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Luttes sociales et politiques en Outre-Mer (DROM-COM-TOM)

Intervention d'Huguette Bello Députée-Maire communiste de la Réunion et Gélita Hoarau Sénatrice communiste de la Réunion


Loi pour le Développement économique de l’Outre-mer
Voici le texte intégral de l’intervention d’Huguette BELLO relatif à la motion de procédure: « ce texte ne fait pas le poids »

« Une adoption anticipée de cette loi aurait-elle permis d’éviter la crise qui traverse les outre-mer, cette crise que les difficultés mondiales ne font qu’amplifier, mais qu’elles n’ont en aucun cas créée ? Ce n’est pas par goût de l’histoire-fiction que la question mérite d’être posée, mais simplement parce que la réponse qu’on lui donnera apportera un premier éclairage sur son efficacité et sur son emprise sur la réalité.

Par sa durée, par son ampleur, par le soutien massif dont il a bénéficié, le mouvement populaire qui a gagné les outre-mer est exceptionnel. Il l’est aussi parce que, pour la première fois depuis 1946, les quatre départements d’Outre-mer manifestent simultanément leur exaspération et leur malaise. Il l’est aussi parce que ces départements apportent eux-mêmes des solutions à leurs difficultés.

Face à ces nouveautés, voici ce projet de loi. Pour l’essentiel, il propose des recettes devenues classiques à force d’avoir servi. Dispositifs de défiscalisation dont les premières applications remontent à plus de cinquante ans et exemptions de charges sociales sont, une fois de plus, les outils privilégiés d’un projet de loi pour l’Outre-mer. À le lire, c’est comme si rien ne s’était passé. J’imagine les conclusions du futur historien qui confrontera ce texte aux événements des dernières semaines ! Alors, facilitons-lui la tâche, et reconnaissons le nous-mêmes tout de suite : ce texte ne fait pas le poids.

Bien sûr, il y a les prochains États-généraux. Outre qu’ils constituent, en creux, l’aveu de la faiblesse de ce projet de loi, ils nous conduisent à nous interroger sur la durée de vie du texte que nous allons examiner. Va-t-il partager le sort de l’article 159 du projet de loi de finances sur les cotisations sociales voté en décembre dernier ? A savoir : Un : voté. Deux : promulgué. Trois : jamais appliqué.
En fait la genèse de ce projet de loi est riche d’enseignements. Il était axé sur un seul objectif, le développement économique, et conditionné par une idée dominante : faire des économies budgétaires. Avec de telles barrières, il était impossible, même avec la meilleure volonté du monde, de parvenir à un projet ambitieux, à un projet qui réponde aux vraies attentes qui, on l’a vu, sont immenses.

Rarement le périmètre d’un projet pour l’Outre-mer aura été aussi restreint. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler que les premières versions ne comprenaient même pas le secteur du logement. Mais il n’y a toujours rien sur la formation et l’éducation, rien sur l’économie solidaire, rien sur la jeunesse. Rien non plus sur la coopération régionale ni sur l’agriculture. Rien sur la culture. Rien sur la santé. Et - levons toute ambiguïté - ces thèmes ne sont pas non plus traités dans d’autres lois. Au contraire, il faut noter, à cet égard, que l’Outre-mer est, de plus en plus, l’objet d’un traitement particulier et qu’il est exclu du droit commun. C’est toujours le cas, nous y reviendrons, pour le logement. Cela a été le cas, récemment, pour l’hôpital public et, un peu auparavant, pour le revenu de solidarité active.
Il est vrai que la crise des outre-mer a réussi, ici ou là, à se faufiler dans ce texte. Elle a amené le Gouvernement à y inclure des thèmes jusque-là ignorés. Le pouvoir d’achat et la formation des prix en sont les exemples les plus frappants.

Résultat. Nous examinons un texte qui oscille entre deux objectifs : réaliser des économies budgétaires, d’une part, éteindre la crise, d’autre part. Les différents articles peuvent d’ailleurs, de façon à peine caricaturale, être classés dans l’une ou l’autre rubrique. (…)

Je souhaite à présent aborder trois aspects du texte qui posent problème.

