Tribune Libre
13/05/2007 03:24

La France et l'Union Européenne dans un piège à penser

Sarkozy nous a bien fait comprendre que la Turquie n'a pas de place en Europe. Un pays non chrétien, ayant à peine un pied en Europe, éclaté par des conflits séparatistes et militaires, déstabilisé en permanence sous le poids des questions sensibles de la laïcité, en voie de développement difficile, ce pays ne peut pas faire partie des «notres».


La «vingt-huitième» minute de notre Union Européenne, de la France et de son nouveau Président

A l'heure actuelle, un processus européen qui s'est déclenché parallèlement à la création du «rideau de fer», commence à se finaliser. Ce même processus cultive ses racines plus ou moins évidentes dans l'histoire et englobe la population européenne dans sa totalité car il est une réponse immédiate à toute une ère de querelles identitaires qui remontent rapidement le temps et atteignent le siècle même des Lumières. Le temps des révolutions - au moins sur le Vieux Continent - a perdu sa force novatrice et contagieuse mais l'essence de l'être humain demeure inchangée dans les siècles qui précèdent notre «aujourd'hui». L'unification et l'homogénéisation des états européens et la paupérisation des traits nationaux rendent sensibles les peuples (et encore de plus, les dirigeants politiques) et ils réclament de plus en plus une «politique de fermeté», une émanation du «national», «un retour en Europe».
L'Europe des «vingt-sept» est un miracle politique et social. «Vingt-sept» pays qui figurent l'image démocratique de l'Europe; «vingt-sept» états à la quête du bonheur et de la prospérité; «vingt-sept» destins issus de la terreur nazie. Cette union des nations européennes a connu une autre histoire, lumineuse et pathétique, mais souvent obscure et bouleversante. Le «vingt-sept» (un chiffre qu'on sacralisera bientôt) juillet 1789, les ouvriers de Montmartre se répandent armés dans la plaine de Saint-Denis. Cinq ans plus tard, 9 thermidor an II, toujours le 27 juillet, Maximilein de Robespierre est arrêté et perd sa tête sous la guillotine. Le jour même, mais 41 ans plus tard, l'Europe a connu l'insurrection de Paris, première des Trois Glorieuses, quand la Révolution fait éclater la France à cause de la promulgation d'ordonnances par Charles X qui rétablit en fait la censure à la suite de laquelle des nouvelles élections ont été fixées. Le 27 mars 1992, Staline, une personne trop timide pour être démocrate, commissaire du peuple aux Nationalités, met la main sur un poste peu important: responsable de la décision finale quant au recrutement des cadres du parti. Le 1er janvier 2007, l'Union Européenne est constituée désormais de 27 pays de tous les coins de l'Europe. Un vingt-huitième pays attend devant la porte de l'Union Européenne, la Turquie. Quelle est la vérité qu'elle peut nous fournir dans la «vingt-huitième» minute de notre Union Européenne, de la France et de son nouveau Président.

L'histoire prédite de l'Union Européenne

Sarkozy nous a bien fait comprendre que la Turquie n'a pas de place en Europe. Un pays non chrétien, ayant à peine un pied en Europe, éclaté par des conflits séparatistes et militaires, déstabilisé en permanence sous le poids des questions sensibles de la laïcité, en voie de développement difficile, ce pays ne peut pas faire partie des «notres». Mais le futur de l'Union Européenne est déjà prédit: en 1993, le Conseil européen de Copenhague décide que les pays de l'Europe centrale et orientale peuvent devenir membres de l'Union s'il le désirent. Les deux traités historiques, de Maastricht et de Nice, signent encore une fois cette volonté communautaire. Cette «carte blanche» ouvre la voie de l'adhésion de la Turquie et seulement la République de Chypre bâtit le dernier rempart de sa future adhésion (au moins, ce que disent les «bannis» de la Commission européenne). Historiquement, mais encore, de plus, politiquement, des différents pays, parmi lesquels la France dont la doyenneté - personne ne nie - ont un poids différent quant aux décisions importantes. Autrement dit, le futur de l'Europe, son nouveau visage, le destin et le bonheur des peuples dépendent en grande partie de la France, un pays qui est au fond même de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), de la monnaie unique commune, l'euro et de la Constitution européenne (hélas, elle n'a pas pu réaliser sa vie pour l'instant).
Revenons maintenant aux discours que Sarkozy a tenus tout au long de sa campagne présidentielle. Il a souligné que la France reviendra en Europe d'une manière plus forte et décisive. La France et son poids a toujours été «en Europe», le pays n'a pas bougé non plus géographiquement. La métaphore est alors ouverte et non définie, mais- soyons réalistes- dans le contexte de la campagne présidentielle et au moment même de l'élection, la signification de cette attitude se clarifie.

