E.Macron : Le libéralisme et la finance toujours au pouvoir (2017-)Après une audience plénière, la Cour de cassation pourrait se prononcer sur la mesure symbolique du quinquennat, le 17 juillet. Retour sur un imbroglio juridique
Le sort d'une des mesures économiques phares d'Emmanuel Macron, le barème encadrant l'octroi d'indemnités aux prud'hommes en cas de licenciement injustifié, va se jouer le 17 juillet à 14 heures. Saisie par deux conseils de prud'hommes, celui de Louviers (Normandie) et celui de Toulouse, la Cour de cassation devrait rendre un avis sur la compatibilité avec plusieurs textes internationaux signés par la France de cette disposition des ordonnances de 2017 qui libéralisent le marché du travail.
Lors d'une audience en formation plénière qui s'est tenue ce lundi 8 juillet au palais de justice de Paris, la première présidente de l'institution, entourée des six présidents de chambre de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire, ont écouté pendant plus de deux heures et demie six avocats, dont quatre représentant des syndicats et deux représentant le camp patronal, ainsi que l'avocate générale et la rapporteuse du dossier. Ils débattaient de la conformité de l'article L.1235-3 du Code du travail avec l'article 24 de la charte sociale européenne ainsi qu'avec l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) et le droit à un procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). « Réparation appropriée » et « indemnité adéquate » La charte sociale européenne et l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) invoqués par les défenseurs des salariés prévoient en effet que les juges doivent être habilités à ordonner le versement d'une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de « réparation considérée ». La question de fond était donc de savoir si l'encadrement des indemnités prévues en cas de licenciement par le barème Macron au travers d'un plancher et d'un plafond indexé sur l'ancienneté du salarié était contraire au principe de « réparation appropriée » ou d'« indemnité adéquate ». Autrement dit, limite-t-il la liberté du juge de compenser correctement le préjudice lié à la perte d'emploi ? Les avocats représentant les organisations syndicales ne se sont pas privés de tenter de convaincre les juges que ce n'est pas le cas, notamment pour les salariés dont l'ancienneté est faible. La mesure des ordonnances prévoit, par exemple, une indemnité supplémentaire, outre l'indemnité légale, de seulement 2 mois de salaire brut maximum pour les salariés ayant un à deux ans d'ancienneté dans l'entreprise. L'avocat de la CGT et des avocats de France a fustigé l'application d'une « théorie économique inacceptable dans un État de droit : celle de la violation efficace de la loi en permettant à l'employeur de connaître à l'avance le prix de la violation du droit ». Avant de se pencher sur le fond, les juges devaient décider s'ils pouvaient trancher cette question au travers d'un « avis », et non via un arrêt classique de la chambre sociale de la Cour de cassation dans une affaire précise, une fois épuisées les autres voies de recours. Selon l'avocate générale, Catherine Courcol-Bouchard, la demande d'avis est recevable, car il y a « une véritable urgence à venir unifier la jurisprudence », plusieurs conseils de prud'hommes appliquant la nouvelle législation en vigueur depuis fin septembre 2017 et d'autres ayant décidé d'écarter le barème dès lors qu'il ne s'agissait pas d'examiner des situations particulières. Le précédent finlandais Le droit au procès équitable prévu par la Convention européenne des droits de l'homme dans son article 6 ne semble pas être remis en cause. Et ce, même si l'avocat mandaté par la CGT et FO a tenté de prouver le contraire en soulignant que le nombre de contentieux prud'homaux pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avait diminué depuis l'instauration du barème, ce qui tendrait à montrer un découragement des salariés injustement licenciés. Le cœur des débats s'est donc concentré sur l'article 24 de la charte sociale européenne et surtout sur l'article 10 de la convention 158 de l'OIT. Sans doute le texte le plus problématique pour la mesure des ordonnances, l'application directe de la charte de la Convention européenne des droits de l'homme a été contestée par l'avocat du Medef et l'avocate générale. Cette dernière a souligné que les États qui l'avaient rédigée n'avaient pas voulu permettre aux individus et groupes intéressés de se prévaloir de la charte devant les juridictions tant nationales qu'internationales. « Les engagements souscrits par les parties contractantes sont uniquement des engagements d'État à État », a-t-elle rappelé en citant un ancien président du Comité européen des droits