Cependant que Nicolas Lapierre pleurait son enfant, Maxime Anastasio fixait à la porte de son échoppe bordelaise, une plaque de marbre noir ainsi libellée:
MAXIME ANASTASIO
DÉTECTIVE PRIVE EXORCISTE
Il prit du recul pour apprécier les lettres gothiques dorées. Tout va bien, se dit il cynique, il me reste suffisamment pour vivre pendant trois jours; cette idée lui fit un bien fou par le sentiment de sécurité qu'elle lui procura. Le simple fait de l'énoncer semblait conjurer le mauvais sort. Pourquoi les affaires ne viendraient elle pas? La ville était couverte de plaques mais une seule, de marbre noir, associait deux professions aussi romanesques.
De plus, il comptait sur les petites annonces qui, depuis le début de la semaine, ne cessaient de paraître:
MAÎTRE MAXIME ANASTASIO
DÉTECTIVE EXORCISTE
TOUTES ENQUÊTES
ICI ET DANS L'AU DELA
Les enfants ne savent pas lire, railla t il. Mais, ceux qui les cherchent ...
Ayant récapitulé son actif, il décida de s'offrir un énorme hamburger et une bière. A cette idée, il ne put s'empêcher de penser à sa femme. "Un hamburger et une bière dans un endroit plein de monde et de bruit" Elle croyait aux vertus des événements ordinaires. Bien qu'il l'eut quittée quelques mois après la naissance de leur fille unique, il avait toujours trouvé auprès d'elle la sérénité dont il avait eu besoin dans les moments difficiles, comme si c'était tout naturel. Sa mort tragique l'avait ébranlé beaucoup plus qu'il ne l'eut cru possible, l'avait renvoyé aux confins de sa solitude. De coups de chance en expédients, il avait pourtant réussi à ne pas rompre le fil ténu de son existence. Aujourd'hui, il ne savait pas exactement pourquoi, l'espoir d'atteindre son but le galvanisait. Le fait qu'il n'avait pas été aussi pauvre depuis longtemps ne le gênait pas. Oui, il pouvait dire qu'il recommençait à zéro.
Il entra dans son bureau, meublé essentiellement grâce au labeur acharné des chiffonniers d'Emmaüs, rangea soigneusement son petit carnet bleu sous quelques photographies froissées et brancha son répondeur téléphonique au message plus que racoleur:
ICI MAÎTRE ANASTASIO, VOUS NE POUVEZ PAS ME JOINDRE. ATTENDEZ LE BIP SONORE ET LAISSEZ VOS NOM ET ADRESSE AINSI QUE LE MONTANT DE LA PROVISION DONT VOUS DISPOSEZ.
Il lui semblait, en effet, inutile de tergiverser; les éventuels clients devant d'ores et déjà savoir que la rémunération d'une enquête dans l'au-delà échappait fatalement aux règles professionnelles traditionnelles.
Ceci fait, il partit rejoindre son ami Vergier au billard. A part satisfaire aux exigences de son énorme estomac, cela avait le double but d'une part de montrer au tenancier, à qui il devait deux tapis de billard, qu'il ne se cachait pas, et d'autre part d'augmenter son ardoise autant que faire se peut.
Il misait sur le fait qu'on n'oserait rien refuser à un débiteur aussi assidu que lui. Mais il se serait bien passé de l'affaire des tapis, d'autant que, ce jour là, il avait eu au billard quelques performances absolument hors du commun qui épatèrent Vergier ainsi qu'une bonne partie de l'assistance. Anastasio n'était pas dupe: il représentait, pour la brasserie de la Garonne, une excellente attraction. Tout en y pensant ainsi qu'à l'honnêteté qu'il démontrait en faisant fi de son exploitation par le système capitaliste, le détective marchait vers son repas principal.
