Dans trois semaines démarrent les Etats généraux de la justice pénale, auxquels s'associent des poids lourds comme Robert Badinter ou Eva Joly. Ces magistrats, avocats, et juristes sont entrés en résistance dans la foulée des déclarations de Nicolas Sarkozy, le 7 janvier. Ce jour-là, devant la Cour de cassation, le président de la République annonçait la suppression du juge d'instruction. Alors même que la commission Léger, qui planche sur la question, n'a pas encore rendu ses conclusions.
Depuis, branle-bas de combat dans le monde de la justice: on y goûte d'autant moins le slalom présidentiel, entre promesses de dialogue et décisions unilatérales, que la réforme Dati de la carte judiciaire exaspérait déjà. La tension entre Nicolas Sarkozy et le monde judiciaire, magistrats en tête, ne date pas d'hier. A l'époque où ce dernier occupait encore le ministère de l'Intérieur, le syndicat de la magistrature avait même accusé Sarkozy de faire la chasse aux "juges rouges".
En juin 2006, celui qui occupait alors la Place Beauvau avait pris de front les magistrats de Bobigny. Non content de les accuser de "démissionner", Nicolas Sarkozy déclarait par exemple:
"J'aimerais que l'on m'explique comment on empêche un délinquant de récidiver si l'on n'a pas le courage de le mettre en prison."
Car aujourd'hui, c'est plutôt leur "laxisme" qu'on reproche aux "juges rouges", à commencer par ceux qui sont au Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Mais, en 1975, lorsque l'expression est née, c'était plutôt pour l'audace d'un jeune magistrat de ce même syndicat, Patrice de Charette, qui avait mis en prison un patron à Béthune après le décès d'un salarié au travail. (Voir la vidéo)
Trente-quatre ans plus tard, l'expression "juge rouge" peut sembler surannée. Elle refait pourtant régulièrement surface, localement: des élus UMP accusent encore les juges du Syndicat de la magistrature de gigoter un peu trop à gauche. "Des attaques sporadiques, souvent dans l'est de la France, bizarrement", précise Hélène Franco, de cette organisation qui compte 600 adhérents et fait plus d'un tiers des suffrages aux élections professionnelles.
Ce fut le cas à Nancy, début janvier. Lorsque Marie-Agnès Credoz, présidente du tribunal de grande instance de Nancy, prononce son discours à l'audience de rentrée, voilà moins de vingt-quatre heures que Nicolas Sarkozy a annoncé la suppression du juge d'instruction. Or la patronne de la juridiction se montre incisive. Résultat: la totalité des juges, à l'unique exception du procureur général, l'applaudit. Y compris les quatorze parquetiers.
A la sortie de l'audience, des élus locaux de l'UMP se seraient plaints par courrier et en haut lieu contre les gesticulations de juges à qui ils reprochent une sympathie avec le Syndicat de la magistrature. Résultat: les parquetiers écoperont d'une double convocation par leur hiérarchie qui les qualifiera de "potaches".
Localement, on compare cette reprise en main à une chasse aux "juges rouges" dans la mesure où c'est le Syndicat de la magistrature qu'on brocarde pour cette initiative. C'est ce qu'affirme Fabienne Nicolas, déléguée régionale du SM. Et ce que confirme Jean-Yves David, pourtant représentant du syndicat adverse, l'USM:
"On fait un faux procès au Syndicat de la magistrature car l'Union syndicale des magistrats en est au moins autant responsable, si ce n'est plus. Exhumer les juges rouges, c'est de la manipulation: on essaye de réduire notre réaction unanime de soutien au discours courageux de l'audience solennelle à une mobilisation syndicale extrême."
Toujours dans l'est, à Belfort, c'est un autre député UMP, Damien Meslot, qui est carrément parti en croisade contre des magistrats qui ont lancé à son encontre une procédure pour "manœuvres électorales frauduleuses". Depuis, il les appelle à son tour "les juges rouges" à tout bout de tract. A tel point qu'il vient d'être condamné, vendredi 20 février, pour "outrage à magistrat", reconnu coupable d'avoir traité Bernard Lebeau, procureur à Belfort, de "juge gaucho de merde".
L'élu, qui a conquis son siège en 2002 avant d'être réélu, fait appel de cette première condamnation même s'il est aussi poursuivi pour "outrage à magistrat" par Antoine Derieux, juge d'instruction à Belfort.
