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02/11/2007 15:34

L'Amérique du Sud veut se libérer de l'argent du Nord

Sept pays sud-américains vont créer samedi 3 novembre la Banque du Sud, organisme visant à les aider à s'affranchir de la tutelle des institutions financières du Nord, FMI, Banque mondiale et banques privées



Article du journal La Croix de Gilles BIASSETTE

Le Sud a-t-il encore besoin de l’argent du Nord ? À l’heure où plusieurs pays émergents ont trouvé les recettes de la croissance économique, à l’heure où la flambée des prix de l’or noir et, plus généralement, des matières premières vient gonfler les caisses de nombreux États, certains sont tentés de répondre « non ». Notamment en Amérique latine, où dénoncer le Nord, États-Unis en tête, a toujours été de saison.

À commencer par Caracas. Assis sur son or noir (le Venezuela est l’un des premiers exportateurs mondiaux de pétrole et produit plus de deux millions de barils par jour), le président Hugo Chavez ne manque pas une occasion de défier Washington. Avec quelques moments forts, comme devrait l’être demain la cérémonie marquant la création de la Banque du Sud.

Dans la capitale vénézuélienne, des représentants de l’Argentine, du Brésil, de l’Équateur, de l’Uruguay, du Paraguay et de la Bolivie lanceront cette nouvelle institution, présentée comme une alternative latine au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale.

D’Amérique du Sud, seuls le Chili et le Pérou manqueront à l’appel. Même le Brésil de Lula, chef de file de la gauche modérée, a donné son feu vert à cette initiative du président Chavez. Plus surprenant encore, la Colombie d’Alvaro Uribe, fidèle alliée de Washington, a demandé à rejoindre El Banco del Sur, même si aucun représentant de Bogota ne devrait se rendre samedi 3 novembre à Caracas.

"Nous vous disons ciao !"
Ce projet est le plus ambitieux à ce jour mis sur pied par Hugo Chavez au niveau international. Il repose sur la flambée des cours de l’or noir, mais aussi des matières agricoles, qui bénéficie à des pays comme l’Argentine ou le Brésil. Depuis 2003, la région connaît, de fait, une croissance économique vigoureuse. Cette année, le PIB de l’Amérique latine devrait encore augmenter de 5 % (après 5,6 % l’an passé), selon la commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) des Nations unies.

Ainsi que le notent les experts de la Cepal, « cette croissance se traduit dans la région par l’existence d’excédents aussi bien de la balance des comptes courants que des balances primaires du secteur public » avant remboursement de la dette. Au total, les déficits publics, sur l’ensemble de la région, sont passés de 3,2 % en 2002 à 0,2 % en 2006. Les réserves, elles, sont en plein boom, atteignant 57 milliards de dollars. D’où, ces derniers mois, les remboursements, par anticipation, des ardoises.

« Messieurs du FMI et de la Banque mondiale, nous vous disons ciao ! », lançait Rodrigo Cabezas, ministre vénézuélien des finances, au moment du remboursement de leurs prêts par le Venezuela et l’Équateur. Auparavant, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay avaient fait de même.

Toujours est-il que la région, pauvre en infrastructures, a besoin de capitaux pour se développer et, plus encore, s’intégrer. D’où le projet de Banque du Sud. Après des mois de discussion entre les futurs pays membres, l’idée s’est précisée peu à peu. La nouvelle institution, qui devrait être opérationnelle dès le début de l’année prochaine, financera en priorité des projets d’infrastructures dans la région.

Chacun aura le même pouvoir : un pays, une voix
Si l’Argentine, le Paraguay, la Bolivie et l’Équateur avaient rapidement emboîté le pas à Caracas, le Brésil a été plus difficile à convaincre. Chef de file de la gauche modérée, le président Lula était, lui, partisan d’une coopération entre les banques de développement existantes. Mais Brasilia a obtenu de Caracas deux concessions : la Banque du Sud ne couvrira que l’Amérique du Sud, et non l’ensemble de l’Amérique latine – ce qui exclut notamment Cuba et le Nicaragua, alliés d’Hugo Chavez.

Par ailleurs, cette nouvelle institution ne s’occupera que de développement et n’interviendra pas, comme le fait le FMI, pour combler les déséquilibres des balances de paiement.

Selon Rodrigo Cabezas, ce nouvel organisme ne reproduira pas le « vieux système de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international, qui fournit des prêts conditionnés à des politiques hégémoniques ». Ici, pas de conditions ni de domination de pays au sein de l’institution, chacun aura le même pouvoir : un pays, une voix.

Prudence
Il reste encore des points en suspens, notamment concernant le capital de la banque. La participation doit-elle être la même pour tous les pays, comme les droits de vote, ou proportionnelle à la taille de leur économie ? Doit-elle reposer sur le principe de l’obligation, ou chacun doit-il être libre d’évaluer son propre apport ?

Pour l’heure, les réactions sont plutôt prudentes. Robert Zoellick, nouveau patron de la Banque mondiale, a salué cette initiative tout en rappelant le souci de transparence. « J’y suis favorable et j’espère que la Banque du Sud encouragera la transparence et les principes de bonne gestion dans le cadre de son développement », a-t-il déclaré.

De son côté, Joseph Stiglitz, ancien chef économiste de la Banque mondiale et prix Nobel d’économie, partisan de longue date d’une réforme du système financier international, s’est montré plus enthousiaste. Mais tout le monde reconnaît que le capital de la nouvelle institution devrait être insuffisant pour remplacer la Banque mondiale et le FMI. Selon Rodrigo Cabezas, le capital de la banque devrait atteindre sept milliards de dollars. Or, à elle seule, la Banque mondiale a prêté l’an passé six milliards de dollars aux pays d’Amérique latine.

Nicolas Maury



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