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Pierre Laurent sénateur PCF de paris


Intervention de Pierre Laurent au Sénat sur la Syrie
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Mes cher(e)s collègues,

Face à la tragédie dans laquelle s'enfonce la Syrie, au martyr subi par son peuple, la France est aujourd'hui devant une alternative cruciale :
soit préparer la guerre en soutenant les visées de l'administration américaine en Syrie et au Proche-Orient, soit définir un rôle propre, indépendant et positif, contre les illusions de la force et les dangers de l'intervention militaire, pour une solution négociée garantissant l'arrêt des massacres et une transition vers la démocratie. Le choix qui doit être fait est d'une grande portée pour la Syrie, pour toute la région, pour la France. Il mérite et appelle un vote du Parlement, ainsi que je l'ai demandé au président de la République dès le 27 août .

Quelque deux Français sur trois se déclarent aujourd'hui opposés à une intervention militaire. En Europe et aux États-Unis, des constats semblables témoignent aussi d'interrogations, de réticences et d'hostilités massives à la guerre. Le choix de la guerre ne peut être le choix d'un seul homme. Devant un enjeu si crucial, dans un monde devenu si complexe, nos institutions, qui réservent au seul chef de l’État le pouvoir d'engager nos armées, témoignent de leur archaïsme. Je réitère ici notre demande solennelle : aucune décision ne doit être prise sans un vote du Parlement.



La crise syrienne est devenue une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans maintenant, par la répression brutale et sauvage du régime de Bachar El Assad contre son peuple, et amplifiée depuis par l'internationalisation et l'ingérence militaire croissante des puissances régionales et internationales dans le conflit. La France n'a malheureusement pas été en reste. Le drame syrien est donc aussi une crise géopolitique internationale, dans une région, celle du Proche-Orient, où tous les conflits s'entremêlent. Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France c'est la capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de règlement politique. Or, ce qui se prépare, ce que vous nous invitez à soutenir, c'est l'inverse : une intervention militaire dont les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La France ne doit pas s'y engager. Elle doit choisir une autre voie d'action. Oui, la France doit agir mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à la guerre, du sang au sang.

Quel est le sens de l'entreprise de guerre que vous envisagez? « Punir » le régime de Bachar Al Assad ? Le « punir », dîtes-vous, pour empêcher que se renouvelle l'usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix, son efficacité réelle ? quelles seront ses conséquences, son utilité à faire progresser l'indispensable solution politique dont le Président de la République dit lui-même qu'elle reste la seule véritable issue ?

Est-ce que l'on peut bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le coup », juste « pour voir »... Comme au poker ? Sans la légalité du droit international et d'un mandat de l'ONU ? Sans évaluer les risques d'embrasement régional, notamment au Liban où dans les faits il a déjà commencé avec une succession d'attentats, de représailles et de vengeances ? Sans mesurer les conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du régime ? Sans prendre garde au sort de nos 2 otages dans ce pays ? Ne les oublions pas.

Le degré supplémentaire franchi dans l’horreur par l'usage massif d'armes chimiques justifie selon vous que la France entre à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?

L'usage des armes chimiques est inqualifiable. C'est un crime effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l'ont commis, dans la violation manifeste des conventions qui les interdisent, à la condamnation et à la justice internationale. (…) Le devoir de la France, comme membre permanent du Conseil de sécurité, est de verser les éléments dont nous disposons à la Mission d'enquête de l'ONU pour qu'elle établisse officiellement les responsabilités. La France déclare détenir des preuves, mais rien ne la dispense des résultats de la mission de l'ONU.
Rien ne l'autorise à pouvoir prétendre « punir » seule sauf à contribuer elle-même ainsi à discréditer la légalité internationale.

Face à l'amplification des crimes - « la Syrie est en chute libre, notait déjà en juin le rapport de la commission d'enquête internationale indépendante remis à l'ONU, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sont une réalité quotidienne en Syrie. Personne n'est en train de gagner la guerre et personne ne la gagnera » - la France doit inlassablement travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.

L' escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et nous éloignera de la solution politique et négociée incontournable.

