Guerre nucléaire: quel serait l'impact sur le climat?
Luke Oman et ses collègues de la NASA modélisent sur ordinateur les réponses climatiques aux émissions de fumées liées aux incendies causés par une guerre nucléaire à l'échelle régionale. Avant de rejoindre la NASA, il collaborait sur ce sujet au sein de l'université de Rutgers. Il appartient au groupe d'étude de l'American Association for the Advancement of Science (AAAS) qui s'est réuni le 18 février à Washington.
NASA : Quel est le point de départ de votre recherche ?
Oman : L'idée a été lancée à la conférence de l'American Geophysical Union de 2005, à laquelle j'ai présenté mes travaux de vulcanologie en qualité de chercheur à l'Université de Rutgers.
Je m'appuyais sur des simulations informatiques pour modéliser la transformation du dioxyde de soufre émis par les volcans en particules de sulfate solide qui s'accumulent et circulent dans la haute atmosphère où elles déterminent les changements climatiques.
Quelques collègues voulaient savoir si le modèle pouvait être extrapolé pour simuler les émissions d'aérosols noirs de carbone associés à un conflit nucléaire et en illustrer l'impact climatique.
NASA : Une telle recherche avait-elle déjà été entreprise ?
Oman : Oui, et ce dès les années 1980, pour évaluer l'impact de scénarios de conflits nucléaires à grande échelle.
Plus près de nous, alors que de plus petits pays ont développé des capacités nucléaires, nous avons voulu étudier l'impact des conflits potentiels à l'échelle d'une région du monde. A quelles anomalies climatiques pourrait-il alors falloir s'attendre ? Comment les saisons seraient-elles affectées du point de vue des cycles agricoles ? Ma présentation à l'AAAS, par exemple, se limitait à un scénario de conflit local (régional) et à ses conséquences sur la température et les niveaux de précipitation du globe.
Il a fallu attendre les dix dernières années et des modèles assez puissants pour pouvoir véritablement coupler ces problématiques.
NASA : Quelle est la procédure de simulation de l'impact climatique d'un conflit nucléaire ?
Oman : La modélisation permet de mettre en lumière quelques aspects intéressants de l'impact des aérosols sur la dynamique atmosphérique sous-jacente et en particulier les conditions de leur dissémination et de leur dissolution.
On emploie un modèle de circulation générale, le ModelE, développé par le NASA Goddard Institute for Space Studies à New York. Il s'agit d'un modèle de couplage océan-atmosphère mettant en évidence la façon dont différents intrants — ici les suies de carbone — peuvent affecter le climat du globe. Ce modèle est véritablement la clé de notre travail. En effet, c'est l'un des rares modèles capables de coupler l'atmosphère et l'océan avec des aérosols interactifs, et donc d'étudier cette problématique d'une manière plus globale.
NASA : et qu'en ressort-il ?
Oman : dans le cas d'une explosion atomique, les émissions, contrairement à une éruption volcanique, sont constituées de suie (et non de particules de sulfate), ce qui change complètement la donne au plan climatique. Si les particules de sulfate peuvent entraîner un réchauffement de la haute atmosphère de l'ordre de quelques degrés, les particules de carbone, en absorbant la chaleur solaire, pourraient réchauffer l'atmosphère dans des proportions bien plus importantes.
Les sulfates et la suie impactent aussi différemment la température à la surface de la terre. Les particules diffèrent au niveau de la quantité d'énergie solaire qu'elles empêchent d'atteindre le sol.
NASA : Comment la température change-t-elle en surface ?
Oman : Notre scénario était basé sur l'équivalent de 100 bombes comme celle d'Hiroshima, avec des incendies qui libéreraient plus de 5 mégatonnes de suies de carbone dans la haute atmosphère. Le phénomène a pu être observé avec une intensité beaucoup plus faible à l'occasion de feux de forêts.
Au sol, la température globale baisserait de 1 degré Celsius au cours des trois premières années, contre une baisse d'environ 0,3°C causée par l'éruption du Mont Pinatubo en 1991 sur l'année correspondante. Les particules noires de carbone sont bien plus fines que les particules de sulfate et peuvent s'élever beaucoup plus haut sous l'effet de la chaleur solaire, d'où une influence beaucoup plus durable sur le climat, pouvant atteindre une décennie.
Nous avons aussi observé que le niveau de précipations baisserait globalement en moyenne de 10 % dans les deux à quatre ans suivant l'événement.
Comme mes collègues Michael Mills [National Center for Atmospheric Research à Boulder, Colorado.] et Brian Toon [Université du Colorado à Boulder] l'ont montré au AAAS, le scénario s'accompagne d'une perte généralisée d'ozone stratosphérique avec des conséquences sensibles sur des populations très éloignées de la zone de conflit. Les cycles agricoles, par exemple, seraient probablement désorganisés du fait de l'effet combiné d'un refroidissement, d'une moindre pluviométrie et de la baisse de l'intensité des rayons solaires à la surface terrestre. Ceci se traduirait par des interruptions à répétition des cycles de croissance dues au gel.
NASA : comment le fruit de vos recherches peut-il influencer les décideurs ?
Oman : l'un de nos principaux objectifs est de diffuser les résultats de nos travaux auprès des décideurs et de toutes les parties prenantes afin de les sensibiliser aux impacts potentiels d'un conflit nucléaire. Avant ces travaux on ignorait tout de la nature et de l'ampleur des dérèglements climatiques liés à la bombe atomique. Ces données doivent absolument être partagées, notamment le fait que les conséquences seraient globales.
