Sénégal d'Aujourd'hui
07/01/2009 19:27

TAMKHARIT : Moments de spiritualité et d’action sociale

Dakar- Les Sénégalais dans leur majorité célèbrent la Tamkharite fixée à demain à partir de ce soir par un dîner fastueux à base de couscous.


Vécu comme une fête chez un très grand nombre de musulmans et considéré comme un jour de deuil chez les Chiites, l’Achoura ou Tamkharite était une occasion de célébration spirituelle pour le prophète Mohamed (Psl). L’islamologue Abdoul Aziz Kébé revient sur la charge spirituelle de ce jour, la polémique suite au meurtre de l’imam Hussein à Karbala et les actions sociales à entreprendre.

Expliquez-nous le sens de la célébration de l’Achoura ou Tamkharite

L’Achoura, c’est le dixième jour du mois de Muharram que nous appelons Tamkharite. Achoura correspond à une célébration spirituelle que le prophète (Psl) avait instituée lorsqu’il est venu à Médine en 622. Il a trouvé les Juifs qui habitaient cette ville appelée (à l’époque) Yathrib, en train de jeûner. Il les a interrogé sur le pourquoi de leur jeûne et ils lui ont répondu que c’est pour rendre grâce à Allah Soubhanahou wa Ta Aala, parce que c’est à l’occasion de ce jour-là qu’Il avait permis à Moïse de traverser les eaux et d’échapper à la furie du Pharaon. Le prophète dit aux Juifs que lui, il était beaucoup plus proche de Moïse. Alors, il a jeûné ce jour et il a demandé également aux musulmans d’en faire autant, en disant qu’il était non seulement proche de Moïse, mais que celui qui jeûnait ce jour voyait ses péchés de l’année expiés. Le prophète (Psl) a donc jeûné ce jour et a demandé qu’on le fasse jusqu’à ce que le Ramadan fût institué. Mais il n’a pas empêché que l’on continue à jeûner le dixième jour du mois de Muharram. Vers la fin de sa vie, il avait dit que l’année prochaine, il ajouterait à ce Achoura le neuvième jour, mais il n’a pas survécu. Ce qui fait qu’il n’a pas pu le faire le neuvième jour. Voilà pourquoi les gens jeûnent ce neuvième jour. L’Achoura, c’est un moment de célébration, de grâce, c’est une action spirituelle. Le prophète ne l’a pas fêté. Il n’y avait pas de fête (durant ce jour) du temps du prophète (Psl) ni du temps des premiers califes. Il le célébrait spirituellement. En plus de la spiritualité, cela avait un sens de dialogue entre les cultures et les religions. Parce que si le prophète Mohamed (Psl) célèbre un jour du jeûne observé par les Juifs, cela veut dire qu’il les retrouve dans une pratique spirituelle pour montrer que le tronc est le même, que la sève est la même, qu’Allah qui est le Dieu de Moïse est également le Dieu des musulmans. Les musulmans avaient pleinement le loisir, le devoir, le droit de participer à cette action de grâce, parce que c’est le peuple d’un prophète (le peuple d’Israël conduit par Moïse, ndlr) qui avait été délivré. Et tous les prophètes sont des prophètes de l’Islam. Donc, c’est une célébration spirituelle, un pont entre les Juifs et les musulmans qui avait été établi ce jour-là. Maintenant, l’histoire de l’Islam a aussi enseigné que, avec les conflits de succession, il y a eu les événements de Karbala qui ont eu lieu après la mort du prophète, quelque soixante ans après, à l’élection du khalife Ali. Il y a eu la demande faite par Muawiya pour qu’Ali punisse les meurtriers d’Ousmane, troisième calife qui a été assassiné. A partir de ces dissensions, il y a eu une révolte, une rébellion de Muawiya contre Ali. Il y a eu beaucoup de péripéties par rapport à cela. Et finalement, Ali a été lui-même assassiné. Par la suite, son fils Al Hussein a été tué à Karbala avec sa suite d’un groupe de 80 personnes qui ont été tuées par Yazid, le fils de Muawiya. Ce jour du meurtre coïncidait avec Achoura, le 10 du mois de Muharram. Maintenant, les Chiites, partisans d’Ali, ont commencé à célébrer Achoura comme étant un jour de deuil, de réminiscence, de souvenir de ce massacre. Ils ont commencé à faire des processions, à se rappeler la mort d’Al Hussein et sa suite en procédant à des manifestations de dolorisme, de flagellation dans la rue. Les pouvoirs publics d’alors, c’est-à-dire les banou Oumayya, ont vu en cela des risques de trouble à l’ordre public comme on dit aujourd’hui. Parce que les gens pourraient sympathiser avec ces processions, s’apitoyer sur le sort de la famille du prophète Mohamed (Psl) et que cela pourrait engendrer une fitna ou sédition. Certains historiens disent que pour masquer, éradiquer ce risque, les banou Oumayya ont créé le carnaval le jour d’Achoura pour les enfants. Ce qui fait qu’ils ont déclaré Achoura jour de fête, de carnaval, pour voiler, masquer les processions faites par les partisans de la famille d’Ali. Voilà un peu d’où est venu, selon certains auteurs, le caractère festif d’Achoura avec le carnaval, la fête des enfants. Ce qui est constant chez la grande majorité des oulémas et des historiens, le prophète (Psl), lorsqu’il instituait l’Achoura, il le faisait pour rendre grâce à Allah par la pratique du jeûne. Tous les califes ont fait la même chose. Ce n’était pas une fête mais une sorte de culte surérogatoire.