I - D’abord l’absence d’étude d’impact. L’élaboration de ce projet de loi a pourtant pris beaucoup de temps. Neuf mois se sont écoulés entre l’adoption du texte en Conseil des Ministres et son examen par le Parlement. Cette carence est d’autant plus à regretter que la nouvelle procédure parlementaire, qui résulte de la révision constitutionnelle et dans laquelle s’inscrit l’examen du texte sur l’Outre-mer, prévoit explicitement que le Gouvernement devra désormais - je cite le compte-rendu du Conseil des Ministres - « transmettre au Parlement, à l’occasion du dépôt d’un projet de loi, des documents rendant compte des travaux dévaluation préalable réalisés et comportant notamment une estimation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des réformes engagées par le projet ».

Cette absence d’estimation peut aboutir à des situations étonnantes, voire cocasses. Dans ce registre, la palme revient à l’article 15, relatif à la Taxe sur la valeur ajoutée dite "non perçue récupérable", la TVA NPR. Notons en passant que cet article s’inscrit dans notre rubrique "économies budgétaires". Avant l’examen par la Commission des Finances qui a même supprimé l’éventualité d’un rapport, il était prévu de modifier d’abord le dispositif, puis, dans un second temps, d’évaluer l’impact des modifications. Personne n’est opposé à la réforme de ce dispositif, mais tout le monde s’accorde sans doute à penser que ces deux étapes doivent respecter une chronologie logique et se succéder dans le bon ordre. Sinon, la réforme marchera sur la tête.

Plus grave car, cette fois, quasiment irrémédiable, le manque d’étude d’impact préalable sur les zones franches d’activité. C’est pourtant là la mesure-phare du projet de loi. Plusieurs points incontournables auraient dû être examinés avec précision afin de lever les incertitudes et de mieux définir les contours de ces zones.

Premier point à éclaircir : le but principal de ces ZFA sera-t-il de sauvegarder les entreprises existantes ou de favoriser la création de nouvelles entités ? La question se pose. Toutes les déclarations ministérielles font mention des 27.000 entreprises existantes qui vont bénéficier de ce dispositif, mais uniquement de celles-là. On juge, par ailleurs, que le coût du dispositif - 224 millions d’euros - est élevé. Faut-il en conclure que le statu quo sera privilégié ?

Le deuxième point qu’on aurait pu, - qu’on aurait dû - examiner concerne l’impact des ZFA sur l’emploi. C’est pourtant là un enjeu majeur pour des régions où les taux de chômage connaissent des sommets. Sur ce point, l’improvisation totale semble régner, y compris pour les secteurs prioritaires. Aucun lien n’est en effet établi entre le développement de ces secteurs à haute valeur ajoutée et les formations qui devront nécessairement y être organisées. Aurait-on, une fois de plus, une conception élargie du marché du travail ultra-marin ? Envisagerait-on de recourir à une main-d’œuvre qualifiée venant de l’extérieur ? La contrepartie des exemptions fiscales en termes de formation professionnelle apparaît bien faible quand on veut développer l’emploi et, a fortiori, l’emploi qualifié. Quant à la suppression de tous les dispositifs de soutien à l’emploi des jeunes diplômés, elle est simplement incompréhensible.

Troisième point non traité : la participation des capitaux étrangers. Les zones franches des départements d’Outre-mer seront-elles ouvertes à des capitaux étrangers, avec par exemple des montages mixtes, ou se limiteront-elles, comme tout semble l’indiquer, à un scénario franco-français ? Si ce n’est pas le cas, il est temps que des moyens d’accompagnement soient définis et qu’une information claire soit mise à la disposition des investisseurs étrangers. N’oublions pas que ces zones ont une durée limitée, qu’elles sont assorties d’une dégressivité assez dissuasive, et qu’elles doivent connaître assez rapidement une perte d’attractivité importante avec la suppression, annoncée par le Président de la République, de la taxe professionnelle.

La création de zones franches n’est pas inédite en France. Les zones de revitalisation rurale, les zones franches urbaines, la zone franche de Corse sont des précédents intéressants. Nous Réunionnais, nous ne pouvons pas ne pas penser aux zones franches industrielles implantées à l’île Maurice, notre voisine, depuis la fin des années soixante-dix. Ces expériences diverses, parfois anciennes, dont les options stratégiques et les résultats ont été fort différents, auraient pu nourrir la réflexion et éclairer les choix des concepteurs des nouvelles zones franches d’outre-mer. De toute évidence, ils n’ont pas jugé utile qu’une véritable réflexion économique précède la mise en place de ce nouveau dispositif. (…)

Pour terminer, deux chiffres. D’une part, chaque année, l’État programme 258 millions d’euros pour financer le logement social. D’autre part, il dépense un milliard deux cent millions d’euros pour l’exonération des cotisations sociales patronales. Le simple rapprochement de ces deux chiffres devrait faire surgir quelques interrogations et, peut-être, inspirer quelques idées neuves. De toute évidence, ce n’est pas le chemin qu’emprunte ce projet de loi.

