Histoire du mouvement social et communiste
Lundi 1 Avril 2019
Les succès du communisme dans les zones rurales françaises au cours du XXe siècle s’expliquent par son inscription dans une tradition républicaine ancienne : défense de la petite propriété familiale, bataille pour les droits sociaux et le progrès, combat antifasciste
Le projet politique communiste a durablement marqué certaines campagnes françaises, que l’on pense à la diffusion de La Terre, hebdomadaire du PCF fondé en 1937 par Waldeck Rochet, ou encore aux « campagnes rouges », les bastions du Centre (Allier, Cher, Nièvre) et du sud-ouest du Massif central (Corrèze et Lot-et-Garonne), sans oublier une sociabilité au sein des villages avec les fêtes de La Terre.
En premier lieu, il faut souligner que ce communisme rural se rapproche plus d’une tradition républicaine et radicale que du modèle collectiviste soviétique. Effectivement, le projet politique élaboré dès 1921 (date du programme agraire de Marseille rédigé par le premier député communiste Renaud Jean), révisé en 1964 par Waldeck Rochet, a perduré jusqu’à nos jours : il s’agit de défendre la « petite propriété » ou « l’exploitation familiale ». En ce sens, les luttes contre les saisies des familles exploitantes, qui ne pouvaient plus payer les charges ou les loyers au cours de la crise des années 1930, sont un bel exemple de cette activité communiste aux champs que l’on peut voir dans le film de Jean Renoir La vie est à nous. Sociétés rurales et modernisation agricole Après la Seconde Guerre mondiale et le lancement de la politique de modernisation agricole, on assiste à des changements rapides avec un nouvel exode rural et l’agrandissement des exploitations dans une logique productiviste et capitaliste. Toutefois, ces sociétés rurales ne sont pas toutes à l’heure d’une agriculture modernisée et motorisée. Dans de nombreux villages, de petites montagnes entre autres, du Cantal au Morvan, en passant par le Limousin, des paysans liés à une polyculture transmettent encore une « image passéiste ». Avec leur matériel ancien, souvent acheté d’occasion, ils sont en marge de cette politique productiviste. La transhumance rythme encore le mois de juin dans la plupart des régions montagneuses. Mais, surtout, ce sont les marchés et les foires qui résistent le mieux ; certes, l’horizon est plus restreint face aux grands marchés nationaux, mais localement les ventes de volailles dans des cages en osier ou de production fromagère sont encore la marque de cette « civilisation paysanne ». Pour autant faut-il évoquer l’« archaïsme » ou une « paysannerie fossile » ? Ne faudrait-il pas évoquer des rythmes différenciés, mais aussi des logiques sociales qui ne peuvent pas se fondre dans le mouvement productiviste, faute de capital et de moyens financiers ? D’autant que ces régions de polyculture et d’élevage ne peuvent pas se spécialiser et entrer dans les circuits de l’industrie agroalimentaire. Enfin, en marge du progrès, le revenu moyen des ménages d’exploitants agricoles reste inférieur à celui des autres entrepreneurs individuels, comme les artisans, et les salariés agricoles demeurent les plus défavorisés. Naissance du MODEF C’est entre autres ce qui permet de comprendre la naissance sous l’égide des militants communistes dans le monde rural du Mouvement de défense de coordination d’exploitations agricoles familiales, qui plus tard prend le nom de Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), le 7 avril 1959 – qui traduit bien le souci déjà évoqué de sauvegarder l’outil familial de production. Pour cela, on dénonce les actions de la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER), qui accapare les fermes pour créer de grands domaines. « Le communisme rural s’est fondu dans une culture républicaine émancipatrice digne héritière de la Révolution française, proposant une synthèse originale entre égalité et liberté, entre modernisation et respect des cultures locales.» Ainsi, le communisme rural en France défend avant tout une agriculture familiale, de petite propriété, loin des sovkhozes et des kolkhozes. Une seule fois dans son histoire le PCF a dû faire face à de telles velléités ; c’était lors de la libération de la Corse en 1943. La réponse fut rapide et sans ambiguïté : « Selon l’information que nous avons reçue, un membre de l’assemblée consultative de Corse à Alger, Giovoni organise des kolkhozes expérimentaux en Corse. Vu cette situation, je voudrais vous prier de transmettre le conseil à Billoux, Marty ou Grenier au nom de Thorez, de mettre fin à ces déviations gauchistes qui versent de l’eau au moulin de la réaction et des hitlériens » (télégramme envoyé de Moscou). Au-delà de ces logiques, liées à l’exploitation, le communisme rural s’est aussi caractérisé sur le temps long, par la promotion des droits sociaux pour les ouvriers agricoles, les fermiers et les métayers, avec l’élaboration et la promulgation de leur statut en 1946. Cette volonté sans cesse réaffirmée, fondée sur l’égalité des droits et l’élargissement des droits sociaux, est aussi une des clefs de compréhension de l’implantation. Il ne faut pas négliger non plus que le PCF se veut un agent du progrès à la campagne et du bonheur pour tous dans la suite logique de la Convention. En témoignent ces nombreuses prises de position sur l’électrification, les adductions d’eau, etc. Pour autant comprendre cette originalité du communisme rural repose sur des femmes et des hommes, les militants, mais aussi les élus ruraux qui ont eu un rôle très important, Renaud Jean, Marius Vazeilles, Waldeck Rochet ou André Lajoinie. « Le communisme rural en France défend avant tout une agriculture familiale, de petite propriété, loin des sovkhozes et des kolkhozes. » Mais surtout, il ne s’agit pas seulement de paysans ; nombreux sont les instituteurs, les artisans ou les ouvriers vivant à la campagne, comme les cheminots, qui ont participé à cette activité politique. Cela permet de dépasser la vision de sociétés rurales seulement tournées vers l’agriculture. Autre clef de compréhension de cette implantation durable, c’est le poids de la Seconde Guerre mondiale ; les campagnes ont accueilli de nombreux maquis, FTPF ou FFI, qui ont marqué durablement cette soif de liberté, d’égalité, mais aussi d’antifascisme. Cela a souvent été négligé, certains auteurs affirment qu’en fait, « le rôle du PC à la campagne s’est borné presque uniquement à faire du poujadisme avant et après Poujade, “afin” de rassembler les marginaux, les déshérités pour récupérer le mécontentement » (Marcel Faure, Les Paysans dans la société française). Qu’en est-il vraiment ? S’agit-il uniquement d’une captation par le PCF de « colères de pauvres » et de « dominés » ? Si l’on ne considère le mouvement Poujade que sous l’angle de la protestation des « petits contre les gros », c’est certain qu’il a des points semblables, mais le problème majeur reste l’aspect réducteur de la comparaison qui ne prend pas en compte d’autres héritages. D’autant plus, que les communistes dans les campagnes ont combattu sur le temps long l’extrême droite : dans les années 1930 contre Dorgères et ses chemises vertes (le fascisme rural français), au cours de la Seconde Guerre mondiale l’occupant nazi et les collaborateurs de Vichy, puis les poujadistes au cours des années 1950, sans oublier plus récemment les agissements du Front national ou des groupes identitaires… Ainsi le communisme rural s’est fondu dans une culture républicaine émancipatrice digne héritière de la Révolution française, proposant une synthèse originale entre égalité et liberté, entre modernisation et respect des cultures locales. Jean Vigreux est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. • Cause commune n° 5 - mai/juin 2018 |
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