Lorsque le jeune homme le heurta sans s'excuser, il n'hésita pas à l'admonester convenablement en lui rappelant que le trottoir était loin d'appartenir à son père. Ce à quoi il lui fut répondu qu'il serait plutôt le domaine de sa soeur. Anastasio étant, à sa connaissance fils unique, ne crut pas nécessaire de corriger le garnement, mais le suivit des yeux. Et vlan! Voilà que ce petit con sonnait à sa porte. Bon dieu, le téléphone, c'est fait pourquoi ?
C'est ainsi que, péteux et démoralisé, Anastasio rebroussa chemin. Après avoir regagné son bureau par la porte de derrière, il alla ouvrir:
- Vous désirez, Monsieur?"
Le visiteur ouvrit de grands yeux, le rouge empourpra ses bonnes grosses joues de bien nourri:
- Je voudrais voir Maître Anastasio, s'il vous plaît...
Prenant un air autoritaire, il lui répondit que son frère venait de partir: "je le remplace" Ouf, le visiteur sembla soulagé, au moins autant que l'hôte qui l'introduisit dans son bureau:
- Que puis je faire pour vous? Monsieur? ... "
- Euh... pardon. Lapierre, Nicolas Lapierre. Je suis ingénieur en informatique à l'Unidec et .. "
Le garçon se mit à se dandiner sur son siège. Le détective resta de marbre.
- Continuez, je vous en prie. "
- Je vous ai téléphoné avant de venir et j'ai pris note de votre message. "
Il avait parlé vite ... et bien d'ailleurs, très bien. En tout cas dans le bon sens.
- Vous savez donc que nous exigeons une provision?"
L'autre, gêné, fouilla dans sa poche revolver, en retira une liasse de billets de 500F qu'il posa délicatement sur le bureau. N'eut été la nécessité de garder toute dignité, le détective aurait bondi de son fauteuil. Non seulement il n'en fit rien mais, de plus, afin de faire montre de son détachement, il veilla à rester immobile, craignant seulement que les battements saccadés de son vieux coeur ne fussent entendus.
Il y avait là, à sa portée, au moins dix mille francs, peut-être plus, pourquoi pas? Il bomba le torse, se préparant mentalement à une entrée triomphale à la "Garonne".
Bon, passons, se dit il pour l'heure.
- Mon fils à disparu."
Le jeune homme se passa une langue encore d'adolescent sur ses lèvres pleines, hésita un moment avant de se lever:
- Excusez moi, avez vous des toilettes?" Anastasio le conduisit et revint s'asseoir sans hésiter, en passant, à se saisir de l'argent toujours sur le bureau. Neuf mille cinq cents francs. Merde, il avait vraiment compté sur dix mille. Le vrombissement de la chasse d'eau le surprit; le client se retrouva devant lui en triturant entre ses doigts un mouchoir de papier en lambeaux. Hautain, Anastasio affirma:
- Vous devez savoir, Monsieur, que nous n'acceptons pas de provision inférieure à douze mille francs. Un nouveau fard colore le visage du jeune Lapierre.
- Excusez moi, je ne savais pas. "
Et l'enfant de salaud avança la main vers les billets de Banque. Enfoiré! Allez hop! On se dégonfle: Le détective alluma une gauloise bleue, en offrit une.
- Asseyez vous et voyons tout de même cela.
Maxime Anastasio plongea allègrement dans l'horreur du récit et son propre passé, qui ressurgissait, lui sautait à la gorge.
Il apprit comment Chantal Lapierre avait accouché. Comme d'autres, beaucoup d'autres ... Cinq ans pendant lesquels, fuyant son présent, Maxime Anastasio avait recherché ses racines... jusqu'à l'Eguière, l'été dernier, fin de la piste. Il était arrivé trop tard, il n'y restait plus qu'un tas de ruines un peu fumantes. Et des racontars de riverains. Ils parlaient d'un grand rassemblement d'enfants. "Qui recherches tu, Tasio? Tes frères ou ton père? Ton enfant peut-être? Eh non Tasio, tu cherches ce moi que ta raison désavoue, celui qui, quelque part dans ton tourment, te relie, d'un mince fil mental, à tous les autres. "
Ces "autres" que tu croyais pouvoir rejoindre, te voilà réduit à tenter de les attirer. Tu n'es même pas un pigeon Anastasio; lui avait su se taire pour mourir.