Toutes ces raisons, notamment ces interrogations quant aux caractéristiques et aux objectifs des zones franches d’activités ainsi que ces incertitudes sur la question du logement, justifient cette motion de procédure.

Je souhaite, mes chers collègues, au nom de nos concitoyens d’Outre-mer qui viennent de s’exprimer avec force, avec courage, avec dignité que nous adoptions, tous ensemble, la motion tendant à opposer la question préalable, en sorte qu’un jour prochain, nous puissions adopter, tous ensemble, une loi à la hauteur de leur parole. »

« Le titre 1er sur le pouvoir d’achat est, nous venons de le dire, particulièrement révélateur. C’est l’enfant de la crise. La vie chère et la formation des prix sont pourtant des questions anciennes et récurrentes dans l’Outre-mer. Mais des questions sur lesquelles les pouvoirs publics ne se sont guère attardés.

Faut-il rappeler que l’Observatoire des prix et des revenus est issu d’une initiative parlementaire des députés de La Réunion, que d’aucuns jugeaient sa création redondante par rapport aux structures existantes, et qu’il a fallu attendre sept années marquées par des pétitions citoyennes et des manifestations populaires pour voir sa mise en place devenir effective à la Réunion en 2007 ? Mais si l’Observatoire des prix est un instrument nécessaire, il va de soi qu’il n’est pas suffisant pour lutter contre la cherté de la vie outre-mer. Il est indispensable d’intervenir bien en amont du processus de formation des prix.

C’est la raison pour laquelle il est devenu urgent de revenir sur des dispositions contenues dans la loi de modernisation pour l’économie de 2008 qui sont totalement inadaptées à nos territoires. Au lieu de lutter contre les monopoles, en effet, elles ne feront que les renforcer. Au tournant des années quatre-vingts, on a parié sur l’implantation des grandes surfaces. Elles devaient à la fois faire baisser les prix et créer des emplois. Les manifestations contre la vie chère et la comparaison des prix montrent qu’à l’évidence ce pari n’a pas été tenu. La grande distribution est devenue le terrain privilégié des monopoles, tandis que quelques puissantes centrales d’achat se partagent les marchés de la France des trois océans. Ce texte se focalise sur la grande distribution, mais il va de soi qu’il faudra aussi se pencher sur toutes les autres situations de monopole. »


« Un autre article de ce projet de loi porte de façon évidente les traces de la crise, je dirai même des crises, la locale et la mondiale. Il s’agit de l’article 16 qui crée le fonds exceptionnel d’investissement. Le montant qui est affecté à ce fonds n’a pas cessé d’être réévalué en fonction des contre-feux imaginés dans l’urgence pour faire face aux difficultés. Il sert de véhicule budgétaire aux mesures du plan de relance des départements d’Outre-mer, mais il a aussi, dès novembre, été mobilisé pour la Guyane en sorte de mettre fin à la grève générale contre le prix élevé du carburant.

Pour 2009, l’article 16 est une sorte d’article-pompier qui fait face aux situations d’urgence et n’est pas forcément utilisé pour la réalisation des équipements structurants. Chacun d’entre vous ayant déjà effectué ce classement, je ne passerai pas en revue les autres articles. »


« Dans un autre registre, il faut noter que ce texte comporte un certain nombre de contradictions internes qui risquent d’en limiter la portée. Il suffit, pour s’en persuader, de rapprocher certains articles.

En comparant l’article 1er et l’article 10, je vois une distorsion entre la fin et les moyens. En effet, si les zones franches ne sont pas uniquement destinées à satisfaire les besoins locaux, il est indispensable de faciliter les exportations.