Cette deuxième affaire n'a pas encore été jugée. Mais Rue89 s'est procuré plusieurs tracts et articles de la presse locale, qui montrent que Damien Meslot use volontiers de l'expression "juge rouge", insistant sur l'appartenance syndicale d'Antoine Derieux qui adhère au Syndicat de la magistrature dès l''ENM, en 2001.
"Ces commissaires politiques ont sali la magistrature"
Comme Nicolas Sarkozy à Bobigny en 2006, Damien Meslot avait dénoncé à la même époque le "laxisme" du juge qui avait remis en liberté des "voyous" soupçonnés du braquage d'une poste. Dans la foulée, le candidat sortant compare les juges à des "commissaires politiques". Extrait d'un des discours de l'élu belfortin:
"Si la justice veut quon la respecte, il faut quelle soit respectable et je ne respecte ni le procureur Lebeau ni le juge Derieux, qui se sont transformés en commissaires politiques, qui ont outrepassé leurs droits et qui ont sali la magistrature.
Ils préfèrent s'attaquer aux élus de la droite plutôt que de s'attaquer aux voyous. Eh bien! Ces gens-là, je demanderai à ce qu'ils soient mutés, qu'ils quittent le Territoire de Belfort, parce qu'on ne peut pas leur faire confiance.
Vous savez la dernière? On a arrêté les deux braqueurs des Glacis. Vous savez quelle a été la première mesure du juge Derieux et du procureur de la République? Ça a été de libérer les deux braqueurs, de les mettre en liberté sous contrôle judiciaire.
Il y en a marre de voir des policiers qui risquent leur vie pour arrêter les voyous et de voir des juges rouges qui s'opposent la volonté du peuple et qui s'opposent au travail des policiers."
Contacté par Rue89, Damien Meslot a choisi la contre-attaque: s'il précise qu'il ne dit pas "gaucho de merde" parce que ça n'appartient pas à son vocabulaire, il rempile pour mieux dénoncer "connivence avec le PS" et "acharnement d'un juge qui a l'âge du juge Burgaud". Ultime précision: pour discréditer définitivement le "juge rouge" qu'est selon lui Antoine Derieux, il accuse ce dernier de l'avoir reçu en jeans et basket, mal rasé -"j'avais vraiment envie de lui dire d'aller se laver".
A lire aussi sur Rue89 Vent de fronde à l'UMP contre la suppression du juge d'instruction Dati veut des juges moins nombreux et plus rentables Les visages de l'outrage : enquête sur un délit en vogue Le témoignage d'une juge d'instruction Supprimer le juge d'instruction? "Une régression démocratique" Tous les articles sur la justice Tous les articles sur l'outrage
Ailleurs sur le Web le blog des états généraux de la justice pénale Le blog de Maître Eolas le site de l'USM le site du Syndicat de la magistrature
Source: Yahoo News
Depuis, branle-bas de combat dans le monde de la justice: on y goûte d'autant moins le slalom présidentiel, entre promesses de dialogue et décisions unilatérales, que la réforme Dati de la carte judiciaire exaspérait déjà. La tension entre Nicolas Sarkozy et le monde judiciaire, magistrats en tête, ne date pas d'hier. A l'époque où ce dernier occupait encore le ministère de l'Intérieur, le syndicat de la magistrature avait même accusé Sarkozy de faire la chasse aux "juges rouges".
En juin 2006, celui qui occupait alors la Place Beauvau avait pris de front les magistrats de Bobigny. Non content de les accuser de "démissionner", Nicolas Sarkozy déclarait par exemple:
"J'aimerais que l'on m'explique comment on empêche un délinquant de récidiver si l'on n'a pas le courage de le mettre en prison."
Car aujourd'hui, c'est plutôt leur "laxisme" qu'on reproche aux "juges rouges", à commencer par ceux qui sont au Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Mais, en 1975, lorsque l'expression est née, c'était plutôt pour l'audace d'un jeune magistrat de ce même syndicat, Patrice de Charette, qui avait mis en prison un patron à Béthune après le décès d'un salarié au travail. (Voir la vidéo)
Trente-quatre ans plus tard, l'expression "juge rouge" peut sembler surannée. Elle refait pourtant régulièrement surface, localement: des élus UMP accusent encore les juges du Syndicat de la magistrature de gigoter un peu trop à gauche. "Des attaques sporadiques, souvent dans l'est de la France, bizarrement", précise Hélène Franco, de cette organisation qui compte 600 adhérents et fait plus d'un tiers des suffrages aux élections professionnelles.