MAXIME ANASTASIO
DÉTECTIVE PRIVE EXORCISTE
Il prit du recul pour apprécier les lettres gothiques dorées. Tout va bien, se dit il cynique, il me reste suffisamment pour vivre pendant trois jours; cette idée lui fit un bien fou par le sentiment de sécurité qu'elle lui procura. Le simple fait de l'énoncer semblait conjurer le mauvais sort. Pourquoi les affaires ne viendraient elle pas? La ville était couverte de plaques mais une seule, de marbre noir, associait deux professions aussi romanesques.
De plus, il comptait sur les petites annonces qui, depuis le début de la semaine, ne cessaient de paraître:
MAÎTRE MAXIME ANASTASIO
DÉTECTIVE EXORCISTE
TOUTES ENQUÊTES
ICI ET DANS L'AU DELA
Les enfants ne savent pas lire, railla t il. Mais, ceux qui les cherchent ...
Ayant récapitulé son actif, il décida de s'offrir un énorme hamburger et une bière. A cette idée, il ne put s'empêcher de penser à sa femme. "Un hamburger et une bière dans un endroit plein de monde et de bruit" Elle croyait aux vertus des événements ordinaires. Bien qu'il l'eut quittée quelques mois après la naissance de leur fille unique, il avait toujours trouvé auprès d'elle la sérénité dont il avait eu besoin dans les moments difficiles, comme si c'était tout naturel. Sa mort tragique l'avait ébranlé beaucoup plus qu'il ne l'eut cru possible, l'avait renvoyé aux confins de sa solitude. De coups de chance en expédients, il avait pourtant réussi à ne pas rompre le fil ténu de son existence. Aujourd'hui, il ne savait pas exactement pourquoi, l'espoir d'atteindre son but le galvanisait. Le fait qu'il n'avait pas été aussi pauvre depuis longtemps ne le gênait pas. Oui, il pouvait dire qu'il recommençait à zéro.
Il entra dans son bureau, meublé essentiellement grâce au labeur acharné des chiffonniers d'Emmaüs, rangea soigneusement son petit carnet bleu sous quelques photographies froissées et brancha son répondeur téléphonique au message plus que racoleur:
ICI MAÎTRE ANASTASIO, VOUS NE POUVEZ PAS ME JOINDRE. ATTENDEZ LE BIP SONORE ET LAISSEZ VOS NOM ET ADRESSE AINSI QUE LE MONTANT DE LA PROVISION DONT VOUS DISPOSEZ.
Il lui semblait, en effet, inutile de tergiverser; les éventuels clients devant d'ores et déjà savoir que la rémunération d'une enquête dans l'au-delà échappait fatalement aux règles professionnelles traditionnelles.
Ceci fait, il partit rejoindre son ami Vergier au billard. A part satisfaire aux exigences de son énorme estomac, cela avait le double but d'une part de montrer au tenancier, à qui il devait deux tapis de billard, qu'il ne se cachait pas, et d'autre part d'augmenter son ardoise autant que faire se peut.
Il misait sur le fait qu'on n'oserait rien refuser à un débiteur aussi assidu que lui. Mais il se serait bien passé de l'affaire des tapis, d'autant que, ce jour là, il avait eu au billard quelques performances absolument hors du commun qui épatèrent Vergier ainsi qu'une bonne partie de l'assistance. Anastasio n'était pas dupe: il représentait, pour la brasserie de la Garonne, une excellente attraction. Tout en y pensant ainsi qu'à l'honnêteté qu'il démontrait en faisant fi de son exploitation par le système capitaliste, le détective marchait vers son repas principal.
Lorsque le jeune homme le heurta sans s'excuser, il n'hésita pas à l'admonester convenablement en lui rappelant que le trottoir était loin d'appartenir à son père. Ce à quoi il lui fut répondu qu'il serait plutôt le domaine de sa soeur. Anastasio étant, à sa connaissance fils unique, ne crut pas nécessaire de corriger le garnement, mais le suivit des yeux. Et vlan! Voilà que ce petit con sonnait à sa porte. Bon dieu, le téléphone, c'est fait pourquoi ?
