Textes Littéraires
21/08/2007 23:40

Les Enfants des Ténèbres - 31 -

Chapitre XXXVI suite


Lorsqu'elle ouvrit la porte du petit studio, une puanteur morbide faillit l'asphyxier. Son regard tomba vers le sol. Il était jonché de moineaux, silencieux, placides. Ils l'observaient.
Sur le rebord de la fenêtre ouverte, d'autres, prisonniers de la glu, baissaient la tête, comme honteux.
- Vous avez la croix Angela, et j'ai les oiseaux. "
La voix de Bastard derrière elle la fit sursauter. La tête entre les mains, elle sanglotait.
- Moi aussi je voudrais passer, Angela. Mais je ne suis pas aussi sûr que vous qu'ils veuillent de nous. Je ne crois pas non plus qu'il existe un monde meilleur, Angela. " Elle hurla:
- Ce n'est pas les oiseaux que vous avez, c'est la glu, seulement la glu. "
- A chacun sa glu, Bébé est la mienne. "

Ils sortirent. Des nuages noirs s'étaient rassemblés, paraissaient se concerter comme une armée se préparant à fondre sur l'ennemi.
- Vous êtes cruel, Monsieur Bastard! "
- Oui, mais seulement avec le personnel de nettoyage."
Elle poussa le fauteuil.
- Je tiendrai compte de votre volonté de respecter vos voeux, Angela. Quel est votre plan? "
Bastard riait. Le fait qu'il fût question d'un plan destiné à le faire partir ailleurs le mettait de bonne humeur. Pourtant, il ne se sentait pas détaché de la réalité. Peut être était ce cette idée de plan qui lui plaisait tant. L'hilarité qu'il manifestait en agitant joyeusement son moignon, terrifia Soeur Marie Ange. Elle parvint à assurer sa voix:
- Nous sommes semblables aux enfants, Louis. Aucun d'entre nous n'a entretenu ses racines. "
- Vous voulez dire, que d'une façon ou d'une autre, nous avons assassiné nos parents, hein? "
Marie Ange immobilisa le fauteuil, une rage froide la fit trembler :
- Si vous faites allusion à la mort de ma mère, tout le monde sait qu'il s'agissait d'un accident."
- Peut-être Angela, peut-être. C'était en mer je crois, vous étiez tous trois avec votre père en bateau, quelque part au large de Perpignan et la tempête fit basculer votre mère par-dessus bord. C'est bien cela non? "
- C'est cela même, dit-elle d'une petite voix.
- Donc n'en parlons plus," lança-t-il désinvolte.
- Parlez-moi plutôt de ce grand crasseux de Vergier, vous le connaissiez, je pense. Que fait-il dans cette affaire? Le fichier central semble lui attribuer une ascendance on ne peut plus claire. Bien sûr, son teint noiraud détonait quelque peu. Mais après tout, me direz-vous, les arabes sont bien arrivés jusqu'à Poitiers. "
- Non," dit-elle.
Il bloqua les roues de son fauteuil.
- Non quoi, Angela? "
Bastard lui tournait le dos, elle se demanda jusqu'à quel point elle pouvait lui faire confiance.
- Il n'était pas crasseux, il nous a beaucoup aidés, mon père et moi. Ma mère aussi. "
- C'était un minable," fit Bastard méprisant.
Angela, toujours immobile derrière lui, se cramponnait aux poignées du fauteuil. Elle expliqua comment Vergier, qui avait seize ans, s'était présenté au camp de l'ETA, commandé par Anastasio, en lançant à la ronde: "Salam Aleikoum". C'est une sorte de salut arabe, précisa-t-elle. Les autres en avaient ri pour finalement nommer l'adolescent tout simplement Salam.
Plus tard, Anastasio procura des faux papiers à son nouveau protégé. Génio ne se connaissait pas d'autre identité. "

Bastard ne croyait pas au hasard. Il avait depuis longtemps perçu le dénominateur commun qui les liait tous :
- Ok Angela, qu'attendez-vous de moi? "
Elle se détendit, se remit à pousser. Une petite pluie fine commençait à tomber. Ils s'abritèrent sous un préau. Quelqu'un, dans l'allée centrale, tirait un charriot de nettoyage, Bastard le héla:
- Dites mon brave, vous allez me débarrasser de ma volaille? "
L'autre s'arrêta, jeta le mégot qui lui pendait aux lèvres.
- Oui Monsieur le Préfet, et pour le plus grand bonheur de nos cochons. "
- Et ceux qui sont cuits? " reprit Bastard.
- Ca dépend, Monsieur le Préfet, ça dépend. " Il repartit, traînant toujours son charriot.