Les autorités françaises mesurent-elles avec suffisamment d'attention et de prudence les expériences désastreuses, que personne ne peut oublier dans le monde, des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force, une prétendue solution en prenant -selon la formule consacrée- « toutes les mesures nécessaires ».
Mais les gouvernements coalisés dans la guerre n'ont finalement recueilli que la poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos. Le syndrome d'un modèle d'intervention libyen, dont on mesure pourtant aujourd'hui les effets désastreux, a dramatiquement marqué la diplomatie française dans la crise syrienne. Est-ce qu'avec ces guerres la démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s'est renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions internationales en sont sorties consolidées ?

Que de questions sans réponse.

Que de risques majeurs sans vision politique digne de ce nom.

Que d'échecs stratégiques sans qu'on en tire les leçons.

Encore une question. Le peuple syrien, première victime de cette crise, n'est-il pas en réalité le grand oublié de cette tragédie ? Otage, dramatiquement effacé, de la confrontation des intérêts géopolitiques de puissances, dont la Syrie est devenue une sorte de ligne de front ? En mars 2011, le peuple syrien s'est soulevé pacifiquement. Comme en Tunisie, en Égypte et ailleurs... ce fut pour les libertés, pour un État de droit, pour la justice sociale, pour la souveraineté. Ce mouvement, c'est la vérité du peuple syrien. C'est l'espoir du peuple syrien. Nous l'avons soutenu dès le départ. Ce Printemps arabe exprime la légitime volonté des peuples concernés d'affirmer leurs droits, leur dignité et d'abattre des dictatures criminelles et corrompues, comme celle de Bachar Al Assad. Cette volonté, nous l'approuvons. Nous la soutenons. En Syrie comme ailleurs.

On voit aujourd'hui combien la conquête de l'émancipation politique et sociale engagée par ces peuples est complexe et difficile.
Particulièrement en Syrie où le régime, dès les premiers jours, a choisi une répression féroce et meurtrière qui n'a fait qu'accélérer la militarisation de la crise et une terrible escalade dans la confrontation armée, avec des exactions d'une sauvagerie inouïe.

Le bilan de cette crise est épouvantable : plus de 100 000 morts ; plusieurs millions de réfugiés et déplacés, des villes en dévastation et un patrimoine culturel anéanti ; une société pulvérisée par la violence des affrontements, par les divisions politiques et confessionnelles, par les atrocités de groupes salafistes, pour l'essentiel des corps étrangers à une société syrienne profondément laïque, et armés par des puissances régionales dont certaines font, paraît-il, partie de nos alliés...

Alors, oui, il faut arrêter ça !

Il faut arrêter ça pour le peuple syrien.

Il faut arrêter ça pour toutes celles et ceux qui, en 2011, avec courage, ont lancé des mobilisations pacifiques contre le régime.

Il faut arrêter ça pour faire vivre une transition démocratique.

Il faut arrêter cette escalade tragique et chercher le chemin d'une issue politique.

Une intervention militaire, dirigée par un duo isolé de puissances occidentales hors du droit, constituerait un degré supplémentaire dans l'inacceptable, aux conséquences incontrôlables.

Ce n'est pas par la guerre que l'on peut protéger les peuples et gagner une sécurité humaine.

La France doit d'urgence prendre un autre chemin, définir une vraie vision politique et prendre une forte initiative. Il y a une alternative !

Nous appelons donc les autorités françaises à proposer dès la réunion du
G20 qui se tient demain une réunion au sommet des belligérants et des principales puissances impliquées, les États-Unis et la Russie bien sûr, mais aussi la Turquie et l'Iran notamment, afin de définir les conditions d'un arrêt de l'escalade dans la confrontation militaire, et d'une transition démocratique en Syrie. Il faut reprendre l'esprit et l'ambition de la deuxième conférence de Genève qui aurait pu tracer la voie d'une telle solution il y a déjà des mois, et qu'au lieu de soutenir dès juin 2012 au lendemain de Genève I, vous avez aussitôt mis en doute. Parce que, disiez-vous à l'époque, Monsieur le ministre, l'accord alors passé ne prévoyait pas clairement la mise à l'écart de Bachar El Assad. L'occasion de stopper les massacres a été gâchée. Or, aujourd'hui, vous préconisez une intervention aux risques énormes en déclarant qu'elle ne vise pas le départ de Bachar El Assad. Où est la vision, où est la cohérence ?

