Textes Littéraires
24/10/2005 00:00

Les enfants des ténèbres -2-

Roman 2° épisode

Le vieux marchait légèrement voûté, s'appuyant avec une nonchalance calculée sur une vieille canne noueuse comme un pied de vigne. Parfois, il s'arrêtait, souriait à Laurence, changeait sa canne de main, son corps s'inclinant vers ce nouvel appui. Les herbes mortes ne bruissaient pas, les criquets ne chantaient plus.
C'est pas bon les émotions pour vous Madame, c'est pas bon! "



CHAPITRE I suite.

" Plantée! " le mot revint dans sa tête avec plus de force . . .
Elle ne roulait pas vite, admirant la pinède qui s'étendait de chaque côté de la piste faite de sable de rivière et de petits gravillons ronds.
Juste avant le deuxième virage, celui dans lequel était couchée la vieille borne aux inscriptions illisibles, la voiture dérapa. C'était la fin de l'après-midi, le soleil lançait ses derniers rayons à l'assaut de la cime des arbres. C'est con, se dit elle, en lâchant le volant pour protéger son ventre. Le sable fit caler le moteur, s'immobiliser le véhicule.
Pendant un moment, Laurence s'obligea à respirer aussi fort, aussi régulièrement qu'elle le put. Une nuée d'oiseaux, posée sur un buisson, prit soudainement un envol lourd de silence. Avec indifférence, l'azur déjà les couvait. Ils disparurent.
Elle éclata en sanglots, revit le chat sur le balcon, la tasse de café renversé, et son impossible reflet dans le miroir.
Quittant la voiture, elle courut comme une folle pour fuir le danger.
Pendant combien de temps? Quel danger? Les oiseaux à l'envol insolite peut-être, ou bien alors, se dit elle, ces sanglots qui d'ordinaire ne viennent pas.
Une nausée l'arrêta. Les épinards mal digérés de son déjeuner frappèrent le sol. La nuit était tombée, Laurence en eut brutalement conscience... Les ombres s'étaient distendues. Elles cernaient la jeune femme. Celles des arbres se mouvaient à la légère brise du soir. Le chant des criquets se fit timide.
Laurence Deguers se retint des mains à une fine branche de Pin. Elle écarta les jambes, attendit.
Le sang allait venir, bientôt il dessinerait des figures d'arabesques. Bientôt...
Et la nuit? Etait ce vrai qu'elle engloutissait tout ?
Mon bébé."
Madame, Madame..."
L'homme lui posa la main sur l'épaule. Laurence lui fit face en hurlant. "C'est la nuit, c'est elle qui me l'envoie pour me châtier parce que le sang n'est pas là".
C'était un vieillard au visage ridé et serein. Sa barbe blanche la rassura. Elle s'engouffra dans ses bras, pleura de soulagement contre son large poitrail. D'un ailleurs qu'elle ne connaissait pas, un sentiment lui vint, mais si diffus, si hésitant qu'elle le rejeta.
C'est fini, Madame, c'est fini. "
Il lui tapotait la joue, lui offrait son grand mouchoir. Puis, lui prenant le bras avec autorité mais douceur, il l'entraîna; tous deux quittèrent le chemin. Le sentiment devint sensation, une brume miroitante allait l'envahir, la happer.
Ses membres en tremblèrent. De nouveau, Bébé remua, mais avec tendresse. Devant ses pas, les ténèbres lui frayaient un passage.
Le vieux marchait légèrement voûté, s'appuyant avec une nonchalance calculée sur une vieille canne noueuse comme un pied de vigne. Parfois, il s'arrêtait, souriait à Laurence, changeait sa canne de main, son corps s'inclinant vers ce nouvel appui. Les herbes mortes ne bruissaient pas, les criquets ne chantaient plus.
C'est pas bon les émotions pour vous Madame, c'est pas bon! "
Ils entrèrent dans la cabane. Il désigna à Laurence un siège fait d'un jerricane astucieusement recouvert de mousse et de tissu. Elle but la tasse de bouillon chaud qu'il lui offrit. Bouillon de feu et de miel. Le rouge et le jaune s'y mêlaient.
" C'est acide parce que je n'aime pas ces couleurs là, c'est beau parce que je n'y vois aucun reflet".
C'est une tisane, Madame, une simple tisane. Buvez, c'est bon pour vous... et pour l'enfant aussi!". L'ermite s'affairait à ranimer son foyer. Sur une broche, un volatile rôtissait. Bientôt, les flammes se mirent à danser. Le visage du vieil homme s'éclaira, il souriait:
Que cherchez-vous Madame?
Le hameau abandonné, mon mari y a acheté la bastide. "
Tournant le dos à Laurence, l'homme tisonnait toujours son feu.
L'Eguière, Madame. On la nomme l'Eguière."
Je ne savais pas... "
Nous la visiterons ensemble une autre fois. A présent, il se fait tard. "
Une nouvelle nausée la secoua. Ce n'est qu'un rôti, décida t elle, rien qu'un rôti.
" Le même! Il est semblable à tous les autres, mais c'est encore un oiseau ".
La graisse, en dégoulinant dans le foyer, produisait de la fumée. Avec une difficulté qu'elle ne s'expliqua pas, Laurence détourna le regard. Il la pénétra, lui rongea l'intérieur de la tête. Son ventre se fit lourd. Un poids mort y bouge, y louvoie, s'accroche à ses viscères.
C'est une pintade, Madame, en voulez vous ?
Arborant un demi-sourire, l'ermite s'éventait pour chasser la fumée qui lui piquait les yeux.
Mon enfant vient, Monsieur.
Non, Madame, c'est pour plus tard !


Lire le 1° épisode cliquer ici
Lire la suite
En vente sur: Abebooks
Manuscrit.com

Henri Vario



Lu 1906 fois




Flashback :