De même, le développement des secteurs prioritaires, et notamment celui de l’agro-nutrition, nécessite d’importer des matières premières extérieures à nos régions. Dans un cas comme dans l’autre, les aides prévues non seulement sont notoirement insuffisantes, mais encore privilégient les échanges avec l’Europe jusqu’à laisser penser qu’ils sont exclusifs. Difficile pour nos produits, dans ces conditions, de rester compétitifs, d’autant qu’aucune mesure structurelle touchant aux équipements portuaires et aéroportuaires n’est mentionnée.

Des mesures de toutes sortes sont prévues en faveur du tourisme, autre secteur prioritaire des ZFA. Mais ne risquent-elles pas de se heurter aux tarifs aériens ? En découvrant qu’« une grande compagnie aérienne de dimension internationale » (on dirait bien Air France) réalise 14% de ses résultats sur les lignes Outre-mer qui ne représentent pourtant que 1% de son trafic, vous vous êtes étranglé, Monsieur le secrétaire d’État. À quand l’étape suivante ? À quand l’avènement de tarifs moins prohibitifs ? Le développement du tourisme en dépend, surtout si rien n’est fait pour faciliter les séjours des visiteurs non ressortissants de l’Union européenne.

Je veillerai à ce que le sort réservé à l’amendement bagasse ne vienne pas ajouter une contradiction supplémentaire, cette fois doublée d’une véritable injustice.

Quoi qu’il en soit, je souhaite de tout cœur, que les contradictions contenues dans ce texte puissent être levées. Nos collègues sénateurs ont commencé à le faire quand ils ont supprimé le plafonnement spécifique des énergies renouvelables que le texte initial avait prévu, en dépit des intentions affichées pour le développement de ce secteur. »

Contrairement à une démarche de plus en plus utilisée, le gouvernement n’a pas non plus eu recours à l’expérimentation avant la généralisation d’une mesure. Le cas le plus emblématique est celui du logement. Domaine sensible et prioritaire s’il en est, le logement s’apprête à connaître un véritable bouleversement avec la réorientation du dispositif de défiscalisation vers le logement social. L’orientation proposée est issue d’une des missions réalisées au titre des audits de modernisation.
Les auteurs posent d’emblée comme hypothèse que le logement social outre-mer doit constituer "une ressource budgétaire durablement contrainte".Cette mission a eu lieu en avril-mars 2006, au moment même où étaient votées, pour la France continentale, les grandes lois sur le logement social assorties de moyens budgétaires conséquents et sanctuarisés. Programme national de rénovation urbaine en 2003, Plan de cohésion sociale en 2005, Engagement national pour le logement en 2006, Droit opposable au logement en 2007 : cette mobilisation, qui n’a, à aucun moment, eu recours à la défiscalisation, a porté ses fruits. Le nombre de mises en chantier de logements sociaux n’a cessé d’augmenter durant ces années et, au bout du compte, l’objectif initial de construction de 500 000 logements locatifs sociaux sera dépassé.

Malgré nos demandes répétées, ces textes ont toujours laissé de côté le logement social de l’Outre-mer. Les auteurs du rapport précité avaient écrit - je cite : « La séparation institutionnelle et financière qui s’est instaurée entre la métropole et l’outre-mer conduit à un traitement inéquitable des DOM » Et avaient conclu - je cite : « Il conviendrait d’y mettre fin pour restaurer une plus grande égalité de traitement à l’égard des populations ultramarines. » C’est ainsi qu’est apparue la solution de la défiscalisation que ce projet de loi nous propose. Certes, elle comporte (au regard de l’augmentation actuelle des déficits, je devrais dire elle comportait) l’avantage pour le gouvernement de contourner la maîtrise des finances publiques.

Mais c’est au prix de l’inscription du logement social outre-mer dans une logique de privatisation.
C’est pourquoi, une fois de plus, je plaide de toutes mes forces pour que la ligne budgétaire unique continue d’être le financement principal du logement social outre-mer. Comme à tous les acteurs qui interviennent dans ce domaine, il m’est impossible d’admettre que le logement social, qui est au carrefour de tant d’enjeux pour la société comme pour les individus, soit ainsi laissé à ce qu’on appelle par litote la discrétion des intérêts privés. Madame la Ministre, Monsieur le Secrétaire d’État, dans les régions d’Outre-mer aussi, l’État doit rester le garant du droit au logement. Nous ne demandons pas une faveur. Nous exigeons, au nom du peuple, l’égalité de traitement républicaine.