Il ne convient pas à un nouveau Président de dire qu'un pays n'adhérera pas l'Union car tous les pays de l'UE auparavant, même la France, ont adopté une décision positive envers la Turquie. Il n'a pas tort non plus dans le cadre constitutionnel de l'Union parce qu'il est d'abord une Union européenne. La plus grande partie de la Turquie n'est pas située en Europe, mais en Asie. L'ambiguïté de ce dilemme est renforcée en même temps par la philosophie et les valeurs de l'UE: ne jamais distinguer les êtres humains, les peuples, les États sur une base ethnique, physique, linguistique, historique, sexuelle, politique. La xénophobie et le racisme sont deux notions non grata en Europe et elle sont même confiées dans les mains d'une agence spéciale appelée Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC). Quelle est alors la raison de Sarkozy de distinguer un pays musulman des autres pays chrétiens européens quant à son droit de faire partie de la plus grande organisation mondiale?

Le bouc émissaire et le nationalisme intégral

Quand un pays va mal, c'est la figure de l'étranger qui apparaît dans l'espace public. Elle est le symbole expiatoire des fautes qu'on a commises et du « mal » qui parcourt notre terre. Le bouc émissaire distingue le Soi de l'autre, ce qui est dans la communauté de ce qui n'y est pas. Le bouc émissaire aujourd'hui est appréhendé dans la langue française comme une personne déviante, hors normes, que la société veut exclure ou simplement écarter. Nonobstant, il signifie une autre chose bien différente, d'origine religieuse. Il est d'abord un rite expiatoire annuel hébreux décrit dans le seizième chapitre de Lévitique. Le grand prêtre doit choisir deux boucs, un il le sacrifie immédiatement et l'autre, il l'envoie dans le désert vers Azazel, un démon sauvage.

« Aaron lui lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera toutes leurs fautes en un lieu aride » (Lévitique XVI:21-22 )

Drôle de comparaison avec notre nouveau Président qui a chargé la Turquie de tous les «péchés» de l'Europe et qui l'a envoyée vers le «désert», toujours là-bas, dans les territoires orientaux. Sarkozy a utilisé avec beaucoup de rigueur l'image du bouc émissaire pour gagner la place de président. Il a commencé à le faire déjà comme ministre de l'intérieur en balayant les étrangers et les déviants qui ont ramené le Mal en France. En fait, eux mêmes, les étrangers, ils étaient chargés de «péchés» desquels un pays souffre et qui étouffent le peuple entier.


Beaucoup de médias voient en Sarkozy un héritier de Maurice Barres et Charles Maurras, les deux précurseurs de nationalisme français et européen. Mais le nationalisme est aussi une notion décalée dans son usage aujourd'hui puisqu'il signifie seulement une sensibilité, un ensemble de valeurs envers l'attachement à la nation. Il est avant tout une réponse politique de l'ordre «injuste» et il apparaît pour faire face aux républicains, aux libéraux, mais aussi à la corruption, aux groupes «étrangers» comme les francs-maçons et aux ennemis. Barres voit cette nouvelle forme idéologique comme une éducation de l'individu et de la défense du Moi car le Moi est sensible, fondé sur l'amour, sur le sang et sur la mort (trois valeurs fondamentales pour chaque peuple) qui s'enracinent dans l'histoire et qui protègent l'individu de la décadence. Le nationalisme est alors une forme de libération personnelle qui contribue à l'homme vivre avec la tradition. Maurras pour sa part démontre avec le nationalisme la vérité que l'égalité n'est qu'un mensonge (on l'a bien vu avec les vacances spectaculaires de Sarkozy sur un yacht de luxe le lendemain de son élection) et il distingue deux sortes de pays: le pays légal, représenté par les élites au pouvoir, et pays réel, la vie réelle de peuple. Entre ces deux pays, il y à des lacunes et des abysses profondes. Le nationalisme veut colmater exactement cet espace vide pour rapprocher le peuple du pouvoir réel.
Le nationalisme que les médias voient en Sarkozy n'est alors qu'une chimère. Il a joué simplement un rôle très important dans la campagne présidentielle et on voit aujourd'hui que cette tactique n'était pas du tout erronée.


Dans la «vingt-huitième» minute de notre Union Européenne, de la France et de son nouveau Président, nous, les citoyens de l'Europe unie et nous, les boucs émissaires présumés, nous devons encore reconnaître que le jeu politique est un piège à penser. L'Histoire a distribué les cartes entre les joueurs européens. Il ne reste qu'à jouer le jeu politique dans lequel même le bluff et le mensonge sont des règles codifiées.


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