Faut-il seulement limiter l’Achoura à ce malheureux événement de la mort de Hussein et sa famille comme le font les Chiites ?

Ce n’est pas parce que l’imam Hussein est mort le jour d’Achoura que cela doit devenir un jour de deuil. Si nous voulons répondre à la pratique du prophète (Psl), nous conformer à sa Sunna, nous devons jeûner le jour d’Achoura. C’est un jour où nous devons nous rappeler nos morts, de la mort d’Al Hussein non pas par du dolorisme mais en tirant les leçons ou les facteurs qui ont entraîné cela. C’est-à-dire les dissensions politiques en terre d’Islam. C’est-à-dire réfléchir sur la question du pouvoir politique en Islam, sur la question du consensus politique, des conflits politiques et sur le drame qui peut en naître quand on aborde la question de l’Islam en l’articulant avec la politique. C’est cette réflexion que nous devons privilégier. Ce n’est pas parce qu’il y a ce deuil qu’il faille faire de tous les Achoura un moment de dolorisme et de flagellation. La réflexion doit porter sur les enjeux. Quels sont les enjeux de notre époque pour éviter qu’un tel drame puisse se reproduire. Aujourd’hui, qu’est-ce qui nous empêche de réfléchir sur ce que le prophète (Psl) avait initié, c’est-à-dire jeûner le même jour que les Juifs pour que nous rappelions aux Juifs d’Israël qu’ils sont en train de bombarder, d’encercler Gaza, de tuer des centaines de personnes dont les 30 % sont des enfants, d’empêcher que l’aide humanitaire puisse se développer. Pourquoi ne pas réfléchir sur cette action du prophète (Psl) qui pourrait être un pont entre Juifs et musulmans pour apporter une part de contribution à la réflexion sur le rapprochement des peuples et sur l’instauration de la paix dans cette région, au lieu de faire du revival sur un martyr qui nous touche tous. Faire ce revival doit nous entraîner à réfléchir sur les facteurs qui ont créé ce drame afin que cesdits facteurs ne soient plus renouvelés. Parce qu’aujourd’hui, le monde islamique s’est divisé en deux camps : les Sunnites et les Chiites. Est-ce cela que nous voulons concrètement ou bien devons-nous faire que le monde islamique soit uni autour de principes clairs.

Ce sont les facteurs qui font que les hommes agissent de telle ou telle autre manière. Lisons l’histoire, apprenons-la et tirons en les conclusions et les leçons et bâtissons notre histoire à nous qui puisse être de paix, d’unité des musulmans ou une compréhension avec les autres communautés comme le prophète (Psl) a tenté de le faire en jeûnant le jour d’Achoura qui était un jour de Yom Kippur (chez les Juifs).