Comment d’ailleurs ne pas se faire du souci pour l’efficacité de ce dispositif alors qu’il apparaît au moment même où la défiscalisation outre-mer est présentée comme le symbole de tous les abus et de toutes les injustices ? Alors qu’il surgit quelques mois à peine après que des mesures de plafonnement des réductions d’impôt ont été votées, mesures qui, sur initiative du Sénat, englobent ce nouveau dispositif ? Qui nous dit que ce qu’on nous propose de voter sous l’intitulé de défiscalisation du logement social ne sera pas désigné à son tour, dans un proche avenir, comme une niche fiscale qu’il faudra dénicher ?

À défaut d’expérimentation, sans doute faudrait-il méditer l’exemple de la Nouvelle-Calédonie. À ce qu’il me semble, Monsieur le Rapporteur de la Commission des Finances, la Nouvelle-Calédonie, faute de LBU, est, à ce jour, la seule collectivité à faire appel à la défiscalisation pour financer la construction des logements sociaux. Résultat, sous l’effet conjugué de la crise internationale et du plafonnement des niches fiscales, de nombreux programmes se retrouvent en panne. Plus moyen de compter sur trois ou quatre investisseurs fortunés pour réunir les financements nécessaires aux opérations qu’il faut lancer. (…)

Loi pour le Développement économique de l’Outre-mer
Gélita Hoarau est intervenue dans le débat parlementaire sur le projet de loi pour le Développement économique de l’Outre-mer. Elle a mis le doigt sur les manques du projet, eu égard à l’urgence sociale, d’une part, et à la crise structurelle, d’autre part. À cela s’ajoutent des potentiels importants pour chaque territoire qui pourraient être mis en valeur si les propositions des peuples concernés sont écoutées. La sénatrice annonce qu’elle déposera plusieurs amendements pour améliorer le texte. Voici les différents points abordés par son intervention.

Au cours des vingt dernières années, chaque nouvelle législature a vu l’adoption rapide d’un texte de loi sur l’Outre-mer. Malgré une préparation, débutée en 2006 avec la publication de plusieurs rapports d’audit ou des discussions menées par les préfectures, votre projet de loi n’arrive que maintenant en discussion et sous la pression des évènements que l’on sait.

Avant cela, plusieurs annonces ont été faites, ce qui fait que l’on a du mal à s’y retrouver.
A la fin janvier, à La Réunion, vous laissiez entendre qu’une centaine de projets seraient retenus au titre du Plan de relance pour 250 millions d’euros de dépenses. Actuellement, seule une douzaine sera financée pour 25 millions. En novembre, on promotionnait une stratégie de croissance pour l’Outre-mer — la STRACOM — déclinée en 20 actions et une centaine de mesures. Début février, le Président de la République change de cap et propose des États généraux dans les DOM.

Le grand oubli de la LODEOM

Et le volet social ?

Pour en revenir au présent projet de loi et au regard des évènements actuels, il apparaît limité. Il lui manque notamment une dimension essentielle, l’aspect social, en un mot tout ce qui touche à l’humain.

De plus, les engagements pris à l’égard de l’Outre-mer par le candidat Nicolas Sarkozy n’ont pas non été plus concrétisés.

Le 12 juillet 2006, celui-ci préconisait des moyens pour développer le dialogue social. Il invitait à faire plus d’efforts pour l’éducation, pour améliorer l’offre de soins ou encore pour développer la coopération régionale. Ces thèmes ne sont pas évoqués.
Dans son avis, le Conseil régional de La Réunion invitait le Gouvernement à lier les avantages obtenus par les entreprises des exonérations fiscales ou de charges patronales à des augmentations de salaires ou à une baisse des prix. Il vous proposait d’introduire dans votre texte un chapitre consacré au développement humain. Cet avis n’a pas été suivi.
Depuis le second semestre 2006, je l’ai dit, les préfets ont consulté officieusement sur le projet de loi. Ensuite il y a eu la consultation officielle. Les organisations syndicales de salariés n’ont pratiquement pas été entendues.

Dans ces conditions, on peut comprendre l’ampleur des mouvements sociaux que nos pays connaissent.

La crise qui frappe nos départements ne résulte pas seulement du dérèglement financier qui secoue actuellement la planète entière. Elle ressort aussi de plusieurs décisions prises sur le plan national, depuis des années.

