C’est dans ce contexte politique que, tout au long de l’année 2008-2009 et déjà bien avant, les tentatives d’engager une large campagne d’explication citoyenne sur les problèmes de fond ont été systématiquement bloquées au sein des coordinations qui se réclamaient de la défense des services publics. Même la perspective d’un démantèlement accéléré du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), ou d’une privatisation tout aussi rapide des universités, ou les menaces de même nature qui pèsent sur le service public de la santé, n’ont pas amené les mouvements nés au sein de ces services à s’adresser à la grande majorité de la population pour engager un véritable débat. Mais si on va au fond des choses, peut-on défendre efficacement le CNRS, les universités ou la Santé publique sans s’opposer aux intérêts politiques de cette « gauche » électorale ?
La casse du CNRS et des autres organismes publics de recherche, la privatisation des universités et des services liés à la santé... sont-elles autre chose que l’application à la France de l’AGCS et de la politique de l’OMC et de l’Union Européenne ?
La loi sur la « mobilité » des fonctionnaires récemment promulguée, relève-t-elle d’une autre stratégie ?
Il aurait été essentiel d’aborder ces questions devant les citoyens, de diffuser au maximum toutes les informations et d’engager un véritable débat. Mais quelle politique peut défendre dans la réalité une « gauche » dont le « principal parti » compte dans ses rangs les directeurs généraux de l’OMC et du Fonds Monétaire International (FMI), et soutient officiellement le Traité de Lisbonne, la « flexisécurité »... ?
Telle est la facture que, si on va au fond des choses, l’année 2008-2009 a passée aux mouvements de défense des universités publiques, du CNRS et de l’ensemble de la recherche publique, de l’hôpital public, de l’éducation publique... Comment faire, dans l’actuel contexte politique, pour sortir de ce piège ?
Il est impossible, dans la pratique, de défendre efficacement les services publics sans entrer en conflit avec la politique réelle d’un ensemble de partis dont les alliances de fait aboutissent à un blog qui va d’un secteur de la prétendue « extrême-gauche » jusqu’au PS, voire jusqu’au MODEM.
Les élus syndicaux au Conseil Scientifique du CNRS ont été jusqu’à cautionner un contrat d’objectifs 2009-2013 qui programme le démantèlement du centre et de ses laboratoires. Voir notamment nos articles du 17 juin et du 26 juin. Est-ce autre chose qu’une projection de cette situation générale ?
Et comment interpréter le silence syndical général, l’absentéisme des directions des grandes centrales syndicales et la passivité des partis politiques au moment de l’adoption et de la promulgation de la loi « relative à la mobilité et aux parcours professionels dans la fonction publique » ?
Dans les deux cas, une véritable campagne d’explication citoyenne en temps utile aurait été le moyen le plus efficace pour contrer le politique gouvernementale. Mais cette campagne n’a pas eu lieu, car elle aurait heurté un certain nombre d’intérêts politiques.
Comment mener à terme une véritable campagne d’explication citoyenne, sans rappeler et dénoncer le rôle de l’OMC et de l’AGCS, de l’Union Européenne et du Traité de Lisbonne, du FMI, de l’OCDE dont le siège est à Paris... ? Ou encore, sans expliquer et dénoncer le rôle de la Loi Organique Relative aux Lois de Finances (LOLF) d’août 2001, du processus de Bologne lancé en 1998 et de la stratégie de Lisbonne adoptée en mars 2000 ? Ou sans s’opposer à la « flexisécurité », que le PS français soutient ouvertement depuis la campagne présidentielle de 2007 ?
Une telle campagne exigeait des mouvements de défense des services publics qu’ils assument une réelle indépendance par rapport à des intérêts politiciens et électoraux dont le poids s’est avéré trop important. Il en a résulté une série de silences systématiques.
Ces silences ont été très cher payés. La situation évoluera-t-elle en 2009-2010 ? Et que pourront apporter des mobilisations tardives, alors que des mesures aussi graves que le contrat d’objectifs du CNRS ou la loi sur les fonctionnaires ont été entérinées sans rencontrer de résistance réelle ? Quelle sera le crédibilité de mobilisations portant sur les modalités d’application de dispositions adoptées au milieu de la passivité générale, comme ce fut déjà le cas de la Loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et de bien d’autres lois et mesures diverses, LOLF comprise ? Une rupture essentielle paraît nécessaire pour sortir de cette spirale.
Rappelons qu’en 1997-2002, le gouvernement de « gauche plurielle » de Lionel Jospin a privatisé pour une valeur estimée à l’époque à 210 milliards de francs (un record). Wikipédia fournit cette relation :
* Air France, 1999, ouverture du capital. * Autoroutes du sud de la France (privatisation partielle) o Mars 2002 : mise en bourse de 49 % du capital, recette : 1,8 milliard d’euros. * Crédit lyonnais, 12 mars 1999 (décret) * France Télécom, 1997, ouverture du capital, 42 milliards de FF. o Octobre 1997 : mise en bourse de 21 % du capital o Novembre 1998 : mise en bourse de 13 % du capital * Eramet, 1999. * GAN, 1998. * Thomson Multimédia o 1998, ouverture du capital. o 2000, suite. * CIC, 1998. * CNP, 1998. * Aérospatiale (EADS), 2000, ouverture du capital.
(fin de citation)
A propos de Renault, Pascal Lamy trouve sa privatisation d’un bon sens évident, puisqu’il va jusqu’à demander : « Qui soutiendrait aujourd’hui que Renault doit rester publique ? ». Wikipédia rappelle :
En 1986, Raymond Lévy, après la mort de Georges Besse, assume la direction de Renault et prépare sa privatisation.
En 1990, la régie Renault change de statut et devient une société anonyme à capitaux d’État par l’adoption de la loi du 4 juillet 1990 avec des restrictions du contrôle étranger. Volvo acquiert une participation de 20 % après de tumultueux échanges. En novembre 1994, Renault est effectivement mis en bourse et à cette occasion, Volvo cède 12 % du capital et l’État diminue sa part de 80 % à 53 %. Il faudra attendre juillet 1996 pour voir Renault effectivement passer dans le secteur privé à la suite d’une cession par le gouvernement de 6 % du capital au noyau dur des actionnaires, essentiellement des banques et groupes d’assurance français, par le biais d’une vente de gré à gré.
(fin de citation)
Le « socialiste » Pascal Lamy soutient donc la politique de privatisations lancée par Jacques Chirac. Mais dans ce cas, que signifie dans la réalité le mot d’ordre « battre la droite », en dehors de la course aux bonnes places pour quelques-uns ? Et ceux qui se félicitent publiquement des privatisations chiraquiennes, peuvent-ils vraiment être contre la privatisation de la recherche, de l’enseignement supérieur, de l’éducation, de la Santé... ?
Pascal Lamy est devenu directeur général de l’OMC en 2005, avec le soutien de Jacques Chirac. Dominique Strauss-Kahn a été nommé à la tête du FMI avec le soutien de Nicolas Sarkozy. Lamy et Strauss-Kahn ont-ils « battu la droite » ?