Ivan Ivanov pour Editoweb
On est tous un petit peu philosophes. On se pose des questions prééminentes, tous les jours et sans fatigue, souvent solitairement et encore plus souvent à table, après un avoir bien mangé et blagué, en compagnie de nos meilleurs amis. Dans ces moments volés, on se croit capables de donner la réponse adéquate, de pouvoir ranger le monde d'une manière juste et extraordinaire. Ce monde porte nos lunettes et ressent nos passions et il est vrai car il est subjectif; il est humble mais humain, pervers mais ridiculement satisfaisant. On est habitués à se poser des questions de toute nature, mais avant tout, celles qui concernent le Moi intime, le demain et l'hier, la religion, la famille, les enfants. Hélas, souvent on quitte la soirée sans avoir reçu la bonne réponse parce que - suivons une logique prosaïque - la réponse est aussi subjective et médiocre que la question. Elle est issue du quotidien, alors, quelle logique philosophique on peut y retrouver?
Pourtant, il existe une institution qui connaît toutes les bonnes réponses...
La présidentielle continue de colmater les lacunes de toutes les questions quotidiennes qui nous envahissent sans cesse lorsqu'un choix existentiel écrase nos épaules. Les débats télévisés sont les meilleurs amis et les pires prédateurs de nos candidats car ils élucident cette capacité aberrante et quasi-unique que possèdent les débatteurs, et notamment celle de donner les bonnes réponses. Et nous, les maîtres du mandat précieux, nous sommes aveugles car on demande toujours: «Qu'est-ce que vous ferez pour résoudre mon problème?», ou «Comment vous voyez le futur de notre région?». Ce n'est jamais la bonne question car eux, ils sont déjà prêts à nous répondre. Une présidentielle est d'abord un apprentissage de la bonne réponse.
Pourtant, il existe une institution qui connaît toutes les bonnes réponses...
La présidentielle continue de colmater les lacunes de toutes les questions quotidiennes qui nous envahissent sans cesse lorsqu'un choix existentiel écrase nos épaules. Les débats télévisés sont les meilleurs amis et les pires prédateurs de nos candidats car ils élucident cette capacité aberrante et quasi-unique que possèdent les débatteurs, et notamment celle de donner les bonnes réponses. Et nous, les maîtres du mandat précieux, nous sommes aveugles car on demande toujours: «Qu'est-ce que vous ferez pour résoudre mon problème?», ou «Comment vous voyez le futur de notre région?». Ce n'est jamais la bonne question car eux, ils sont déjà prêts à nous répondre. Une présidentielle est d'abord un apprentissage de la bonne réponse.
Le thymos et l'estime de soi
Une question séduit ma conscience et me fait parcourir les champs métaphysiques de la connaissance: « Pourquoi vous voulez être Président? ». Cette question simple tente de nous donner la réponse à une question posée il y longtemps par les pères de la pensée classique. Conçue dans le temps cosmogonique et ayant survécu à toute eschatologie idéologique, elle raconte la vieille histoire de « la bête aux joues rouges »*
Platon dans la République parle d'un certain thymos, notion peu sollicitée par les historiens, exorcisée par les politologues et complètement détestée par les politiciens. Pourtant elle signifie une chose très simple: l'évaluation de la valeur personnelle de quelqu'un. C'est un trait caractériel que chacun possède en soi; un moteur d'action personnel quant à la nature humaine qui guide les désirs et les passions, le mépris ou l'estime de soi. Platon a eu l'occasion, puisqu'il a décrypté l'essence la plus élémentaire de l'être humain, de décrire l'amplitude bicéphale de l'hommo politicus.
Thymos est un concept qui suit la logique de ma question et estompe deux types de personnalités. Il renvoie directement à «l'estime de soi» et au désir de reconnaissance qui, selon les grands penseurs, est au fond de toute personnalité humaine. Outre le thymos de Platon, Machiavel parle de l'homme et de son désir incontournable de gloire; Hobbes, un des pères de libéralisme classique, appelle ce même désir «la fierté» et «l'orgueil»; Rousseau, le précurseur reconnu de la démocratie européenne, voit en chacun d'entre nous un amour-propre; Hamilton découvre un certain amour de la renommée. La reconnaissance, ce trait humain, est le coeur d'un des concepts majeurs de Hegel. Les hommes, tous les hommes sans exception, cultivent un désir de reconnaissance qui est le moteur le plus puissant de leurs actions et pensées, de leurs désirs mimétiques et explicites.
Mais le grand dilemme que Platon a essayé de résoudre est le suivant: dans quel sens la personnalité et son désir de reconnaissance se manifestera? Comme une reconnaissance comme égal ou comme un désir d'être reconnu comme supérieur, un sentiment érigé à la base d'une surestimation personnelle et subjective? Autrement dit, avec isothymia, on peut expliquer la volonté d'être égal, et avec mégalothymia, d'être supérieur. Il est vrai, il n'y a personne qui veut être au milieu. Même pas un Président.
« Qu'est-ce que vous ferez pour résoudre mon problème? »
Ma question devient encore plus actuelle dans le contexte du deuxième tour de la présidentielle. Si une personne veut être Président et a une «estime de soi» inférieure, à la suite de laquelle l'élection éventuelle peut la rendre égale aux autres, quelle peut être son désir par rapport au peuple quant à la satisfaction de ses besoins immédiats? Je ne crois pas que quelqu'un veuille être égal et en même temps avoir la prétention qu'il peut faire de mieux pour les autres égaux. Dans ce sens, il n'est plus égal, mais supérieur.
La mégalothymia est alors au fond de tout désir de reconnaissance. Cette présidentielle, qui viole les médias et entrave la pensée; qui ravage les questions simples et exile les étrangers; qui répond et qui patauge, n'a qu'une chose à cacher: son visage de « bête aux joues rouges ». Et nous, le peuple de Gévaudan, nous sommes contents de bien manger et de taquiner et de poser nos questions prééminentes.
"Qu'est-ce que vous ferez pour résoudre mon problème? Une métaphore de Friedrich Nietzsche"