Ce fut le cas à Nancy, début janvier. Lorsque Marie-Agnès Credoz, présidente du tribunal de grande instance de Nancy, prononce son discours à l'audience de rentrée, voilà moins de vingt-quatre heures que Nicolas Sarkozy a annoncé la suppression du juge d'instruction. Or la patronne de la juridiction se montre incisive. Résultat: la totalité des juges, à l'unique exception du procureur général, l'applaudit. Y compris les quatorze parquetiers.
A la sortie de l'audience, des élus locaux de l'UMP se seraient plaints par courrier et en haut lieu contre les gesticulations de juges à qui ils reprochent une sympathie avec le Syndicat de la magistrature. Résultat: les parquetiers écoperont d'une double convocation par leur hiérarchie qui les qualifiera de "potaches".
Localement, on compare cette reprise en main à une chasse aux "juges rouges" dans la mesure où c'est le Syndicat de la magistrature qu'on brocarde pour cette initiative. C'est ce qu'affirme Fabienne Nicolas, déléguée régionale du SM. Et ce que confirme Jean-Yves David, pourtant représentant du syndicat adverse, l'USM:
"On fait un faux procès au Syndicat de la magistrature car l'Union syndicale des magistrats en est au moins autant responsable, si ce n'est plus. Exhumer les juges rouges, c'est de la manipulation: on essaye de réduire notre réaction unanime de soutien au discours courageux de l'audience solennelle à une mobilisation syndicale extrême."
Toujours dans l'est, à Belfort, c'est un autre député UMP, Damien Meslot, qui est carrément parti en croisade contre des magistrats qui ont lancé à son encontre une procédure pour "manœuvres électorales frauduleuses". Depuis, il les appelle à son tour "les juges rouges" à tout bout de tract. A tel point qu'il vient d'être condamné, vendredi 20 février, pour "outrage à magistrat", reconnu coupable d'avoir traité Bernard Lebeau, procureur à Belfort, de "juge gaucho de merde".
L'élu, qui a conquis son siège en 2002 avant d'être réélu, fait appel de cette première condamnation même s'il est aussi poursuivi pour "outrage à magistrat" par Antoine Derieux, juge d'instruction à Belfort.
Cette deuxième affaire n'a pas encore été jugée. Mais Rue89 s'est procuré plusieurs tracts et articles de la presse locale, qui montrent que Damien Meslot use volontiers de l'expression "juge rouge", insistant sur l'appartenance syndicale d'Antoine Derieux qui adhère au Syndicat de la magistrature dès l''ENM, en 2001.
"Ces commissaires politiques ont sali la magistrature"
Comme Nicolas Sarkozy à Bobigny en 2006, Damien Meslot avait dénoncé à la même époque le "laxisme" du juge qui avait remis en liberté des "voyous" soupçonnés du braquage d'une poste. Dans la foulée, le candidat sortant compare les juges à des "commissaires politiques". Extrait d'un des discours de l'élu belfortin:
"Si la justice veut quon la respecte, il faut quelle soit respectable et je ne respecte ni le procureur Lebeau ni le juge Derieux, qui se sont transformés en commissaires politiques, qui ont outrepassé leurs droits et qui ont sali la magistrature.
Ils préfèrent s'attaquer aux élus de la droite plutôt que de s'attaquer aux voyous. Eh bien! Ces gens-là, je demanderai à ce qu'ils soient mutés, qu'ils quittent le Territoire de Belfort, parce qu'on ne peut pas leur faire confiance.
Vous savez la dernière? On a arrêté les deux braqueurs des Glacis. Vous savez quelle a été la première mesure du juge Derieux et du procureur de la République? Ça a été de libérer les deux braqueurs, de les mettre en liberté sous contrôle judiciaire.
Il y en a marre de voir des policiers qui risquent leur vie pour arrêter les voyous et de voir des juges rouges qui s'opposent la volonté du peuple et qui s'opposent au travail des policiers."
Contacté par Rue89, Damien Meslot a choisi la contre-attaque: s'il précise qu'il ne dit pas "gaucho de merde" parce que ça n'appartient pas à son vocabulaire, il rempile pour mieux dénoncer "connivence avec le PS" et "acharnement d'un juge qui a l'âge du juge Burgaud". Ultime précision: pour discréditer définitivement le "juge rouge" qu'est selon lui Antoine Derieux, il accuse ce dernier de l'avoir reçu en jeans et basket, mal rasé -"j'avais vraiment envie de lui dire d'aller se laver".
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Source: Yahoo News