sociaux, Pierre Laroque. En 2016, le Comité européen des droits sociaux, chargé de vérifier la conformité du droit des États avec les dispositions de la charte, s'est pourtant prononcé contre l'application du barème finlandais qui prévoit des indemnités jusqu'à 24 mois de salaire contre 20 dans le cas français. Et a posé trois conditions pour qu'un barème d'indemnités soit valide, a rappelé François Pinatel, l'avocat de Sanofi, l'entreprise mise en cause devant le conseil prud'homal de Louviers : - que la réparation soit « suffisante », - qu'elle ait un « caractère dissuasif » pour l'employeur, - qu'il existe des voies alternatives de réparation du préjudice non incluses dans le plafonnement. Pour Me Pinatel, la dernière condition est bien remplie par le barème français, qui prévoit des exceptions au plancher et au plafond en cas de licenciement qui encourt « la nullité » en raison de la violation d'une liberté fondamentale, ou de harcèlement moral ou sexuel, contrairement à ce qui était prévu en Finlande. Selon lui, le salarié peut aussi prétendre à une indemnité pour d'autres motifs que la perte d'emploi, notamment pour préjudice moral, ou, par exemple, dans le cas d'une privation d'un dispositif de préretraite ou de stock-option. Par ailleurs, l'indemnité accordée en Finlande est imposable, alors qu'elle ne l'est pas en France où elle s'ajoute à une indemnité légale augmentée dans le cadre des ordonnances. Il faudra attendre l'issue de quatre réclamations collectives déposées par les syndicats français devant le Comité à propos du barème. Ses décisions sont non contraignantes, mais pourront être invoquées par les juges nationaux pour fonder leurs décisions. La question cruciale de l'article 10 de l'OIT Reste l'article 10 de la convention 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont l'application directe en droit français a fait peu de doutes lors des débats. Le barème contrevient-il à ses dispositions ? Là encore, l'avocate générale a répondu non en rappelant que l'OIT réunit 187 pays, de l'Afghanistan au Zimbabwe, « dont le niveau de protection sociale est extrêmement inégal » afin de favoriser « le travail décent ». « Elle cherche à recueillir l'adhésion et, pour ce faire, elle procède souvent par des incitations, par des définitions d'objectifs ou, comme ici, par des propositions, laissant une marge de manœuvre importante aux Etats dans les mesures à prendre. » C'est dans ce contexte qu'il faut entendre, selon elle, le droit à une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de « réparation considérée » en cas de licenciement abusif. Elle a aussi rappelé que, « dans plusieurs pays européens, qui ne sont pas les pays les moins protecteurs des droits des travailleurs, le montant de la compensation pour licenciement injustifié n'est pas, comme le dit l'OIT, librement déterminé par la juridiction, il y a des plafonds notamment dans les législations allemande, belge, danoise, espagnole, finlandaise et suisse ». L'avocate générale a reconnu que l'indemnité prévue pour les salariés de faible ancienneté avait été réduite par le plafond par rapport à ce qui était décidé aux prud'hommes auparavant. « On peut le regretter, on peut même, dans une autre enceinte, politique, le dénoncer. Mais là, ce n'est pas aujourd'hui la question. Le rôle du juge n'est pas de dire si la mesure est bonne ou mauvaise », a-t-elle fait valoir, avant de rappeler que l'indemnité accordée aux prud'hommes était fondée sur des critères objectifs, dont l'ancienneté et la rémunération mensuelle du salarié, et préservait une marge de manœuvre pour le juge tout en se cumulant avec l'indemnité légale (qui a été augmentée) ainsi qu'avec l'indemnisation du chômage, ce qui compte dans l'évaluation du préjudice subi. Elle a aussi souligné que l'employeur est toujours condamné, sauf si le salarié a moins de deux ans d'ancienneté, à rembourser cette indemnisation chômage pendant six mois maximum afin de rendre le licenciement financièrement lourd. Me François Pinatel, lui, a mis en avant la décision d'une commission d'experts de l'OIT, sur la réforme espagnole de 2012 qui instaurait également un barème. Celle-ci a été validée au regard de deux éléments : le fait que le travailleur espagnol ait droit à une indemnité chômage dès la rupture du contrat et parce que le plafonnement est écarté en cas d'atteinte à une liberté fondamentale, comme c'est le cas en France. La Cour de cassation devrait trancher le 17 juillet, à moins qu'elle ne se considère comme pas fondée à rendre un avis. Si elle le fait, cet avis devrait avoir d'autant plus de poids auprès des autres juridictions saisies d'affaires particulières qu'elle se prononcera en formation plénière... Le Point |
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