L’Achoura est l’anniversaire de grands événements dans la vie de nombreux prophètes. Pouvez-vous revenir sur leur symbolique ?

Les traditionnistes, c’est-à-dire les historiens dans la tradition musulmane, font d’Achoura une sorte de constante. C’est-à-dire un jour de délivrance de tous les prophètes et de tous les élus confrontés à une épreuve, depuis Adam, Nouh (Noé) Ibrahim (Abraham), Youssouph (Joseph), Younouss (Jonas), Moïse (Moussa). C’est comme si Achoura est le jour de délivrance. Cela doit nous entraîner à réfléchir : s’il y a un jour qui semble être celui de la délivrance, cela montre qu’Allah n’est pas éloigné de nous et que dans toutes les situations, si la foi est forte et si la résolution est marquée, on peut avoir l’inspiration et la délivrance par rapport à l’épreuve.

C’est bien de dire que c’est ce jour-là qu’Adam a été absout, que Noé a finalement accosté son arche. Mais ce qui est plus important, c’est l’alliance avec Allah. C’est un jour d’alliance avec Dieu qui doit être marqué par la spiritualité d’une part et l’action sociale d’autre part. Parce que tous ces prophètes délivrés ce jour ont également montré qu’ils ont eu une action sociale forte. Si vous prenez le cas de Nouh, on peut le considérer comme un sauveur avec son arche. Si vous prenez le cas d’Ibrahim, on peut le considérer comme un homme rationnel qui a voulu créer un déclic au niveau des mentalités pour que les gens comprennent que la logique, la raison, n’est pas incompatible avec la foi. Tous les prophètes ont démontré d’une certaine façon que l’alliance avec Allah doit avoir une répercussion sur le devenir des hommes qui doit être positive. Ce jour-là, revenons à cette alliance avec Allah et à l’action positive en société pour que la vie des hommes soit marquée par la transcendance.

Certains jeûnent la veille et ou le lendemain d’Achoura. A côté du jeûne, quels sont les autres bienfaits de l’Achoura ?

Le prophète avait jeûné Achoura et avait l’intention de jeûner le neuvième jour. Il n’a pas survécu donc il ne l’a pas fait. Cela veut dire que les jours à jeûner, c’est le neuvième et le dixième. Mais tout jeûne surérogatoire est le bienvenu. Ce que la tradition prophétique a instauré, c’est le dixième jour qu’il a vraiment fait et le neuvième qu’il a eu l’intention de faire et qu’il n’a pas pu. Le dixième jour, c’est le lendemain du dîner à base de couscous chez nous (ce soir, ndlr). Les actions, c’est important de les citer. Mais le plus important, c’est de comprendre leur finalité. On dit par exemple qu’il faut faire de l’hygiène corporelle, se baigner, se tailler les ongles, etc. Cette hygiène ne doit pas se limiter à ce jour. On demande aussi de caresser la tête de l’orphelin. C’est bien, mais cela a un sens. Personnellement, c’est pour dire que cet orphelin a la tête lourde, il n’a pas de compassion, d’affection, il a des désirs, des problèmes. Donc, caresser la tête de l’orphelin, c’est lui enlever ces lourdeurs qui lui pèsent sur la tête afin qu’il puisse être un enfant plus ou moins normal comme les autres.

On nous demande de rendre visite à un savant. Mais je crois que si on ne peut pas en tirer des ressources pour que l’année que l’on entame soit une année que l’ont peut construire avec ses ressources morales, spirituelles, cela n’en vaut pas la peine. Quand on rend visite à un ouléma, c’est à lui de comprendre que cette visite a une finalité : donner aux gens qui visitent les ressources pour la vie, leur spiritualité, leur moralité, leur compétence de vie. Réciter mille fois Ihlas (Koul hou’Allahou), mais comprendre cette sourate une bonne fois pour toute, c’est mieux. Il faut comprendre toutes ces actions et ne pas les considérer comme un rituel plus ou moins fétiches, mais les considérer comme des invitations à explorer pour donner une signification à cette nouvelle année. Que Dieu en fasse une année de paix, de sérénité, d’entente, de cordialité, de bonheur pour tout le monde.


Source: Yahoo News


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