La France doit cesser de se fourvoyer et reprendre l'initiative politique et diplomatique. Cela est encore possible. On voit d'ailleurs le niveau élevé des réticences politiques et des rejets populaires de la guerre en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, plus largement en Europe et même aux États-Unis. La coalition autour de Washington n'en est que plus maigre et pathétique. Non, il n'y a pas de consensus pour la guerre !

La France, Monsieur le Ministre, a mis jusqu'ici son énergie dans l'option militaire, nous vous demandons de l'investir dans une issue politique.

Au lieu d'imposer la guerre, il faut, avec détermination, avec vos alliés, avec la Russie, emmener les protagonistes syriens aux conditions d'un règlement politique, avec un calendrier et de vraies décisions qui puissent constituer une réelle avancée dans la voie de la transition démocratique attendue par le peuple syrien. La France se grandirait en agissant ainsi. Le G20 doit être utilisé pour une première et urgente concertation multilatérale, en particulier avec la Russie, les États-Unis et les autres puissances concernées.

La crise géopolitique syrienne sollicite donc, avec insistance, la France et le rôle qui devrait être le sien dans le monde d'aujourd'hui.
Car cette crise majeure fait surgir immédiatement d'autres questions de grande portée internationale, en particulier l'enjeu global de la sécurité internationale, celui du désarmement et de l'élimination des armes non conventionnelles ou de destruction massive. Il n'y a pas, en effet, que les armes chimiques. Il y a aussi, notamment, les armes nucléaires et la question cruciale de la prolifération.

Lors de la Conférence des Ambassadeurs, il y a seulement quelques jours, le Président de la République, à propos de la crise sur le nucléaire iranien, a explicitement affirmé : « le temps presse (…) la menace grandit et le compte à rebours est d'ores et déjà enclenché ». Nous souhaitons, Monsieur le Ministre, que cette grave formulation - visant d'ailleurs le principal allié de la Syrie - ne soit pas l'annonce que la crise iranienne devrait elle aussi, le moment venu, passer par l'inacceptable et dangereuse phase d'une nouvelle opération militaire, de nouveaux bombardements. On dit, en effet, à Paris comme à Washington, pour la Syrie comme pour l'Iran, que « toutes les options sont sur la table »... Y compris, encore, la guerre ?

Jusqu'où oserez-vous aller ?

Je souhaite vraiment, Monsieur le Ministre, une réponse à cette question.

Le Traité de Non Prolifération doit être respecté par tous ses signataires. Il faut aller vers un désarmement nucléaire multilatéral et contrôlé. Et ni les États-Unis, ni la France, ni d'autres puissances ne peuvent se permettre d'envisager le règlement de toutes les crises par la force. C'est impensable ! Ne vous engagez pas dans un tel engrenage !
Construire une sécurité collective et humaine sur le plan international appelle tout autre chose que la guerre et les ambitions de domination qui vont avec. Et qui n'ont rien à voir avec l'exigence de paix... mais tout à voir avec des intérêts stratégiques et énergétiques. La France ne doit pas suivre Washington sur ce fil qui mène aux déstabilisations, aux désastres que nous connaissons déjà.

Un changement sur le fond de politique internationale et de conception de la sécurité s'impose. Avec un effort indispensable pour le désarmement concernant toutes les armes de destruction massive, et la nécessité de lier cette option essentielle au règlement des conflits, notamment la crise sur le nucléaire iranien, la politique israélienne et la question de Palestine, la politique de la Turquie et la question kurde...

Il est temps aussi pour la France et pour ses partenaires européens de trouver un rôle et une dynamique positive dans la refondation des stratégies de développement et de partenariat avec l'ensemble du monde arabe.

L'urgence n'est pas de faire la guerre. Elle est de construire un avenir commun pour tous les peuples dans cette région cruciale de la Méditerranée et du Proche-Orient.

Saurons-nous, en Syrie et ailleurs, commencer à relever ce formidable défi ? Nous pensons pour notre part que la France, si elle le décide, en a la force.

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