C'est ainsi que, péteux et démoralisé, Anastasio rebroussa chemin. Après avoir regagné son bureau par la porte de derrière, il alla ouvrir:
- Vous désirez, Monsieur?"
Le visiteur ouvrit de grands yeux, le rouge empourpra ses bonnes grosses joues de bien nourri:
- Je voudrais voir Maître Anastasio, s'il vous plaît...
Prenant un air autoritaire, il lui répondit que son frère venait de partir: "je le remplace" Ouf, le visiteur sembla soulagé, au moins autant que l'hôte qui l'introduisit dans son bureau:
- Que puis je faire pour vous? Monsieur? ... "
- Euh... pardon. Lapierre, Nicolas Lapierre. Je suis ingénieur en informatique à l'Unidec et .. "
Le garçon se mit à se dandiner sur son siège. Le détective resta de marbre.
- Continuez, je vous en prie. "
- Je vous ai téléphoné avant de venir et j'ai pris note de votre message. "
Il avait parlé vite ... et bien d'ailleurs, très bien. En tout cas dans le bon sens.
- Vous savez donc que nous exigeons une provision?"
L'autre, gêné, fouilla dans sa poche revolver, en retira une liasse de billets de 500F qu'il posa délicatement sur le bureau. N'eut été la nécessité de garder toute dignité, le détective aurait bondi de son fauteuil. Non seulement il n'en fit rien mais, de plus, afin de faire montre de son détachement, il veilla à rester immobile, craignant seulement que les battements saccadés de son vieux coeur ne fussent entendus.
Il y avait là, à sa portée, au moins dix mille francs, peut-être plus, pourquoi pas? Il bomba le torse, se préparant mentalement à une entrée triomphale à la "Garonne".
Bon, passons, se dit il pour l'heure.
- Mon fils à disparu."
Le jeune homme se passa une langue encore d'adolescent sur ses lèvres pleines, hésita un moment avant de se lever:
- Excusez moi, avez vous des toilettes?" Anastasio le conduisit et revint s'asseoir sans hésiter, en passant, à se saisir de l'argent toujours sur le bureau. Neuf mille cinq cents francs. Merde, il avait vraiment compté sur dix mille. Le vrombissement de la chasse d'eau le surprit; le client se retrouva devant lui en triturant entre ses doigts un mouchoir de papier en lambeaux. Hautain, Anastasio affirma:
- Vous devez savoir, Monsieur, que nous n'acceptons pas de provision inférieure à douze mille francs. Un nouveau fard colore le visage du jeune Lapierre.
- Excusez moi, je ne savais pas. "
Et l'enfant de salaud avança la main vers les billets de Banque. Enfoiré! Allez hop! On se dégonfle: Le détective alluma une gauloise bleue, en offrit une.
- Asseyez vous et voyons tout de même cela.
Maxime Anastasio plongea allègrement dans l'horreur du récit et son propre passé, qui ressurgissait, lui sautait à la gorge.
Il apprit comment Chantal Lapierre avait accouché. Comme d'autres, beaucoup d'autres ... Cinq ans pendant lesquels, fuyant son présent, Maxime Anastasio avait recherché ses racines... jusqu'à l'Eguière, l'été dernier, fin de la piste. Il était arrivé trop tard, il n'y restait plus qu'un tas de ruines un peu fumantes. Et des racontars de riverains. Ils parlaient d'un grand rassemblement d'enfants. "Qui recherches tu, Tasio? Tes frères ou ton père? Ton enfant peut-être? Eh non Tasio, tu cherches ce moi que ta raison désavoue, celui qui, quelque part dans ton tourment, te relie, d'un mince fil mental, à tous les autres. "
Ces "autres" que tu croyais pouvoir rejoindre, te voilà réduit à tenter de les attirer. Tu n'es même pas un pigeon Anastasio; lui avait su se taire pour mourir.