Source: Notre Planète
Luke Oman et ses collègues de la NASA modélisent sur ordinateur les réponses climatiques aux émissions de fumées liées aux incendies causés par une guerre nucléaire à l'échelle régionale. Avant de rejoindre la NASA, il collaborait sur ce sujet au sein de l'université de Rutgers. Il appartient au groupe d'étude de l'American Association for the Advancement of Science (AAAS) qui s'est réuni le 18 février à Washington.
NASA : Quel est le point de départ de votre recherche ?
Oman : L'idée a été lancée à la conférence de l'American Geophysical Union de 2005, à laquelle j'ai présenté mes travaux de vulcanologie en qualité de chercheur à l'Université de Rutgers.
Je m'appuyais sur des simulations informatiques pour modéliser la transformation du dioxyde de soufre émis par les volcans en particules de sulfate solide qui s'accumulent et circulent dans la haute atmosphère où elles déterminent les changements climatiques.
Quelques collègues voulaient savoir si le modèle pouvait être extrapolé pour simuler les émissions d'aérosols noirs de carbone associés à un conflit nucléaire et en illustrer l'impact climatique.
NASA : Une telle recherche avait-elle déjà été entreprise ?
Oman : Oui, et ce dès les années 1980, pour évaluer l'impact de scénarios de conflits nucléaires à grande échelle.
Plus près de nous, alors que de plus petits pays ont développé des capacités nucléaires, nous avons voulu étudier l'impact des conflits potentiels à l'échelle d'une région du monde. A quelles anomalies climatiques pourrait-il alors falloir s'attendre ? Comment les saisons seraient-elles affectées du point de vue des cycles agricoles ? Ma présentation à l'AAAS, par exemple, se limitait à un scénario de conflit local (régional) et à ses conséquences sur la température et les niveaux de précipitation du globe.
Il a fallu attendre les dix dernières années et des modèles assez puissants pour pouvoir véritablement coupler ces problématiques.
NASA : Quelle est la procédure de simulation de l'impact climatique d'un conflit nucléaire ?
Oman : La modélisation permet de mettre en lumière quelques aspects intéressants de l'impact des aérosols sur la dynamique atmosphérique sous-jacente et en particulier les conditions de leur dissémination et de leur dissolution.
On emploie un modèle de circulation générale, le ModelE, développé par le NASA Goddard Institute for Space Studies à New York. Il s'agit d'un modèle de couplage océan-atmosphère mettant en évidence la façon dont différents intrants — ici les suies de carbone — peuvent affecter le climat du globe. Ce modèle est véritablement la clé de notre travail. En effet, c'est l'un des rares modèles capables de coupler l'atmosphère et l'océan avec des aérosols interactifs, et donc d'étudier cette problématique d'une manière plus globale.
NASA : et qu'en ressort-il ?
Oman : dans le cas d'une explosion atomique, les émissions, contrairement à une éruption volcanique, sont constituées de suie (et non de particules de sulfate), ce qui change complètement la donne au plan climatique. Si les particules de sulfate peuvent entraîner un réchauffement de la haute atmosphère de l'ordre de quelques degrés, les particules de carbone, en absorbant la chaleur solaire, pourraient réchauffer l'atmosphère dans des proportions bien plus importantes.
Les sulfates et la suie impactent aussi différemment la température à la surface de la terre. Les particules diffèrent au niveau de la quantité d'énergie solaire qu'elles empêchent d'atteindre le sol.
NASA : Comment la température change-t-elle en surface ?
Oman : Notre scénario était basé sur l'équivalent de 100 bombes comme celle d'Hiroshima, avec des incendies qui libéreraient plus de 5 mégatonnes de suies de carbone dans la haute atmosphère. Le phénomène a pu être observé avec une intensité beaucoup plus faible à l'occasion de feux de forêts.
Au sol, la température globale baisserait de 1 degré Celsius au cours des trois premières années, contre une baisse d'environ 0,3°C causée par l'éruption du Mont Pinatubo en 1991 sur l'année correspondante. Les particules noires de carbone sont bien plus fines que les particules de sulfate et peuvent s'élever beaucoup plus haut sous l'effet de la chaleur solaire, d'où une influence beaucoup plus durable sur le climat, pouvant atteindre une décennie.
Nous avons aussi observé que le niveau de précipations baisserait globalement en moyenne de 10 % dans les deux à quatre ans suivant l'événement.
Comme mes collègues Michael Mills [National Center for Atmospheric Research à Boulder, Colorado.] et Brian Toon [Université du Colorado à Boulder] l'ont montré au AAAS, le scénario s'accompagne d'une perte généralisée d'ozone stratosphérique avec des conséquences sensibles sur des populations très éloignées de la zone de conflit. Les cycles agricoles, par exemple, seraient probablement désorganisés du fait de l'effet combiné d'un refroidissement, d'une moindre pluviométrie et de la baisse de l'intensité des rayons solaires à la surface terrestre. Ceci se traduirait par des interruptions à répétition des cycles de croissance dues au gel.
NASA : comment le fruit de vos recherches peut-il influencer les décideurs ?
Oman : l'un de nos principaux objectifs est de diffuser les résultats de nos travaux auprès des décideurs et de toutes les parties prenantes afin de les sensibiliser aux impacts potentiels d'un conflit nucléaire. Avant ces travaux on ignorait tout de la nature et de l'ampleur des dérèglements climatiques liés à la bombe atomique. Ces données doivent absolument être partagées, notamment le fait que les conséquences seraient globales.
Source: Notre Planète