En présentant, à la veille de la manifestation du 5 mars dernier, un catalogue de 62 points concernant l’emploi, les salaires, les prix, le pouvoir d’achat ou encore le logement, le Collectif des Organisations Syndicales, Politiques et Associatives de La Réunion (le COSPAR) a rappelé que « la notion d’urgence sociale est arrivée à son paroxysme ».

Il ne trouvera guère de réponses satisfaisantes dans ce projet de loi. Il est à espérer que les États généraux qui seront organisés au mois de mai puissent répondre à toutes les attentes.

Un contexte en plein changement

APE, planteurs, octroi de mer et fonds structurels européens

Il conviendra cependant de prendre en compte tous les défis qui nous sont posés d’ici à 2019, échéance du présent projet de loi, et d’appréhender au mieux les atouts et les perspectives que nous pouvons offrir.

En ce qui concerne les défis, la signature, dans notre zone, des Accords de Partenariat Economique (APE) est prévue pour le début 2010. Ces accords modifieront profondément les termes de l’insertion de La Réunion dans son environnement géo-économique.

L’Afrique du Sud a décidé de se réinvestir dans ces Accords de Partenariat Economique. Nous ne pouvons pas négliger le rôle que cette puissance régionale est appelée à jouer dans notre environnement.

Nous avons subi, en 2008, les effets de la crise frappant les matières premières (intrants, carburants) avec une augmentation de leurs coûts. Nous nous interrogeons sur ce qui pourrait se passer dans les mois et années à venir.

De même, nous n’avons guère de lisibilité sur l’évolution de la crise alimentaire mondiale dont les effets les plus durs ont été ressentis l’année dernière.

En 2014, interviendra l’échéance du règlement sucrier européen. Au moment où s’engage parallèlement la réforme du budget de l’Union européenne et de la Politique agricole commune, quel va être le niveau de compensation pour le prix du sucre des Départements d’Outre-mer ? Comment bâtir une stratégie de développement de l’agro-nutrition sans visibilité et garantie à moyen et long terme sur la filière sucre, pivot de l’agriculture réunionnaise ?

2014 verra aussi l’expiration du régime actuel de l’octroi de mer, ce système fiscal spécifique aux DOM. Bruxelles acceptera-t-il la reconduction d’un dispositif dérogatoire et à quelles conditions ?
Une telle réforme s’ajoutera à l’exonération des taxes foncières proposées dans ce projet de loi ainsi qu’à la suppression de la Taxe Professionnelle envisagée sur le plan national avec des modalités de compensation qui sont encore imprécises.

Cette situation ne manquera pas de fragiliser les budgets des collectivités locales, lesquelles doivent aussi répondre aux nouvelles contraintes que leur fixe la loi de Finances 2009.

2014 correspond également à la fin des documents contractuels de programmation financière pluri-annuelle (contrat de projet avec l’Etat, programmes opérationnels avec l’Europe). L’hypothèse d’une évolution à la baisse du montant des aides de l’Union européenne doit être prise en compte. D’une manière plus générale, c’est le concept de Régions Ultrapériphériques qui sera discutée avec sans doute une remise à plat de la conception des relations qu’elles entretiennent avec l’UE.

Tous ces éléments pèseront sur l’économie et l’environnement des entreprises. S’ils ne sont pas maîtrisés, ils risquent de neutraliser tous les effets positifs de la Zone franche globale d’activités.

D’autres facteurs globaux continueront à produire silencieusement, mais irréversiblement leurs effets :
La Réunion poursuivra sa progression démographique. Des projections réalisées récemment par l’INSEE pour 2030 confirment la perspective du million d’habitants avec un accroissement des besoins dans tous les domaines (création d’emplois, logements, équipements, etc...)
Notre département, situé dans la ligne des cyclones, ne sera pas à l’abri du phénomène d’accélération du changement climatique et de ses effets. Il faut anticiper, notamment dans la politique de prévention des risques et d’aménagement du territoire.

Enfin, les négociations pour la mise en œuvre de l’OMC ne sont pas achevées. Mais les flux des échanges des hommes, des marchandises, des capitaux et des informations sont déjà en train de changer. La Réunion, qui se trouve à quelques heures de vol de 65% de la population du monde, peut se retrouver vite isolée si nous ne faisons rien.

L’intervention de tous ces facteurs aura pour conséquence de réduire encore la portée et sinon l’efficacité de la loi si on ne les prend pas tous en compte.

