour reprendre la main dans la crise des gilets jaunes, a voulu se re-présidentialiser, lui qui est si malmené, subissant la litanie des « Macron démission » dans les cortèges et barrages qui émaillent le pays depuis bientôt un mois. Il s’est d’abord appesanti sur les violences dans le pays, qu’il veut distinguer de la colère profonde du pays. « Quand la violence se déchaîne, la liberté cesse », assène l’ex-étudiant en philosophie. Cette colère profonde, il la ressent « comme juste à bien des égards ». Il dit avoir pris conscience qu’il lui est « arrivé de blesser » certains par ses propos. Un mea culpa qui arrive après quatre samedis de mobilisation tonitruante. Encore qu’Emmanuel Macron n’assume-t-il pas tout à fait son action, en exprimant que leur détresse, à ces Français, « ne date pas d’hier ». En clair, c’est la faute de ses prédécesseurs.
Pas à la hauteur des attentes Un « tournant social » du quinquennat ? Pas en mettant le patronat à contribution, en tout cas. Car les mesures annoncées écartent soigneusement toute contribution directe des entreprises. « C’est d’abord l’état d’urgence économique et social que je veux décréter aujourd’hui. » En annonçant que le salaire des travailleurs au Smic augmenterait de « 100 euros par mois dès 2019 », il est loin de se montrer à la hauteur des attentes formulées sur les ronds-points. Emmanuel Macron ne compte en effet pas donner de coup de pouce au Smic comme espéré, mais augmenter la prime d’activité, une aide sociale qui n’alourdira pas la facture pour les employeurs. C’est un premier cadeau aux riches, sur le compte de la communauté nationale. Une annonce doublée par la possibilité pour les entreprises de faire effectuer des « heures supplémentaires sans impôts ni charges dès 2019 ». Quant à la « prime de Noël » à laquelle postulent tant de gilets jaunes – et les Français qui les soutiennent –, le chef de l’État et ses amis du CAC 40 s’en tirent à très bon compte : Emmanuel Macron demande « à tous les employeurs qui le peuvent » de donner à leurs salariés « une prime de 1 000 euros sans charges ». Trois mesures, une seule recette : faire appel à la collectivité tout en épargnant le capital. Emmanuel Macron, qui a sermonné les ministres qui voulaient revenir sur la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), s’est montré hier soir intraitable sur cette question. Ce cadeau livré sans contrepartie aux riches, quand d’autres sont soumis à des efforts très difficiles, n’a pas été remis en cause. « Je sais que certains voudraient que je revienne sur la réforme de l’ISF », déclare-t-il. Mais il s’y refuse, en s’interrogeant faussement : « Pendant près de quarante ans, il a existé. Vivions-nous mieux ? » « Les plus riches partaient et notre pays s’affaiblissait », se répond-il à lui-même, malgré les études prouvant l’inverse. « Revenir en arrière nous affaiblirait », insiste-t-il. « Cet impôt a été supprimé pour ceux qui investissent dans notre économie et donc aident à créer des emplois », argumente-t-il. Sauf que c’est faux. Il a été supprimé sans que rien n’oblige ses amis riches à investir dans l’économie… Le président de la République, acculé comme jamais, a consenti quelques gestes. En 2019, la hausse de la CSG subie en 2018 sur les retraités touchant moins de 2 000 euros de pension mensuelle sera annulée. Cette mesure qui frappe des retraités très modestes, et que le président de la République n’avait pas hésité à vanter sur le terrain lors de dialogues avec des retraités filmés par les caméras, a largement participé à son impopularité. « L’effort qui leur a été demandé était trop important, et il n’était pas juste », mesure aujourd’hui le chef de l’État, qui souhaite réformer profondément notre système de retraite en 2019. Les maires appelés à la rescousse Le discours brille par de grands absents : pas de hausse des APL comme demandé par le secteur HLM, pas de remise en cause du coûteux Cice, que les entreprises toucheront deux fois cette année en raison du mécanisme retenu pour le pérenniser. Il n’a pas échappé au président de la République que les institutions sont aussi contestées. « Ma légitimité, je ne la tire que de vous », a-t-il affirmé. C’est oublier bien vite que son élection n’est que le résultat d’une Ve République qui pourrit sur pied. Alors Emmanuel Macron a dit vouloir faire un geste, avec la « prise en compte du vote blanc ». Il souhaite aussi pouvoir « prendre le pouls vivant de notre pays, partout sur le terrain ». Les maires, qu’il a si souvent humiliés, sont rappelé à la rescousse, car ils « portent la République sur le terrain ». À voir. Celui qui voulait concentrer encore plus de pouvoirs à l’Élysée en étouffant l’Assemblée nationale avec son projet de réforme institutionnelle dit maintenant vouloir travailler à un « nouveau contrat avec la nation ». D’un coup, sans transition, en fin de discours, Macron s’est mis à agiter les mêmes peurs que l’extrême droite. « Il faudra que nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter. » Affronter quoi ? La question ou l’immigration ? Mystère. Surtout après avoir déjà fait voter la loi immigration la plus répressive de l’histoire de la Ve République cette année. Le chef de l’État se sent si requinqué à l’issue de cette allocution que la campagne pour les européennes reprend ses droits : alors que le thème ne figure pas en tête de liste des revendications des gilets jaunes, Emmanuel Macron l’introduit. La captation de l’héritage des gilets jaunes a déjà commencé. Grégory Marin, Aurélien Soucheyre et Lionel Venturini L'Humanité |
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