Bastard, sans se retourner, passa la main par-dessus son épaule et prit celle de Marie Ange.
- Voyez-vous Angela, même la cruauté est récupérable. Ce qui gêne l'Eglise et l'Administration dans cette affaire est que, finalement, on ne peut rien faire d'enfants qui apparaissent, disparaissent un peu quand bon leur semble. Il reste à démontrer que cet ailleurs existe, que tout cela n'est pas une sordide affaire montée par une organisation ou une autre. "
- Lâchez-moi Louis, vous vous faites mal au bras en le tordant ainsi. "
Il serra un peu plus tort.
- Savez vous ce que j'ai envie de vous dire, Angela? "
Il attira la main de la religieuse, la posa sur son épaule. Elle ne la retira pas.
- Angela, je voudrais que nous partions ensemble, avec Bébé, que nous retrouvions les autres, qu'ils fêtent notre arrivée, qu'ensemble, tous ensemble, nous dansions la farandole des enfants. Que nous chantions Dieu, Marie et que sais-je encore."
- Faisons-le, Monsieur Bastard, faisons le. Amenons Bébé loin des hommes d'ici. "
- Comment, Angela? Comme l'a fait votre père ... en dansant? Je trouve cela ridicule! Puisque vous me dites qu'il est "passé", qu'avons-nous dans ce cas besoin des oiseaux et de la croix? J'étais là ce jour-là, Angela, avec lui, malgré la haine qu'il me crachait au visage. Cette même nuit, j'avais dansé moi aussi. Vous le voyez, je suis toujours là. Peut être après tout suis-je un bâtard indésirable? "
- Il y a certainement plusieurs moyens de passer. Mon père me disait que les oiseaux en ont la capacité. "
- Comment a-t-il connu le prêtre marseillais? Pourquoi l'a-t-il tué? "
- Il ne l'a pas tué, " fit Angela d'une voix glaciale. Il était étendu sur son lit. J'avais frappé avant d'entrer. Lorsqu'il m'aperçut, il hurla et s'enfonça les doigts dans les yeux. Mon père était en bas qui m'attendait. "
- Bon dieu Angela, vous l'avez repéré comment ce type? "
- Vous le savez, Monsieur Bastard, alors pourquoi me le demandez vous? "
- Dites-le quand même. "
Un miaulement venant de leur droite attira leur attention. C'était un chat, très beau se dit Bastard. Entre ses pattes, un petit oiseau se débattait.
- Celui-là ne passera pas, " rit Bastard.
Angela détourna le regard, un petit frisson courut le long de son dos, ses aisselles se tachaient de sueur. Elle ne s'expliqua pas son malaise.
- Ce prêtre avait été chargé par l'évêché d'enquêter sur les enfants. C'est lui qui essaya le premier de découvrir la cérémonie de passage. Avant cela, il avait travaillé avec doc Joseph. L'Eglise n'ayant pas apprécié ce qu'elle appela de la manipulation spirituelle, il fut défroqué. C'est un moine bénédictin qui avait mis mon père sur la piste. Un moine espagnol. Il est mort m'a dit mon père."

Bastard fit rouler le fauteuil sous la pluie, elle le suivit. Tous deux essuyèrent l'eau qui agressait leurs yeux.
- Etes vous sûre de vouloir de moi, Angela? "
- J'en suis certaine, Louis, tout à fait certaine. "
- Et eux, les autres, tous les autres? "
- Vous êtes des nôtres! "
Il prit un ton ironique, un tantinet suffisant.
- Alors maintenant, jeune demoiselle, dites-moi comment vous escomptez sortir votre nouvel et très affectueux oncle, le très respectable Louis Bastard, de ce lieu. "
Angela s'agenouilla devant lui, lui prit tendrement la main.
- Tout simplement, mon cher oncle. L'Eglise et votre Administration sont d'accord pour que vous quittiez cette digne maison de retraite et vous rendiez à Malmergues au chevet du petit Joseph. "
- J'ai en poche les autorisations nécessaires. "
- Il la saisit par le bras, l'obligea à se relever. "
- Mon dieu, Angela, si seulement cela pouvait être vrai. " Il ne pouvait s'empêcher de penser au bombardement de l'Eguière. Elle le devina:
- Le feraient il, qu'ils ne pourraient pas nous empêcher de passer. "

Bastard sentit qu'il touchait au but même si celui-ci, depuis la visite d'Angela, lui paraissait moins clair.
Une idée commençait à germer dans son esprit: et s'il n'y avait pas d'organisation? Et si ce passage vers un monde nouveau existait réellement? Pour de beaux yeux, que ne croirait pas un homme songea t il. Il se sentait renaître, se voyait déjà, avec Bébé et Angela, faire de longues marches en forêt. Cela au moins, il était sûr de le vouloir.
Il eut envie de ricaner au nez de la jeune femme, de lui jeter: "Voyez vous Angela, en amour, les poètes parlent stupidement des yeux alors qu'ils ne pensent qu'aux fesses! A la DASS, Angela, Tam Tam et moi faisions des concours de masturbation. Nous avons essayé les yeux de Marilyn Monroe, ceux de Brigitte Bardot. Même ceux de Romy Schneider n'y firent rien. Finalement, chacun de nous trouva son truc. Moi, c'était dans une vieille revue que nous avions dérobée à un surveillant: les fesses de Sophia Loren y étaient à peine voilées. Tam Tam, quant à lui, avait choisi de rêver au sein d'une mère qu'il n'a jamais eue. Mais cela, Angela, je ne le découvris que beaucoup plus tard."

Bastard leva les yeux au ciel. Il songea qu'un jour, lorsqu'il serait sûr de l'amour d'Angela, il pourra dire tout cela et bien d'autres choses encore.

La nuit était tombée. Les gros nuages noirs avaient roulé vers l'ouest avec l'averse. Maintenant, le ciel était parfaitement pur.

Aller au chapitre 1° cliquer ici

En vente sur: Abebooks
Manuscrit.com


Lu 2943 fois



Dans la même rubrique :