Face aux défis à relever

Des atouts réunionnais

Cependant, nous avons des atouts à faire valoir.
Nos populations sont relativement jeunes et bien formées. Ce sont des leviers que nous pouvons utiliser à la fois pour le développement de nos pays mais aussi pour favoriser leur intégration dans leur zone géographique.

Nous disposons de capacités de recherche non négligeables. Nous les avons sollicitées pour arriver à un objectif fixé par le Conseil régional : l’autonomie énergétique de l’île en 2025.
La combinaison de ces moyens et de cette volonté politique fait de La Réunion une pionnière dans le domaine des énergies renouvelables dont les acquis peuvent profiter à d’autres.
Notre longue expérience d’île sucrière nous a permis de nombreuses innovations tant agricoles qu’industrielles que nous exportons partout dans le monde.

Créer rapidement des dizaines de milliers d’emplois

Deux grands services d’intérêt public

Nous offrons une biodiversité unique.
La sauvegarde et la mise en valeur de ce patrimoine peuvent se réaliser, chez nous, par le Parc National de La Réunion, qui recouvre 42% du territoire, et dans la Réserve Naturelle marine. Il en est de même pour la collecte, le tri systématique et la valorisation des déchets. C’est là, je l’ai déjà dit, que nous pouvons trouver des milliers d’emplois à offrir en mettant en place un véritable service d’intérêt public de l’environnement.

Nos sociétés qui sont à peine sorties de la période coloniale connaissent une mutation avec d’importantes conséquences sociales.

Ainsi, de plus en plus de personnes des générations passées ont besoin du soutien de la société. A La Réunion, les offres d’accueil et d’encadrement pour les personnes âgées, les personnes handicapées et pour la petite enfance sont dramatiquement insuffisantes. Il est indispensable de donner à cette population fragile les moyens nécessaires pour vivre décemment si on veut assurer une cohésion sociale. Dans ce secteur aussi, les besoins en emplois se chiffrent par milliers. Et seule la création d’un grand service permettrait de satisfaire les demandes et de ne laisser personne sur le bord du chemin.

La perspective d’avenir

Un plan de développement durable

La Réunion a déjà élaboré son Plan Régional de Développement durable, créateur de richesses et d’emplois, basé sur les énergies renouvelables, les grands travaux, le développement des technologies de l’information et de l’image, l’utilisation de nouveau mode de déplacement, comme le tram-train, la consolidation de l’identité réunionnaise, avec le projet de la Maison des Civilisations et de l’Unité réunionnaise, et la coopération régionale. Elle est donc prête à participer aux Etats généraux du développement, annoncés par le Président de la République.

Tout ce que l’Outre-mer apporte à la France et à l’Europe

« Nous ne nous sentons pas dans une position d’assistés »

De plus, le siècle qui vient de débuter sera celui de l’espace et de la mer, a tendance à répéter un de nos anciens collègues, Paul Vergès.

Or, l’Outre-mer offre à la France et à l’Europe des entrées formidables dans ces deux domaines.
La base de Kourou, en Guyane, donne une ouverture incomparable sur l’espace. Nos zones économiques exclusives font de la France et de l’Europe de véritables puissances maritimes avec des accès à d’importantes richesses halieutiques et sous-marines.
Notre positionnement géographique met la France et l’Europe à la porte de plusieurs continents. Nous pouvons y être leurs frontières actives.

Quand nous additionnons tout cela, nous ne nous sentons pas dans une position d’assistés, car nous savons que nous apportons des richesses difficilement mesurables.

Aussi, Monsieur le Secrétaire d’Etat, lorsque l’on énumère à l’opinion publique les actions que l’Etat met en œuvre chez nous, lorsque l’on insiste sur les sommes qu’elles représentent, mais lorsque, dans le même temps, on oublie de signaler que ces efforts résultent de la nécessité de l’équité et de la justice sociales et lorsque l’on oublie de rappeler tout ce que nous apportons, on contribue aussi à accréditer l’idée que l’Outre-mer coûte cher au contribuable métropolitain.
Votre texte, Monsieur le Secrétaire d’Etat, s’il veut avoir une certaine efficacité, doit être amendé. C’est ce que je ferai tout au long du débat.

Nicolas Maury
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Nicolas Maury
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